• Aucun résultat trouvé

Chapitre 4 : Le moment de l’institution

III. Religion civile et religion naturelle : un parallèle

Les effets politiquement nocifs du christianisme constituent donc la pierre d’assise de la critique que Rousseau lui adresse. Celle-ci se révèle en cela, dans le Contrat social, formulée du point de vue de l’utilité et non de celui de la vérité. Or pour déterminer la matière et la forme d’une religion conforme au droit politique, le législateur devra également adopter le point de vue de l’utilité. Le raisonnement de Rousseau se décline ainsi :

Le droit que le pacte social donne au souverain sur les sujets ne passe point, comme je l’ai dit, les bornes de l’utilité publique. Les sujets ne doivent donc compte au souverain de leurs opinions qu’autant que ces opinions importent à la communauté. Or il importe bien à l’État que chaque citoyen ait une religion qui lui fasse aimer ses devoirs; mais les dogmes de cette religion n’intéressent ni l’État ni ses membres qu’autant que ces dogmes se rapportent à la morale, et aux devoirs que celui qui la professe est tenu de remplir envers autrui. Chacun peut avoir au surplus telles opinions qu’il lui plait, sans qu’il appartienne au souverain d’en connaitre; Car comme il n’a pas de compétence dans l’autre monde, quel que soit le sort des sujets dans la vie à venir ce n’est pas son affaire, pourvu qu’ils soient bons citoyens dans celle-ci490.

En droit, le souverain peut légiférer sur ce qui se rapporte à l’intérêt commun. Il ne peut en revanche charger les citoyens d’obligations inutiles à la communauté; « il ne peut pas même le vouloir491 ». Or il existe bien pour Rousseau quelques opinions nécessaires au bien-être de la communauté, des opinions « sans lesquelles il est impossible d’être bon citoyen ni sujet fidèle492 ». Ce sont des « maximes sociales493 », c’est-à-dire des opinions qui insufflent en chacun un « sentiment de sociabilité494 ». Dans une note de bas de page de l’Émile, on en comprend toute l’importance : « l’irréligion et en général l’esprit raisonneur et philosophique attache à la vie, effémine, avilit les âmes, concentre toutes les passions dans la bassesse de

les uns avec les autres (ibid., p. 462). Sur la nocivité de la contradiction dans l’âme humaine en général, voir aussi :

Fragments politiques, pp. 475 et 510 ; Rousseau juge de Jean-Jacques, p. 828 ; Émile, pp. 249-251.

489 Contrat social, p. 464. 490 Ibid., p. 468. 491 Ibid., p. 373. 492 Ibid., p. 468.

493 Lettre à Voltaire sur la Providence, p. 1073. 494 Contrat social, p. 468.

l’intérêt particulier, dans l’abjection du moi humain, et sape ainsi à petit bruit les vrais fondements de toute société, car ce que les intérêts particuliers ont de commun est si peu de chose qu’il ne balancera jamais ce qu’ils ont d’opposé495 ». Sans le support de certaines opinions religieuses, les passions aimantes ne semblent pas capables de faire équilibre à l’attrait de l’intérêt particulier. On en devine la raison profonde. Comme Rousseau les fait dériver de l’amour de soi, celles-ci ne sauraient, sans un support extérieur, rendre chaque contractant apte à « immoler au besoin sa vie à son devoir496 ». Une éducation religieuse s’avère ainsi indispensable au parachèvement de l’éducation du citoyen. Sans elle, l’identification du sort de chacun à celui de la communauté ne peut manquer de s’effriter, et ce, parce que les points par où divergent les intérêts individuels se révèlent infiniment plus nombreux que ceux par où ils convergent. Autrement dit, sans la religion, à la longue, l’amour que chacun se porte naturellement cesse d’envelopper les autres; le moi se rétrécit, et avec lui le point d’application des passions.

