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Chapitre 2 - Repères épistémologiques et méthodologiques méthodologiques

6. Choix méthodologiques et procédures effectives

6.7. La procédure d'analyse

6.7.2. La phase d'analyse principale

Le travail d'analyse de l'ensemble du corpus s'est poursuivi selon le même schéma que la phase exploratoire dont je conserve la posture d’exploration, d'une part pour vérifier la pertinence et la cohérence du travail réalisé, d'autre part pour continuer à ouvrir de nouvelles pistes, de potentielles questions. Les huit entretiens précédents ont été resoumis à la procédure d'analyse et, compte tenu de la quantité importante d'informations à manipuler, j'ai décidé d'utiliser un logiciel pour m'aider à traiter les données.

J’ai utilisé à la fois l'analyse par entretien pour déceler le mode d'engendrement singulier des processus et des modes d'organisation individuels et l'analyse thématique pour défaire en quelque sorte la singularité des discours et rechercher la cohérence thématique inter-entretiens (Blanchet et al., 2007). Ces deux procédés ont été choisis dans l’idée qu'utilisés simultanément ils renforceraient mon analyse et augmenteraient la validité des résultats.

Pour cette seconde étape, afin de conserver de la cohérence dans ma démarche, je suis parti des codes précédents. Je les ai disposés sur une carte heuristique, puis j'ai effectué une lecture flottante de nouveaux entretiens. Au fur et à mesure que des thèmes émergeaient et qu'ils me semblaient pertinents, car susceptibles de contribuer à répondre aux questions posées, je les répertoriais sur la carte dans la perspective d’en tirer un code. Après une douzaine d'entretiens, rien de nouveau n'émergeant, j'ai réorganisé la carte selon différents thèmes et sous-thèmes, autrement dit selon différents codes et sous-codes si un degré de précision était jugé utile.

J'ai testé les codes sur une nouvelle partie du corpus, soit 43 codes. L'essai s'est révélé décevant. La codification s'est avérée laborieuse, les retranscriptions d'entretiens se sont retrouvées codifiées à outrance et de nombreux codes se superposaient sur des segments identiques. Afin de recadrer mes axes d'analyse et améliorer les codes, j'ai repris quelques conseils de Miles et Huberman (2003) :

- les codes sont définis précisément, de manière opérationnelle, et sont sans équivoque ; - ils sont issus des - et adaptés aux - questions de recherche ;

- ils limitent le double codage des segments ;

- 5 à 10 codes par page est une limite, sinon il faut revoir les codes ;

- il ne faut pas chercher à coder les notes dans leur intégralité afin de maintenir un taux de déchets bas.

Comme il me semblait avoir été trop ambitieux en voulant mettre au jour tout ce qui émergeait de mon corpus, j'ai dû recentrer mon travail et poursuivre la « logique » qui a conduit mon analyse jusqu'ici. Je suis revenu au « fondamental ». Pour ce faire, j'ai réémis (mentalement) l'hypothèse que les CoP sont des espaces d'apprentissage et que l'animateur est là pour les soutenir, faisant donc l'hypothèse qu'il y a un rapport entre CoP, apprentissage et animation. J'ai recentré mon travail autour des questions initiales qui me servent de fil pour progresser : Qui sont les personnes animatrices ? Que font-elles ? Pourquoi ? Comment ? Dans quel contexte ? Je décidais donc d'aller voir à nouveau dans mon corpus ce qui se passe et comment cela se passe, de regarder le rapport qu'entretient l'animation avec l'apprentissage des membres. Une fois ce fil conducteur replacé au centre de mes préoccupations - ce fil d'Ariane devrais-je écrire ici après avoir vécu un égarement dont ce chapitre ne rend pas

compte - j'ai décidé de me concentrer comme au début sur ce que la personne animatrice dit faire et sur l'apprentissage des membres. Pour ce faire, je suis reparti de ses actions, j'ai inventorié ce qu'elle dit faire concrètement, les actions menées par elle et le contexte qui entoure son activité.

