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La question des freins à l'accès des personnes

Chapitre 2 - Repères épistémologiques et méthodologiques méthodologiques

6. Choix méthodologiques et procédures effectives

6.6. Étape 2 : l'enquête par entretien à usage principal

6.6.3. La question des freins à l'accès des personnes

Lors de mes investigations sur le terrain, j’ai rencontré un certain nombre de freins qui m’ont empêché d'obtenir des entretiens et d'enrichir encore davantage s'il le fallait mon corpus. Ces freins se traduisent soit par des situations d'évitement de la part des personnes approchées, soit par ma difficulté à identifier des CoP cachées.

6.6.3.1. L'évitement

Tenter de pénétrer l'entreprise n'est pas sans embûches. La majeure partie du temps, j’ai eu affaire à des situations d'évitement de la part des personnes avec qui j’ai été en contact – même dans des entreprises qui n'hésitent pas à communiquer en ligne ou dans des ouvrages sur le succès de leurs CoP ou de leur approche « communautaire ». Ces situations prennent plusieurs formes. Par exemple, la personne reste muette à mes sollicitations après un premier contact où j’ai formulé ma demande. J’obtiens des prétextes variés parfois, même après avoir subi un véritable interrogatoire (« Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? Pourquoi ? Comment êtes-vous arrivé là ? Par qui ?...»). Ou bien ma demande doit être validée par l'encadrement qui souvent refuse ou préfère prendre l'entretien à son compte, jugeant peut-être les informateurs d'échelon inférieur moins « crédibles » (Blanchet et al, 2007). J’ai aussi pu être

conduit vers une impasse du type « je transfère votre demande aux animateurs qui vous répondront » – accompagné d’un refus lorsque je souhaitais obtenir leurs coordonnées. Il est difficile de se prononcer sur les raisons de ces évitements que l'on peut imaginer variées : personnelles (sentiment d'incapacité, peur de se dévoiler, de la publicité des propos, mais aussi manque de temps, d'intérêt pour la question ou de bénéfice à retirer de l'entretien...) ou organisationnelle (respect des procédures d'entreprise, protection des données et confidentialité, refus d'immobiliser une personne durant son travail...). Certaines situations d'évitement peuvent s'expliquer aussi par le fait qu'à un moment ou un autre, lors des prises de contact, j'ai toujours dévoilé mon identité à la fois de chercheur mais aussi de praticien, ce qui, au moins une fois, explique la méfiance et un refus clair du fait d‘une proximité du domaine d'activité de l'entreprise qui m'emploie avec celui de la personne interrogée. Porter la seule casquette de chercheur universitaire, au moins dans ce cas, aurait neutralisé les craintes et une plus grande confiance m'aurait été accordée.

Ces situations d'évitement sont d'autant plus flagrantes lorsque je souhaite accéder à des membres après un entretien avec « l'animateur » de la CoP. Je n'ai pour ainsi dire jamais pu accéder à l'un d'entre eux à la suite d'un entretien avec un animateur ou une animatrice. Et lorsque cela a été le cas, je n'ai pas pu les choisir, les membres étant désignés par l'animateur-rice ou un responsable hiérarchique. Pour écarter ou limiter ce biais, j’ai cherché à identifier et interroger des membres avant de rencontrer leur(s) animateur(s) éventuel(s). Cette démarche n’a abouti qu’une seule fois.

Malgré tous ces empêchements, je note que certaines de ces entreprises se sont montrées intéressées par les résultats de cette recherche. Ce fut le cas systématiquement lorsque je pus obtenir un entretien.

6.6.3.2. Les CoP « cachées »

Ma volonté d'accéder à des CoP dites « informelles », « cachées » ou encore qualifiées de « clandestines » n'est pas sans paradoxe. D'abord, vouloir mettre au jour ce qui serait par nature, volonté ou nécessité, caché n'est pas sans difficultés, leur nature rend difficile leur identification. Ensuite, mon approche peut susciter chez ceux qui y participent de la méfiance.