En résumé, le souverain est en droit de légiférer sur ce qui se rapporte à l’intérêt commun, et certaines opinions religieuses importent effectivement au sort de la communauté, parce qu’elles entretiennent un lien direct avec la morale. Le souverain est par conséquent en droit d’exiger de ses membres qu’ils professent publiquement leur foi en elles. Ces opinions sont simples, et en petit nombre. Par la négative, le raisonnement de Rousseau soustrait en revanche de la prise de l’État l’ensemble des opinions religieuses qui n’entretiennent aucun lien avec la pratique journalière des devoirs civiques : « [Quant] aux opinions qui ne tiennent point à la morale, qui n’influent en aucune manière sur les actions, et qui ne tendent point à transgresser les lois, chacun n’a là-dessus que son jugement pour maitre, et nul n’a ni droit ni intérêt de prescrire à d’autres sa façon de penser497 ». La religion purement civile que propose Rousseau constitue donc l’exigence d’une forme de religiosité minimale de la part des citoyens. Au-delà de cette religiosité minimale, elle implique l’admission en droit de la diversité des opinions et des coutumes religieuses.

495 Émile, p. 633.

496 Contrat social, p. 468.

497 Lettre à Christophe de Beaumont, p. 973. Ces opinions sans lien avec la pratique constituent quant à elles la très

vaste majorité des opinions religieuses. On compte dans leurs rangs, par exemple, celles portant sur la Sainte Trinité, sur la résurrection du Christ, sur les miracles qu’il a pu ou non accomplir, etc.

Élaborée à partir du point de vue de l’utilité, elle ne contiendrait donc que les quelques croyances spirituelles nécessaires au maintien du corps social et des lois : « L’existence de la divinité puissante, intelligente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante, la vie à venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la sainteté du contrat social et des lois; voilà les dogmes positifs. Quant aux dogmes négatifs, je les borne à un seul; c’est l’intolérance498 ». Quelques remarques s’imposent. Les « dogmes positifs » de la religion civile, à l’exclusion du dernier499, correspondent au plus petit dénominateur commun entre les religions monothéistes. Ils correspondent aussi et par le fait même, comme plusieurs commentateurs l’ont fait remarquer, aux seuls dogmes admis par la religion naturelle, qui fait l’objet d’un long développement dans l’Émile de la part du Vicaire Savoyard500. Cela laisse penser que si les dogmes de la religion civile sont déterminés en fonction de leurs conséquences politiques, il semble pourtant que ceux-ci ne doivent pas être considérés comme de pures fabrications. Autrement dit, adopter le point de vue de l’utilité ne signifie pas forcément que la vérité doive lui être sacrifiée. Pour parvenir à une compréhension approfondie de la religion civile, il semble en ce sens nécessaire d’étudier brièvement les rapports qu’elle entretient avec la religion naturelle.

Dans l’œuvre de Rousseau, la première apparition de l’idée d’une « profession de foi purement civile » se trouve dans la Lettre à Voltaire sur la Providence (18 août 1756). Si l’on en croit Gouhier, cette lettre marquerait l’étape d’un croisement des réflexions de Rousseau sur la religion naturelle et la religion civile, « l’une et l’autre recevant plus tard leur forme définitive dans deux ouvrages écrits en même temps et publiés la même année, en 1762501 » : l’Émile et le Contrat social. Autrement dit, sous forme d’ébauche, l’une et l’autre ne semblent faire qu’une dans la Lettre à Voltaire sur la Providence; elles n’auraient été séparées qu’ensuite. Le Contrat social parait fournir l’une des raisons de cette séparation.

498 Contrat social, pp. 468-469.

499 Nous consacrerons plus bas un développement substantiel à la manière dont on doit entendre le dogme de la

sainteté du contrat social et des lois.

500 Cf. H. Gouhier, Les méditations métaphysiques de Jean-Jacques Rousseau, p. 252; Philip Knee, « Religion et

souveraineté du peuple : de Rousseau à Tocqueville », dans Canadian Journal of Political Science / Revue canadienne de

science politique, XXIH:2 (June/juin 1990), p. 217.

