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Chapitre 1 - Les communautés de pratique : une théorie sociale de l'apprentissage une théorie sociale de l'apprentissage

2. Approche des communautés de pratique

2.3. Un espace social d'apprentissage

Pour Viens (2006), les activités des membres d'une CoP ne constituent en aucun cas des activités de formation reconnues et formalisées : « leur objectif principal n’est pas l’apprentissage en soi mais le soutien à une pratique » (p.251). Nous comprenons que l'apprentissage est issu uniquement de la collaboration avec des pairs dans un système où la connaissance de la communauté vaut bien plus que la connaissance individuelle (Johnson, 2001). Il est évident que « le concept de CoP repose sur une conception sociale des apprentissages et sur l’importance fondamentale de la pratique. L’accent est alors porté sur les compétences comme l’agrégation de leurs connaissances et de leur expérience [...] mais également sur les significations portées à ces connaissances et sur les notions d’affiliation et d’identité, cruciales en formation » (Noël-Hureaux, 2008, p.103). L'apprentissage, le sens et l'identité émergent et s'élaborent par et dans la communauté. L'intégration et la participation des membres nécessitent qu'ils se conforment aux normes et aux valeurs de la communauté, mais en retour elle leur donne les moyens de l'influencer. C'est pourquoi, selon Dillenbourg (2003) « la construction d’une micro-culture et/ou l’intériorisation de celle-ci constituent le principal vecteur d’apprentissage : les membres de la communauté peuvent y acquérir un langage adapté aux objectifs spécifiques de la communauté, une manière d’appréhender les problèmes, des normes et des systèmes de valeurs… En d’autres termes, la construction de connaissances au sein d’une communauté va bien au-delà du simple échange d’informations ou de ressources entre membres » (p.7). La communauté devient en soi une expérience d'apprentissage et, en retour, la communauté humaine apprend à se comporter comme « un système social d'apprentissage » qui fournit des occasions d'apprendre par l'échange et la production de savoirs formels et non formels, constitutifs de la pratique (Langelier, 2005). Les

connaissances explicites côtoient ainsi les connaissances tacites2, l'apprentissage émerge alors des activités, des interactions entre pairs et du processus d'acculturation des individus qui apprennent les modes de comportements, les modèles et les normes du groupe de façon à être acceptés et pouvoir y participer. L'apprentissage autonome des membres est rendu possible parce que « les communautés confèrent la responsabilité de la gestion du savoir à ceux qui en ont besoin, soit les praticiens qui appliquent ce savoir à l’exécution de leurs tâches » (ibid., p.8).

Dillenbourg (2003) livre quelques règles d’apprentissage d’une communauté :

- les échanges dans la communauté prennent souvent une forme narrative et ouverte (peu de questions/réponses fermées) ;

- les membres d’une communauté ont la capacité d'inférer l’information désirée de l’information donnée ;

- les individus co-construisent l’interprétation de leur expérience personnelle (via les interprétations multiples de la communauté) ;

- l’apprentissage se contextualise en prenant une forme plus narrative. L’information contextuelle s’exprime du point de vue de celui qui apprend et de ce qu’il a besoin d’apprendre, au moment opportun.

Selon le rapport de recherche de Laferrière et al (2004), toutes les communautés de pratique ne se valent pas face à l'apprentissage et toutes ne produisent pas les situations permettant à celui-ci de prendre place. Selon eux, l'apprentissage dans une CoP virtuelle est difficile, voire impossible à évaluer, sa détection relève de l’interprétation des chercheurs. Les auteurs ont repéré un certain nombre d'actions qu'il faut pouvoir observer parmi les participants pour juger de l'apparition d'un apprentissage :

- clarifier le sens d’une notion ; - se doter d’un nouvel outil de travail ;

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Les deux types de connaissances sont distingués de la manière suivante depuis Michael Polanyi (1967) la connaissance explicite est une connaissance codifiée, qui peut être transmise dans un langage formel et structuré tandis que la connaissance tacite est une connaissance personnelle, qui réside dans la tête de l’individu et qui ne peut pas toujours être articulée sous forme codée. Cette dernière est implicite et fait appel à l’expérience et au savoir-faire de la personne qui la possède. Non tangible, elle peut être difficile, voire impossible à expliciter dans une forme exploitable par d’autres personnes.

- se donner une compréhension commune d’une procédure ; - s’entendre sur les limites d’interprétation d’une norme ; - se conformer à une nouvelle prescription légale ; - convenir de l’application d’une directive.