Le protocole d'adhésion ou la confiance qu'il est nécessaire d'acquérir dans ce type d'approche est un frein sérieux, surtout si l'on imagine que ces CoP revêtent un caractère opérationnel, voire stratégique, et qu'elles peuvent accueillir des collaborateurs hors du contrôle managérial. De plus, je tente de recueillir une quantité d'entretiens significative via des témoignages

directs, pour ainsi dire frontaux, même si, le plus souvent, ils sont effectués par téléphone, alors qu'un mode d'approche plus « lent », moins indirect, avec l'instauration d'une relation de confiance, telle que je pourrais le trouver dans une démarche de type étude de cas ou ethnographique par exemple, serait, selon moi, plus pertinente. C'est pourquoi, je pense qu'il m’est plus facile d'accéder à des CoP qui sont « démarginalisées », organisées, alors qu'en théorie elles émergeraient « en marge » de l'organisation réelle. De plus, je pense que celles-ci ne se retrouvent pas forcément dans des espaces virtuels, je fais l’hypothèse que la plupart d'entre elles utilisent plus classiquement le téléphone, le courriel ou les rencontres en face à face (réunions, pauses café, déjeuners...), ce qui les rend d'autant plus difficiles à identifier si les signes de leur présence sont invisibles. C'est pourquoi, ce type de CoP reste minoritaire dans mon corpus et que par conséquent un type particulier risque d'être sur-représenté dans celui-ci.

6.6.4. Le plan d’entretien En direction des intervenants

J’ai poursuivi mes entretiens autour des mêmes items et des mêmes questions que dans la phase exploratoire parce qu'ils avaient produit un matériau satisfaisant, répondant à mes objectifs, et aussi parce que je souhaitais garder une certaine cohérence de l'ensemble du corpus en cours de construction. Malgré tout, dans cette étape, j’ai cherché à comprendre davantage la nature du rapport entretenu entre les animateurs et les membres afin de tenter de dégager une diversité de rôles et de fonctions qui pourrait me conduire à approfondir, voire proposer, une typologie d'animateurs de CoP. Les questions portant sur les actions et les tâches quotidiennes ont été moins insistantes pour laisser la place à des échanges plus approfondis sur les raisons d'être des CoP et la signification qu'attribuait l'animateur-rice à son rôle.

En ce sens, les données produites sont devenues plus personnelles, plus subjectives et ainsi plus riches. Cela s'explique aussi par le fait que, plus rôdé, j’ai pu me libérer du plan initial puisqu'ayant en tête les items et les questions, je me suis trouvé plus disposé à entendre ce que mes interlocuteurs étaient prêts à dire. Plutôt que de rester « accroché » au plan, je me suis fixé et adapté au discours des personnes, aux voies qu'elles étaient prêtes à me faire emprunter. J’étais plus empathique, plus attentif à leur état et à la situation d’interaction qui se déroulait, donc plus proche d'elles, ce qui a contribué vraisemblablement à réduire la distance relationnelle au cours de nombreux entretiens. Dans cette phase de recueil, certains entretiens ont été surprenants par la qualité de la relation qui a pu s'instaurer au fur et à mesure, ce qui

s'est fait également ressentir d'autre part dans la richesse des contenus, toujours aussi factuels mais surtout plus personnels, plus « engagés », ainsi que par la durée des échanges qui ont pu aller jusqu'à trois heures trente, tout en s'insérant dans la cadre prévu. Dans certains cas, j'ai pu obtenir des documents institutionnels ou alors j'ai pu accéder à des espaces collaboratifs destinés aux CoP afin de mieux comprendre ce qui est en jeu dans ses espaces et recueillir des informations (interactions, artefacts, organisation et modes de participation, etc.)

En direction des membres

J’ai remanié le plan initial pour le destiner aux membres que je souhaitais interroger. J’ai cherché à assurer une certaine cohérence avec la grille d'entretien réalisée pour les intervenants afin de permettre la confrontation des discours des membres à ceux des animateurs lors de l'analyse. J’ai construit ce nouveau plan à partir des items précédents tout en réaménageant certaines questions visant à interroger le sens donné à la CoP, les perceptions à son propos, ainsi que sur l'intervenant et son rôle (importance, apports, légitimité, attentes, sentiments...). La grille d'entretien est présentée en annexe.