Le chapitre sur la religion civile fait en effet directement référence à la religion naturelle; il la désigne à la fois comme le « vrai théisme502 » et comme le « christianisme503 » originel. Mais remarquons, avec Gouhier encore une fois, qu’elle n’a de chrétienne que le nom : elle ne remédie à aucun péché, enseigne un salut sans grâce, présente un christ sans incarnation, sans résurrection, sans rédemption, et postule une primauté des œuvres sur la foi504. La religion naturelle est en fait une religion simple, dépouillée de mystères et, plus généralement, de tout apparat; elle est « sans temples, sans autels, sans rites, bornée au culte purement intérieur du Dieu suprême et aux devoirs éternels de la morale505 ». Cette simplicité lui vaut cependant un défaut : elle n’entretient « nulle relation particulière avec le corps politique », laissant « aux lois la seule force qu’elles tirent d’elles-mêmes sans leur en ajouter aucune autre, et par là un des grands liens de la société particulière reste sans effet506 ». La religion naturelle se doit alors d’être complétée pour être admise en cité, et ce, en lui adjoignant cette « relation particulière » avec le corps de l’État lui faisant défaut. De là, sans doute, l’ajout d’un dogme négatif qui proscrit explicitement l’intolérance, et celui d’un dogme positif sur la sainteté du contrat social et des lois. Mais cette différence, à notre avis, s’avère beaucoup plus ténue que ce que Rousseau en dit dans son Contrat social. En vérité, il y a un parallélisme tout à fait frappant entre la religion naturelle et la religion civile, et ce, parce que les dogmes que cette dernière contient en plus ne semblent que transposer politiquement certains traits inhérents à la religion naturelle. Pour le montrer, il nous faudra porter un instant notre attention sur la Profession de foi du Vicaire Savoyard, au quatrième livre de l’Émile.

La Profession de foi expose le parcours intellectuel et spirituel du Vicaire Savoyard. Pour se sortir d’un pyrrhonisme insupportable, celui-ci se propose de concentrer ses recherches sur ce qui l’ « intéresse immédiatement507 », c’est-à-dire sur les seuls dogmes religieux « essentiels à la pratique508 ». Ces dogmes, pour cette raison même, « importent à la communauté » aux yeux du législateur, parce qu’ils incitent chacun à « aimer ses devoirs509 ».

502 Contrat social, p. 464

503 Ibid., p. 465.

504 Cf. H. Gouhier, Les méditations métaphysiques de Jean-Jacques Rousseau, p. 238. 505 Contrat social, p. 464.

506 Ibid., p. 465.

507 Émile, p. 569. Nous avons adapté le temps du verbe. 508 Idem.

Pour parvenir à la conclusion qu’il existe, au principe de toute chose, une volonté toute puissante et bienveillante, et, après la mort, une rétribution des biens et des maux commis, le Vicaire utilise une méthode intellectuelle particulière, qui met volontairement de côté l’autorité des textes considérés couramment comme révélés510. Cette méthode, Rousseau la décrit en ces termes dans les Rêveries du promeneur solitaire : « trouvant de toutes parts des mystères impénétrables et des objections insolubles, j’adoptai dans chaque question le sentiment qui me parut le mieux établi directement, le plus croyable en lui-même sans m’arrêter aux objections que je ne pouvais résoudre mais qui se rétorquaient par d’autres objections non moins fortes dans le système opposé511 ». Contrairement aux positions matérialistes, les articles de foi qu’en vient à se donner le Vicaire jouissent donc aux yeux de Rousseau de certains avantages rationnels, sans pour autant faire l’objet de démonstrations qui évinceraient tout à fait les points de vue opposés. Ils expliquent le monde d’une manière plus simple, plus intelligible ; ils permettent d’éviter de tomber dans des paralogismes, dans des absurdités criantes512. Ils offrent plus de vraisemblance, ce pour quoi le sentiment intérieur se prononce en leur faveur.