À la suite, un plan de codage représentant 9 codes principaux fragmentés en 24 codes au total a été produit et testé sur un échantillon d'entretiens. Ils sont restés cohérents avec les codes de la phase exploratoire, certains ont été segmentés en sous-codes, d'autres ajoutés suite à la lecture des nouveaux entretiens, ce qui produit le tableau ci-dessous :

Table 13 : plan de codage

Code Renvoie à... Exemple

Contexte Données de contexte concernant l'entreprise, la genèse de la CoP, l'émergence du rôle, leur milieu respectif...

« l'initiative est venue du directeur marketing stratégique » (Kalya)

« CoP » Des éléments relatifs aux caractéristiques structurantes des CoP (Dubé et al., 2006) et de leurs membres

CoP_Adhesion Les modes d'adhésion, l'engagement des membres

« on s'est mis d'accord pour constituer des groupes avec des personnes qui ont été choisies » (Jacques)

CoP_CaractStruct Données concernant le processus de création, le degré de formalisme, la gouvernance ou le leadership...

« il n'y a pas d'animateur dédié à cette communauté de pratique » (Gérard)

CoP_Membres Caractéristiques individuelles des membres : professions, rôles, statuts dans l'entreprise...

« la cible, ce sont les managers » (Florence)

« Identité » Caractéristiques relatives à la personne interrogée : identité, profession, parcours ou apprentissage de « l'animation »

Id_CV Expériences et formations de l'intervenant-e, données socio-professionnelles

« je suis devenu superviseur de formation [...] depuis, je fais de la formation » (Francis)

Id_AppAnim Expériences, formations, moyens mis en œuvre pour l'apprentissage de son rôle d'intervenant-e

« On avait eu une petite formation avec des consultants externes » (Gilles)

« Attitude » L'expression d'une opinion (point de vue, appréciation, jugement...), d'un sentiment (émotion, perception, désir, doute, surprise...) ou d'une pensée

réflexive (questionnement, réflexion à soi-même...) à propos de : Att_Interv L'animation, son rôle, ses propres

interventions

« le titre, il est plus pour donner une légitimité à faire l’animation que pour dire que je fais de l’animation, je pense » (Nathan)

Att_CoP La CoP ou ses membres, ou des CoP en général

« je trouve que c'est beaucoup plus difficile d'animer une communauté de pratique en intra qu'en inter » (Olivia) Att_Manager Management ou rôle de manager. « je dirais que l’animation fait partie du

rôle de management à ce stade » (Stéphane)

Att_E L'entreprise « Je préfèrerais passer plus de temps sur le fond que sur la forme, quoi » (Violaine)

Att_FormInform L'apprentissage ou la formation, qu'ils soient formels ou informels

« Pour moi apprendre c’est tout le temps, tous les jours » (Emmanuel)

« Motif » Motifs, finalités, buts ou intentions exprimées et qui entourent...

Motif_CoP La CoP « leur leitmotiv […] un lieu de

développement de l'expertise » (Xuan) Motif_Interv L'intervenant-e « mon rôle, c'est de faire çà / de favoriser

le partage d'expérience... » (Patrick) Motif_Membres La participation ou non des

membres

« on s'est rendu compte qu'ils viennent aux rencontres un peu comme un oasis au milieu du désert, pour se ressourcer » (Frédéric)

« Intervention » Ce que la personne dit faire concrètement Interv_Régulière Actions régulières réalisées

dans/pour la CoP, l'entreprise ou lui-même

« on passe une journée ensemble et on échange ou on communique sur des thématiques qu’on a décidées plus ou moins ensemble » (Pierre)

Interv_Ponctuelle Une action ponctuelle réalisée dans/pour la CoP, l'entreprise ou lui-même

« je n'hésite pas, j'ai déjà expulsé des gens » (Frédéric)

« Stratégie » Un énoncé d'actions coordonnées, d'opérations, de manœuvres en vue d'atteindre un but précis.

