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Chapitre 2 - Repères épistémologiques et méthodologiques méthodologiques

3. Panorama des approches « qualitatives »

« Peut-on fixer une typologie des méthodes qualitatives », apte à rallier les chercheurs et fournir un cadre de référence commun ? C'est ce qu'a tenté Royer (2007) mais l'opération semble vaine, tant les termes utilisés pour définir les méthodes et ce qui les fonde semblent variés et disparates, ce qui aboutit à une grande confusion. De Ketele & Maroy (2006) ajoutent qu'il serait vain de vouloir établir une hiérarchie entre les diverses méthodes tant elles sont nombreuses, diversifiées et complémentaires. Cependant, certains auteurs se sont essayés à proposer des classements et des catégories d'approche qualitative. C'est à partir de ces derniers que je tenterai d'y voir plus clair. Je me propose donc de balayer un ensemble important de méthodes qualitatives à partir de propositions typologiques issues de leurs ouvrages afin de m’éclairer sur les choix possibles. Si je suis bien conscient que connaître l'histoire des approches qualitatives, leur philosophie, leurs relations et leurs particularités aiderait à les distinguer et les positionner plus clairement dans un ensemble, je ne peux pas m’engager dans une étude approfondie des positions théoriques et épistémologiques tant la littérature est abondante et le temps d’une thèse largement insuffisant. C’est pourquoi, ma synthèse des approches qualitatives est nécessairement limitée (par ma propre recension et mes choix).

Mon travail de synthèse repose essentiellement sur Miles et Huberman (2003) - qui ont notamment contribué à diffuser largement les conceptualisations de Wolcott (1990) et Tesch (1990) -, sur Savoie-Zajc et Karsenti (2000, 2004) ainsi que sur Royer (2007).

3.1. Les stratégies qualitatives dans le champ éducatif selon Wolcott (1990) Afin d'enseigner les méthodes de recherche en sciences de l'éducation à ses étudiants, cet anthropologue états-unien a élaboré une typologie apte à représenter la recherche qualitative comme un tout (Royer, 2007). Il produit un panorama des stratégies de recherche qualitatives en empruntant l'image d'un arbre sur lequel il illustre plus de vingt stratégies organisées en fonction du style de recueil de données privilégié.

Figure 5 : stratégies de recherche qualitatives (Wolcott, 1990, p.88)

De façon centrale, le tronc et les branches maîtresses illustrent les trois techniques qu'il juge les plus courantes en recherche qualitative : l'observation participante, les entretiens et l'analyse documentaire, les branches représentant des variations majeures ou mineures de la recherche qualitative. Ces trois techniques s'enracinent dans des activités de terrain pratiquées par le chercheur :

- l'action d'expérimenter, par exemple lorsqu'il pratique une observation participante ;

- l'action de d'enquêter lorsqu'il réalise des entretiens ;

Le chercheur peut suivre la voie de l’une des vingt stratégies représentées. Par exemple, une stratégie de recueil par entretiens peut s'appuyer sur une spécialité comme les récits de vie pour enquêter sur le terrain. La recherche peut faire appel à une technique particulière comme il est possible d'en combiner plusieurs.

3.2. Les types de recherche selon Tesch (1990)

Cette typologie plus ancienne a été réalisée à partir d'une étude des diverses procédures d'analyse de données en usage en recherche qualitative. Tesch les a réduites à 26 types de recherche qualitative articulées autour de quatre centres d'intérêt et représentées sous la forme d'un diagramme qui permet au chercheur de s'orienter selon ses intentions d'investigation.

Figure 6 : diagramme des types de recherche qualitative (Tesch, 1990, p.72)

Selon que l'intérêt réside dans les caractéristiques de langage, la découverte de régularités, la compréhension de la signification d'un texte ou d'une action ou bien la réflexion, le chercheur

fera appel à un type spécifique de recherche. Cette typologie représente également un continuum vertical où l'on retrouve les types de recherches les plus structurées dans le haut tandis que les moins structurées se situent en bas.

3.3. Le processus de recherche de Denzin et Lincoln (2005)

Proposant une conceptualisation du processus de recherche plus qu'une typologie, ces chercheurs ont découpé le déroulement d'une recherche qualitative en cinq phases, chacune représentant un niveau d'activité ou de pratique de recherche. Chaque phase comporte des choix à réaliser qui prédisposent le chercheur à passer de l'une à l'autre, « les phases 2, 3 et 4 suggèrent une classification des « paradigmes », des « stratégies » et des « méthodes » de recueil et d’analyse des données » (Royer, 2007, p.87).