En d’autres mots, les articles de foi du Vicaire permettent le dépassement de son premier pyrrhonisme parce que la persuasion du cœur s’ajoute à la découverte de leur vraisemblance par la raison. Le contenu de la religion naturelle peut donc être déterminé par le seul usage des facultés dont l’homme dispose naturellement. Il est universel, et ce, parce qu’il s’offre au cœur et à l’intelligence de chacun : « L’homme à la fois raisonnable et modeste, dont l’entendement exercé, mais borné, sent ses limites et s’y renferme, trouve dans ces limites la notion de son âme et celle de l’auteur de son être, sans pouvoir passer au-delà pour rendre ces notions claires

510 L’une des lignes directrices de l’Émile est certainement l’effort pour supprimer toute forme d’apprentissage qui

se produit via l’imposition de l’autorité intellectuelle d’un quelconque maître, qu’il soit réel ou livresque. Lorsque vient le temps d’enseigner à Émile, l’élève fictif du traité, ses premières notions religieuses et morales, un problème particulièrement difficile se pose : « C’est surtout en matière de religion que l’opinion triomphe. Mais nous qui prétendons secouer son joug en toute chose, nous qui ne voulons rien donner à l’autorité, nous qui ne voulons rien enseigner à notre Émile qu’il ne pût apprendre de lui-même par tout pays, dans quelle religion l’élèverons-nous ? » (Émile, p. 558). La Profession de foi du Vicaire Savoyard répond directement à ce problème ; elle constitue en cela, écrit Rousseau, un « exemple de la manière dont on peut raisonner avec son élève pour ne pas s’écarter de la méthode que j’ai tâché d’établir » (ibid., p. 635).

511 Les rêveries du promeneur solitaire, p. 1018. Voir aussi trois autres passages similaires : Émile, p. 570 ; Rousseau juge de

Jean-Jacques, p. 879 ; Lettre à M. de Franquières, p. 1135.

512 Voir sur ce point l’examen minutieux d’Olaso. Cf. E. Olaso, « The two scepticisms of the Savoyard vicar »,

dans Richard A. Watson and James E. Force (ed.), The Sceptical Mode in Modern Philosophy. Essays in Honor of Richard

H. Popkin, Dordrecht, coll. « Archives internationales d'histoire des idées », Boston, 1988, pp. 50-51. Voir aussi

Marc-André Nadeau, « Le scepticisme de Rousseau dans La profession de foi du vicaire savoyard », dans Lumen 25 (2006), p. 32-36.

et contempler d’aussi près l’une et l’autre que s’il était lui-même un pur esprit513 ». Parce que la religion civile, en bonne partie, se borne à réitérer le contenu de la religion naturelle, elle se rend indépendante de toute forme de révélation mystérieuse, et efface par le fait même ce qui, politiquement, justifie l’existence d’un corps sacerdotal ayant pour vocation et pour privilège exclusif d’en déterminer la signification dernière.

Au-delà de ce qu’on peut raisonnablement conclure en matière de religion, la raison doit cependant constater ses limites et les respecter : « tant qu’on ne donne rien à l’autorité des hommes ni aux préjugés du pays où l’on est né, les seules lumières de la raison ne peuvent dans l’institution de la nature nous mener plus loin que la religion naturelle514 ». La deuxième partie de la Profession de foi du Vicaire Savoyard table ainsi sur l’insuffisance des preuves qu’offrent les tenants des principales religions révélées pour pousser plus loin la métaphysique minimaliste mise en place par le Vicaire. En d’autres termes, le Vicaire tentera d’y montrer qu’on ne saurait raisonnablement choisir une religion particulière pour compléter la religion naturelle – pour dissiper l’obscurité de ses dogmes, en étendre le nombre et en faire, à proprement parler, des connaissances. Pour tout ce qui excède les articles de foi de la religion naturelle, le Vicaire reste autrement dit dans un « scepticisme involontaire515 ». La tolérance que le Souverain commande à ses membres d’adopter envers la diversité des pratiques religieuses516 parait l’équivalent politique de ce scepticisme. Ainsi, le « dogme négatif » de la religion civile ne constitue pas réellement un ajout à la religion naturelle; il clarifie et formule comme « dogme » la conduite qu’elle inspire. En effet, le doute du Vicaire est respectueux; cette suspension du jugement à laquelle il se voit contraint signifie qu’il s’abstient de rejeter ou admettre ce qui, en matière de religion, n’est pas à la portée de ses facultés. Il est par là porté à voir les religions établies comme « autant d’institutions salutaires qui prescrivent dans chaque pays une manière uniforme d’honorer Dieu par un culte public, et qui peuvent toutes avoir leurs raisons dans

