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Chapitre 1 - Les communautés de pratique : une théorie sociale de l'apprentissage une théorie sociale de l'apprentissage

4. Le développement des communautés de pratique

4.4. Un autre regard, pour aller plus loin

Un certain nombre d'auteurs questionnent et proposent des points de vue différents sur les communautés de pratique pour tenter de définir davantage ce qu'elles sont, mais aussi pour donner des clés qui permettraient d'approfondir la théorie des CoP et de l'apprentissage situé. Ainsi, Baron et Bruillard (2006) s'interrogent à propos des CoP ou des CoPV. Comment peut-on attester de l’acquisitipeut-on de cpeut-onnaissances23 ? De quelles connaissances s’agit-il ? Si des phénomènes d’acquisition sont mis en évidence, à quoi les attribuer ? Pour pouvoir répondre à ces questions, ils proposent un cadre de référence théorique qui fait appel aux théories de

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Selon Laferriere et Nizet (2004) « l’apprentissage collectif n’est pas mesurable, il est seulement « interprétable» par le chercheur grâce aux données qui consignent les processus de développement collectif des communautés de pratique virtuelles» (p.25).

l'activité développées par Vygotsky, Léontiev, Engeström. Selon eux, s'inspirer du travail issu du champ du Computer Supported Collaborative Learning (CSCL) peut être porteur. On y retrouverait les éléments théoriques suivants : les trois métaphores (processus de construction de Sfard et Paavola), le modèle de Nonaka et Takeuchi (distinction entre connaissances tacites et explicites), l’apprentissage expansif d’Engeström (théorie culturo-historique de l’activité) ou son cycle développemental et enfin le modèle de construction de connaissances de Bereiter (théorie critique pour l’éducation). Un auteur comme Lipponen (2002) permettrait même de faire un tour d’horizon des concepts et théories de ce champ récent. Concernant l'analyse des interactions, ils orientent leurs lecteurs vers des auteurs comme Rourke ou Peraya qui ont mis au point des techniques éprouvées.

De leur côté, Audran et Pascaud (2006) invitent à repérer dans les pratiques sociodiscursives la construction identitaire et la culture des communautés : « L’importance de la modalité discursive tient dans le fait que le discours est témoin d’une pensée, mais en même temps dépasse cette pensée en la faisant évoluer au sein de l’action de socialisation » (ibid., p.212). Ils développent les aspects du couple participation-réification dans le processus de construction identitaire, qui résulte de la négociation des significations au cours de l’action des CoPV, pour pouvoir repérer dans les messages des signes qui participent à la construction culturelle et qu'ils distinguent selon qu'ils sont des indices, des icônes ou des symboles24. Pour eux, les groupes s’approprient collectivement ces signes et révèlent la construction identitaire et culturelle.

Astier (2008) propose de tenir compte des concepts de formats et d'étayage dans l'interaction de tutelle, développés par Bruner pour analyser les interactions sociales car pour lui le format fournit le cadre au développement de l'interaction de tutelle : « C’est ce cadre dans lequel l’interaction est contenue et qui permet de doser l’ingérence de celui qui sait dans la situation pour aider celui que ne sait pas faire, à agir et, par là, à pouvoir comprendre» (ibid., p.169). Quant à Billet (2008), il appelle à prendre en compte l’agir individuel (individual agency) qui jouerait un rôle fondamental dans le processus d’apprentissage et de remaniement culturel

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L’indice est un signe qui n’existe que parce qu’il désigne un objet sans avoir véritablement de caractère commun avec lui (une trace de pas, un bruit d’eau). L’icône possède des traits communs avec l’objet désigné et procède par plus ou moins grande analogie avec l’objet (croquis, schéma, panneau figurant l’objet). Le symbole, comme l’indice, est un signe qui ne procède pas vraiment de façon analogique, mais qui opère une désignation grâce à un code conventionnel que doivent partager ceux qui le perçoivent pour l’interpréter correctement (Audran et Pascaud, 2006, p.215).

ainsi que l’épistémologie, les croyances et l’intentionnalité des participants pour comprendre la question de l’apprentissage dans un espace professionnel.