Figure 7 : processus de recherche qualitative en cinq phases (Denzin et Lincoln, 2005, p.23)

Tout d'abord, la phase 1 marque l'entrée du chercheur dans ce processus avec un problème empirique. Le chercheur apparaît comme « socialement situé » et ancré dans des traditions de recherche. Il véhicule son histoire personnelle, ses conceptions et ses préconceptions de

lui-même et des autres, et tout ce bagage traverse les cinq phases du processus qu'il doit par conséquent clarifier, de même qu'il doit confronter les dimensions éthiques et politiques de son projet de recherche. Ensuite, la phase 2 invite le chercheur à se positionner sur un plan paradigmatique afin de construire un cadre d'interprétation parce que « chaque paradigme interprétatif impose des exigences particulières sur le chercheur, y compris les questions que le chercheur pose et les interprétations qu'il leur apporte » (p.31). Le choix ou la construction du cadre se fait en fonction de ses croyances et des sentiments qui le guident, qu'ils soient ontologiques (quel sorte d'être est l'être humain ? quelle est la nature de la réalité ?), épistémologiques (quelle est la relation entre l'investigateur et le « connu » ?), et méthodologique (comment connaissons-nous le monde ou comment obtenir des connaissances de celui-ci?). Puis, la phase 3 implique le choix d'une « stratégie » et la définition du devis de l'enquête à partir des questions de recherche et de la finalité de celle-ci. Les stratégies proposées par Denzin et Lincoln incluent l’étude de cas, la phénoménologie et l’ethnométhodologie, la théorie ancrée ainsi que les approches biographiques, auto-ethnographiques, historiques, recherches action et clinique. La phase 4 propose l'emploi de différentes « méthodes » de recueil (entrevues, observations directes, enregistrements, etc.) et d'analyse (de contenu, narratif, sémiotique, etc.). Enfin, dans la phase 5 dite créative, interprétative, le chercheur dégage du sens de ses données. L'écriture peut prendre plusieurs formes (« confessionnelle, réaliste, impressionniste, critique, formelle, littéraire, analytique, grounded theory », p.35). Elle peut être évaluative lorsqu'elle est orientée vers l'action. Tout au long de ce processus, le chercheur est assisté dans ses choix par des définitions et des tableaux complémentaires qui précisent les propositions inscrites dans chacune des cinq phases.

3.4. Les types de recherches qualitatives en sciences de l'éducation (Savoie-Zajc et Karsenti, 2004)

Ces deux auteurs distinguent essentiellement deux grands types de recherche qualitative en sciences de l'éducation qu'ils qualifient d'interprétatif et d'étude de cas.

3.4.1. La recherche interprétative

La recherche interprétative est, comme les précédentes, une forme de recherche où le chercheur exprime des positions ontologiques (sa vision de la réalité) et épistémologiques (associé aux conditions de production du savoir) : « Dans cette démarche, le chercheur et les participants à la recherche ne sont pas neutres : leurs schèmes personnels et théoriques, leurs valeurs influencent leur conduite et le chercheur tente de produire un savoir objectivé,

c'est-à-dire validé par les participants à la recherche » (p.128). Le processus est le suivant : « le chercheur démarre par une question de recherche qu'il formule d'abord largement et qui va se préciser au cours de la démarche. À cette fin, il s'engage dans un cycle de trois phases : 1) l'échantillonnage théorique, 2) la collecte de données, 3) l'analyse inductive des données. Ce cycle se répète jusqu'à saturation des données, c'est-à-dire le niveau où le chercheur juge que les données nouvelles n'ajoutent plus rien à la compréhension du phénomène et que les catégories d'analyse ne sont plus enrichies par l'apport de données supplémentaires » (p.129). Les auteurs qualifient la théorie ainsi produite d'ancrée ou d'enracinée car elle provient des observations tirées de la réalité.

L'échantillonnage théorique est réalisé intentionnellement sur la base de critères qui permettent d'avoir accès à des personnes partageant certaines caractéristiques. La collecte des données se fait selon trois modes complémentaires dits classiques dans ce type de recherche, soit l'entrevue (dirigée, semi-dirigée, non dirigée), l'observation (participante ou non participante) et enfin le matériel écrit provenant de questionnaires (questions ouvertes par exemple), de textes d'archives, de journaux de bord, etc.