513 Lettre à M. de Franquières, p. 1137. 514 Émile, pp. 635-636.

515 Ibid., p. 627.

516 Précisons : le souverain proscrit l’intolérance envers les religions compatibles avec le petit noyau de croyances

qu’il demande d’adopter. Cela signifie le rejet des religions qui se prétendent l’unique voie vers le salut, et ce, précisément parce que ces religions sont intolérantes par principe. Cf. Contrat social, p. 469 ; Lettre à Voltaire sur la

(…) quelque autre cause locale qui rend l’une préférable à l’autre selon les temps et les lieux517 ».

De manière similaire, le dogme de la religion civile posant la sainteté du contrat social et des lois pourrait en quelque sorte traduire, toujours sur le plan politique, l’usage que le précepteur fait de la religion naturelle auprès d’Émile. C’est ici que le parallèle entre les deux religions se ferait le plus instructif. Penchons-nous sur une scène de la fin du quatrième livre de l’Émile, qui étaye singulièrement ce parallèle, puisqu’à travers elle Rousseau complète une réflexion sur le respect des engagements entamée dès le deuxième livre. Intéressons-nous particulièrement au contexte qui amène Émile à s’engager auprès de son précepteur, contexte soigneusement déterminé par ce dernier.

Pour influencer la sensibilité de son élève, en effet, le précepteur agit soigneusement sur son imagination – à la manière des grands hommes politiques de l’Antiquité. La façon dont il tire les ficelles dans cette scène est directement inspirée d’une maxime de philosophie politique qu’enseigne l’histoire ancienne. Elle s’avère en cela solidaire d’une critique de la manière dont les hommes politiques modernes exercent leur pouvoir : « J’observe que dans les siècles modernes les hommes n’ont plus de prise les uns sur les autres que par la force et par l’intérêt, au lieu que les anciens agissaient beaucoup plus par la persuasion, par les affections de l’âme, parce qu’ils ne négligeaient pas la langue des signes518 ». En faisant impression sur l’imagination de leurs concitoyens, les grands politiques de l’Antiquité parvenaient à diriger leur volonté même, et à rendre l’usage de la force et celui de l’intérêt inutiles. Tout comme le législateur du Contrat social, le précepteur d’Émile imite (dans une certaine mesure) leur exemple; il renonce à convaincre par de froids arguments, pour plutôt s’appliquer à la persuasion, de manière à « faire passer par le cœur le langage de l’esprit519 ». Cette duplicité sert un but précis, également similaire à celui que poursuit le législateur : produire un pacte compatible avec la liberté de celui qui y consent, tout en assurant la solidité de la parole donnée. Mais pour suivre l’exemple des grands politiques de l’Antiquité, il lui faut, mutatis mutandis, reproduire les conditions dans lesquelles ceux-ci concluaient leurs contrats :

Toutes les conventions se passaient avec solennité pour les rendre plus inviolables ; avant que la force fut établie les dieux étaient les magistrats du genre humain : c’est par-devant

517 Émile, p. 627.

518 Ibid., pp. 645-646. 519 Ibid., p. 648.

eux que les particuliers faisaient leurs traités, leurs alliances, prononçaient leurs promesses ; la face de la terre était le livre où s’en conservait les archives. Des rochers, des arbres, des monceaux de pierre consacrés par ces actes et rendus respectables aux hommes barbares, étaient les feuillets de ce livre ouvert sans cesse à tous les yeux. Le puits du serment, le puits du vivant et voyant, le vieux chêne de Mambré, le monceau du témoin, voilà quels étaient les monuments grossiers mais augustes de la sainteté des contrats ; nul n’eut osé d’une main sacrilège attenter à ces monuments, et la foi des hommes étaient plus assurée par la garantie de ces témoins muets qu’elle ne l’est aujourd’hui par toute la vaine rigueur des lois520.