À ces actions, ils ajoutent que « la production d’un texte ou d’un outil est un signe encore plus manifeste d’un résultat concret obtenu à la suite de la négociation de sens » (ibid., p.67), cette dernière étant au cœur du processus d'apprentissage et de la formation de la pratique, de sa culture. Enfin, Tremblay (2003) met en exergue un certain nombre de conditions pour que les activités aient lieu et que les apprentissages puissent se produire dans une communauté de pratique, même virtuelle :

- un engagement mutuel à l’égard de la tâche ou de la communauté (une entreprise conjointe) ;

- un répertoire partagé de ressources (un « bagage commun », un langage commun... notamment pour faciliter les échanges, éviter les incompréhensions ou les conflits) ; - un « régime négocié de compétences » (une entente sur certaines règles de fonctionnement) ;

- l’importance de l’animateur ou du leader ;

- l’intérêt et la motivation des individus à travailler ensemble comme groupe ; - le soutien et les ressources mises à disposition par l’organisation ;

- le soutien et la légitimité de la CoP par le supérieur immédiat ; - une technologie simple accompagnée d’un soutien technique. 2.4. Pourquoi un tel succès ?

Depuis quelques années, et notamment depuis le développement de l'usage des TIC, les communautés de pratique connaissent un succès grandissant dans les entreprises parce que ce mode d'organisation s'accompagne de capacités de production et de gestion de connaissances importantes. Les entreprises se sont aperçues que les CoP ont la faculté de bâtir elles-mêmes des pratiques exemplaires et que ce mode de collaboration possède un potentiel d'innovation si important dans le contexte économique actuel, hyper compétitif, qu'elles sont devenues un élément stratégique de certaines organisations (Henri et Pudelko, 2006).

Par ailleurs, Bourhis et Tremblay (2004) rapportent que les entreprises s'intéressent depuis quelques années déjà à diverses formes de participation et à leurs impacts : le travail en équipe, l'apprentissage organisationnel et le travail collaboratif. Mais ce qui change dorénavant, c'est le regard que ces mêmes organisations portent sur l'apprentissage qui est devenu, pour elles, une source possible de gains de productivité, de motivation et de loyauté. Par exemple, la recherche de gains de productivité indirecte a conduit à mettre en œuvre des dispositifs de gestion des connaissances3 (Knowledge Management ou KM) qui sont considérés actuellement comme une modalité de formation dans les organisations apprenantes4. C'est à ce titre que les CoP sont devenues une forme de développement des connaissances qui est, cette fois-ci, davantage axée sur les individus et leurs échanges que sur la « gestion» par l’entreprise. Ainsi, « après le travail collaboratif et le travail en équipe, le recours aux CoP semble vouloir s’imposer comme une nouvelle modalité d’apprentissage, de développement des compétences collectives de l’apprentissage organisationnel ou de l’efficacité collective de l’organisation » (ibid., p.3). Les entreprises voient en elles un moyen de diffusion informelle de connaissances pertinentes, d'’amélioration de l’innovation et de la productivité, ainsi qu'un renfort de la direction stratégique de l'organisation.

En dehors des aspects pragmatiques et d'une appropriation des travaux dans le domaine de la formation et de la gestion, la théorie des CoP est exploitée dans le champ de la recherche scientifique pour étudier les communautés :

« La proposition théorique de Wenger, qui se rattache à la théorie de l’apprentissage situé, est pertinente à l’étude de l’activité des communautés puisqu’elle adhère au principe qui veut que la cognition et l’apprentissage soient intégralement et de manière inséparable situés dans le quotidien. Elle envisage l’activité de la communauté comme une œuvre de connaissance qui se bâtit au jour le jour au fil d’expériences pratiques de situations réelles » (Henri et Pudelko, 2006, p.107).

3

Le Knowledge Management est un procédé de gestion des connaissances qui doit aider les organisations à rester compétitives. L’entreprise développe des processus permettant la production, la sauvegarde et la diffusion de ces connaissances au sein de son organisation. La compétence ou la connaissance sont approchées en termes de stock, d'enrichissement ou de capitalisation par exemple (Dalila et Henri, 2008).

4

Une organisation est dite apprenante lorsque sa structure et son fonctionnement favorisent les apprentissages collectifs, en développant une logique de professionnalisation et non de qualification. Les situations de travail sont exploitées aux fins d'apprentissage. Le travail en réseau et la capitalisation sont privilégiés, les échanges et la communication organisés. L'évaluation fait partie des pratiques courantes, elle est reconnue comme source de connaissances. L'encadrement, fortement impliqué, s'attache à mettre en cohérence management de la formation et management des compétences (Ellul, 2001).

La modélisation des communautés de pratique proposée par Wenger offre ainsi un moyen de penser les communautés et constitue « un analyseur original qui pointe des aspects méconnus des dynamiques organisationnelles » (Vaast, 2002, p.8) et c'est bien à ce titre que Wenger présenta sa théorie en 1998.