L'analyse des données qualitatives consiste à s'interroger sur le sens contenu dans les données et à découvrir les liens à travers les faits accumulés. Pour cela, le chercheur procède à des allers et retours entre ses prises de conscience, ses vérifications sur le terrain, permettant des ajustements à la classification des données (p.139). Les données sont réduites par exemple par une opération de codification. Ces codes sont ensuite regroupés en catégories lorsqu'ils traduisent une dimension conceptuelle.

3.4.2. L'étude de cas

L'étude de cas est une méthode de recherche particulière parce qu'elle permet une approche qualitative et/ou quantitative selon les objectifs de la recherche. Je l'aborde ici sous l'angle qualitatif.

L'étude de cas est à la fois un processus et un résultat. Les problèmes de recherche à l'origine de celle-ci sont liés à une meilleure compréhension du comment et du pourquoi d'un phénomène donné, souvent issu d'une pratique, d'une expérience personnelle ou d'une recension des écrits. Avec ce type, l'accent est mis ici sur la découverte et la compréhension d'un cas à l'étude. Sa nature est à la fois particulariste puisque l'objet de l'étude est un système restreint, « c'est le cas en soi qui est important – pour ce qu'il révèle au sujet du phénomène et pour ce qu'il peut représenter » (p.212). Elle est aussi descriptive puisque le résultat est une

description détaillée qui comporte des éléments d'interprétation. Elle est heuristique dans le sens où « elle améliore la compréhension du cas étudié et permet l'émergence de nouvelles interactions, de nouvelles variables, ce qui peut mener à une redéfinition du phénomène » (p.212). L'étude de cas se distingue enfin par la découverte d'interactions et de concepts, plutôt que par une vérification d'hypothèses préétablies.

L'étude de cas peut également être multi-cas. Les cas sont ainsi confrontés pour découvrir des convergences entre plusieurs cas et dégager des particularités. Les études multi-cas tendent à augmenter la validité des résultats et leur pouvoir de généralisation. Dans ce sens, elles s'appuient sur un grand nombre de matériels de nature différente (entretiens, observations, documents, archives, questionnaires, journal de bord).

3.5. Des caractéristiques récurrentes dans les approches qualitatives

La lecture des textes qui m’ont servi à dresser ce panorama et les descriptions typologiques rencontrées m’amènent à penser que les frontières entre les épistémologies et les théories sous-jacentes restent floues et qu'à cette étape de nombreuses confusions existent, qu'elles soient terminologiques ou liées au mode de construction des typologies.

En guise de conclusion, après avoir donné un aperçu des méthodes compréhensives et mis en vis-à-vis un certain nombre d'approches, j’emprunte à Miles et Huberman (2003, p.21-22) les caractéristiques récurrentes qui unissent plus qu'elles ne séparent ces différentes approches :

- la recherche qualitative se conduit par un contact prolongé et/ou intense avec un terrain. Ces situations sont par définition banales ou normales; elles reflètent la vie d'individus, de groupes, de sociétés et d'organisations au quotidien ;

- le rôle du chercheur est d'atteindre une compréhension « holiste » (systémique, globale, intégrée) du contexte de l'étude : sa logique, ses arrangements, ses règles implicites et explicites ;

- le chercheur essaie de capter des données sur les perceptions d'acteurs locaux « de l'intérieur », à l'aide d'un processus d'attention approfondie, de compréhension empathique (verstehen) et de préconceptions mises en suspens ou entre parenthèses sur les sujets abordés ;

- à la lecture des matériels colligés, le chercheur peut isoler certains thèmes et expressions qui peuvent être revus avec les informants mais qui devraient être maintenus dans leur formulation d'origine tout au long de l'étude ;

- une tâche importante est d'expliquer la façon dont les personnes dans des contextes particuliers comprennent progressivement, rendent compte, agissent et sinon gèrent leurs situations quotidiennes ;

- de nombreuses interprétations de ces matériels sont possibles, mais plusieurs ont plus de force pour des raisons théoriques ou de validité interne ;

- relativement peu d'instrumentation standardisée est utilisée au départ. Le chercheur est essentiellement l'outil principal de l'étude ;

- la majeure partie de l'analyse est réalisée à l'aide de mots. Les mots peuvent être assemblés, regroupés ou répartis dans des segments sémiotiques. Ils peuvent être organisés de façon à permettre au chercheur de contraster, comparer, d'analyser et d’établir des modèles.