Stratégie_MO Stratégies déployées pour la mise en œuvre des CoP

« on ne mettait pas en ligne une communauté sans qu'il y ait des facilitateurs identifiés » (Kalya)

Stratégie_Regul Processus, dispositifs ou techniques mises en œuvre pour réguler ou animer la CoP

« la web conf, c’est un véritable levier pour moi, pour créer des liens entre les personnes » (Emmanuel)

Term_Anim Se nommer, nommer son rôle ou son activité d'animation

« mon rôle en tant que community manager... » (Solenn)

Term_CoP Nommer la CoP et leurs membres

« Pôle de compétences construction durable » (Xuan)

« Cas » Des événements particuliers ou des fragments de discours qui font « cas » par leur singularité ou leur intérêt éventuel pour l'analyse

Cas_Pb Ce qui semble poser problème à travers le récit d'un échec, d'une difficulté, d'une insatisfaction, d'une préoccupation

« c'était minimum un jour et demi, deux jours, et il arrivait même que cela soit trois jours, voilà çà c'est fini, terminé » (Florence)

Cas_PbParticip Discours relatant un défaut de participation de la part des membres

« le soir tu rentres, t’as pas envie de rebosser sur ton / comme ce n'est pas payé quoi » (Marielle)

Cas_Différence Expression d'une différenciation, d'une comparaison : avant-après, animation-management, formel-informel...

« je ne sais pas s'il y a vraiment une différence entre ce que je fais et les cercles de qualité » (Joël)

Cas_DefCoP Conception, définition du concept de CoP

« pour moi, c'est tout simplement des best practices à partager quoi » (Gérald)

Durant la codification, les codes ont pu être été attachés à un segment de taille variable, que ce soit un mot, une locution, une phrase ou un paragraphe.

6.7.2.2. La prise de notes : les mémos

Comme pendant la procédure d'analyse de la phase exploratoire, des notes ont été prises sous forme de « mémos » durant la lecture du corpus et sa codification. Ces mémos sont liés à l'entretien ou relatifs à la codification ou encore au corpus dans son ensemble, ils constituent un recueil de résumés, de réflexions sur le discours ou l'analyse en train de se faire, des commentaires sur ce qui semble émerger de la lecture, des pistes d'exploration ou encore des hypothèses ou intuitions, rédigées librement.

Rapidement, au fur et à mesure de la codification, les mémos sont devenus plus longs, plus composés et mieux organisés, plus conceptuels aussi. De mémos qui servaient à coucher sur le papier de brèves notes pêle-mêle, je suis passé à des mémos organisés où les notes sont titrées et classées selon la nature de ce qu'elles communiquent. Elles ont été rattachées systématiquement à des endroits précis du corpus et articulées ou ordonnées entre elles selon une logique propre, facilitant leur relecture et l'émergence de significations.

Enfin, ces mémos m'ont également servi à résumer des tours de parole trop longs ou trop riches qu'une simple codification aurait difficilement pu satisfaire sous peine de voir se perdre du sens. Même s'il eût fallu enchevêtrer plusieurs codes, ils auraient été réducteurs de l’événement ou de la situation qui se déroule, bien plus complexes et significatifs que ne le suppose(nt) le(s) code(s) appliqués aux extrait(s) de discours, a fortiori isolés les uns des autres, donc non articulés et incapables de véhiculer ce qui se joue dans ce moment du discours qui nécessite un effort d'abstraction supplémentaire, immédiat, et appelle à produire du sens lorsque celui-ci émerge.

6.7.2.3. Le processus de synthèse

Le processus de synthèse a suivi la démarche chronologique suivante :

- une synthèse de chaque entretien dans un document pré-structuré ;

- le report de certaines données dans des grilles de synthèse ;

- la réduction de la synthèse des entretiens à une page par entretien ;

- l’élaboration d'une carte intermédiaire en vue d'une « méta-synthèse » ;

- une méta-synthèse des entretiens.

Chaque entretien a été analysé et synthétisé à partir des mémos et de la lecture du contenu des codes dans un document de 170 pages qui possède la structure suivante pour chacun des entretiens :

- la personne interviewée : qui est-elle ? que fait-elle ? pourquoi ? comment ? dans quel contexte ? quelles particularités notables ?

- une analyse des mémos : résumé, ce que je retiens, ce qui émerge, les faits notables...