Pour comprendre la dynamique des communautés de pratique, Barton et Hamilton (2005) proposent d'employer les théories du langage, du littérisme, du discours et du pouvoir, tout en confrontant les concepts de CoP et de réification à la perspective sociologique de la théorie de l’acteur réseau (ANT) et le concept d'agency de Bruno Latour, à cause de son pouvoir analytique davantage orienté vers le global (macro). Cette théorie utilise les métaphores de la théorie des réseaux et des nœuds, plutôt que la notion de communautés comme Wenger. Dans ce cas, un réseau implique une mobilisation de ressources ou « agents » qui sont généralement des matériaux physiques, des représentations, des personnes et la création de ce que Latour appelle des « mobiles stables », une notion proche de celle de la réification, dans la mesure où ces représentations sont des aspects du monde qui sont transférables et peuvent donc être accumulés et combinés de manières nouvelles à distance, et utilisées pour coordonner l’action depuis des centres de pouvoir. L'agency peut être une clé pour la compréhension du pouvoir analytique de l’ANT et constitue une connexion avec la réification (l’agency réside en une combinaison d’êtres humains et d’objets non-humains) : «[l’] ANT suggère ainsi que les objets peuvent être vus comme des objets possédant de l’agency dans le sens où ils peuvent agir à la place des humains pour médier ou coordonner les activités d’autres » (ibid., p.11), comme par exemple un programme informatique. La notion de réification prendrait de nouvelles dimensions dans ce cas et pourrait être approfondie en augmentant son pouvoir théorique

Rogalski (2004) invite à s'appuyer sur le travail de la didactique professionnelle qui repose lui-même sur les travaux sur le développement cognitif développé par Piaget et Vygotsky (incluant son modèle de double germination) ainsi que sur les notions de concepts pragmatiques et de structure conceptuelle de la tâche de Pastré et son cadre de double régulation de l’activité qui intervient au cours des processus de réflexivité professionnelle. Pour l’auteure, « le modèle de « double germination » des concepts, défendu par Vygotsky, offre un cadre pour analyser un développement des compétences articulant les apports de l’expérience en situation et ceux d’une formation centrée sur les savoirs de référence (de la profession) » (ibid., p.114), ceci incluant la zone proximale de développement. Les concepts piagétiens de schèmes d’action s’intègrent dans le modèle de double régulation : « Deux processus sont en jeu dans l’activité : dans le sens « proactif », un processus d’assimilation de la situation occurrente aux conceptualisations et aux schèmes préexistants, et, dans le sens «

réactif », un processus d’accommodation des connaissances et des schèmes d’action du sujet, qui se modifient sous l’effet de l’interaction avec la situation, la situation incluant la dimension collective et organisationnelle (que la cognition et l’apprentissage situés conceptualisent comme « communauté de pratique) » (ibid., p.115). Les notions liées de concepts pragmatiques et de structure conceptuelle de la tâche (Pastré) sont centrales aussi dans la didactique professionnelle : « Les concepts pragmatiques sont le résultat du développement d’une communauté d’action : ils sont élaborés dans l’action et pour l’action ; ils font partie des savoirs de référence; ils « circulent » des « anciens » aux « nouveaux » et ils peuvent être des objets partagés entre ingénieurs et opérateurs » (ibid., p.115). Les opérations métacognitives apparaissent comme un composant important de l’activité et elles sont aussi à prendre en compte dans l’analyse de l’activité.

Pour parvenir à délimiter la notion de CoP et l’opérationnaliser, Vaast (2002) propose de faire appel aux apports de la psychosociologie. Il s'agit alors de se pencher sur les groupes restreints, primaires, secondaires, etc., de Anzieu & Martin (1986), sur les apports méthodologiques et conceptuels de la sociologie du travail (Dubar, 1991; Lucas & Dubar, 1994; Sainsaulieu, 1988), et dernièrement d’intégrer les apports de la conception du pouvoir de Foucault et de la théorie de l’acteur-réseau (Latour et Woolgar, 1986). La raison ici est que les trois théories partagent un intérêt central mais avec des niveaux d’observation et des échelles temporelles différentes.

Dans la revue Pratiques de Formation - Analyses (2008), des auteurs comme Astier et Ulmann suggèrent de revisiter des travaux plus anciens, français pour la plupart, où la question centrale de la transmission du métier et l'élaboration de la maîtrise a été traitée. Il s'agit de Delbos et Jorion (1984), Dodier (1993) et Darré (1996).

Enfin, Viens (2012), avec la même perspective que les auteurs précédents, n’hésite pas à revisiter cent ans de recherche sur les apprentissages sociaux et médiatisés. Selon lui, les questions de recherche ne changent pas, seuls les médias évoluent. Il déplore que les chercheurs intègrent trop peu des recherches de plus de dix ans dans leurs travaux. Il évoque également d’autres courants de pensée ou théories de l’apprentissage complémentaires de celles des CoP pour comprendre les processus d’apprentissage, comme par exemple l’apprentissage social de Bandura, le socio-constructivisme de Vygotsky, le connexionnisme de Rumelhart et McClelland ou encore le connectivisme de Siemens.