- une analyse des codes : ce qui ressort de leur lecture ;

- un réseau de causalité : les causes ou le faisceau de causes susceptible d'éclairer ce que j'observe dans les entretiens, les résultats qui émergent ;

- des notes sur des thèmes, des questions importantes, des énigmes ou des problèmes qui apparaissent ;

- un résumé ou commentaire éventuel sur l'état de mes questions de recherche ;

- trois tableaux (équivalent à 85 pages sur les 170 pages) pour rassembler des éléments, des preuves ou des résultats provisoires concernant :

- les caractéristiques structurantes des CoP approchées (Dubé et al, 2006),

- les rôles formels ou informels repérés dans les CoP (Fontaine et al, 2001),

- les processus ou les composantes des CoP sur lesquelles les personnes interrogées interviennent (participation/réification, négociation de sens, répertoire partagé, etc…).

D’une part, la condensation s'est poursuivie par le report des informations colligées dans les tableaux précédents, cette fois-ci dans des grilles synthétiques qui, pour chaque personne ou chaque CoP, permettent de recenser en une seule vue et de les analyser :

- les caractéristiques structurantes des CoP;

- les rôles formels ou informels de la personne animatrice ou ceux entourant les CoP; - les termes employés pour se nommer ou nommer la CoP.

D'autre part, une réduction des notes d'analyse et de synthèse de chaque entretien a été effectuée pour condenser leur contenu sur une seule page, soit 32 pages. Cette opération avait pour but de m'obliger à resserrer ma synthèse et donc mon analyse sur ce qui ressortait de chaque entretien de façon centrale.

Pour terminer, une « méta-synthèse » a été produite. Elle devait permettre de résumer le contenu des 32 pages précédentes et offrir un niveau d'abstraction supplémentaire par la voie d'une analyse transversale des synthèses individuelles. Pour faciliter ce travail, j'ai fait le choix d'une étape intermédiaire en produisant une carte cognitive des lectures de la synthèse précédente pour construire et représenter une vue d'ensemble des résultats, des concepts ou des idées et établir des liens entre eux. Cette carte arborescente a ensuite été traduite dans une « méta-synthèse » de 13 pages.

Cette « méta-synthèse » a été pensée comme le cœur même de ma lecture du corpus et du processus de condensation, mais elle ne signe pas la fin de la procédure d'analyse. C'est à partir de ce document qu'a été réalisée une communication (Hedjerassi et al., 2013) et que j’ai

pu projeter la rédaction de la thèse. Chacune de ces deux formes d’écriture, par le travail d'analyse, de développement et de formalisation qu’elles entraînent, m’ont aidé à améliorer mon travail et la pertinence des résultats. Leur réalisation est partie intégrante du processus d'analyse qui, jusqu'au bout, continue à traduire ma façon de faire et de voir.

6.7.2.4. Usage du logiciel RQDA

Pour des raisons pratiques et parce que l'application était adaptée à la méthode d'analyse envisagée, j'ai utilisé le logiciel RQDA35 (R-based qualitative data analysis). Il s’agit d’un logiciel libre destiné à faciliter l'analyse qualitative de corpus de données textuelles. Il présente l'avantage de s'installer sur tous les systèmes d'exploitation, dont Linux que j'utilise, ce qui a orienté notablement mon choix.

Comment ce logiciel m'a-t-il aidé ? Une fois les entretiens et les CV importés, puis les codes créés, j'ai codifié l'ensemble du corpus. À côté de la fonction de codification, un système de « mémos » existe à tous les niveaux. Il permet de saisir librement des notes contextuelles relativement au corpus, à un fichier (ici un entretien ou un CV), à un code et plus encore (à une catégorie de codes, à un cas identifié comme tel ou une catégorie de fichiers, etc.). J'ai utilisé ces mémos à différents niveaux. D'abord au niveau du projet, j’ai noté des éléments de réflexions, des idées relatives à la recherche et au corpus dans son ensemble. Puis au niveau des individus, j'ai procédé de la même façon en constituant un recueil de notes, lié à chaque entretien. Ensuite, des notes rattachées à chaque code m’ont permis de mieux les définir et d'y inscrire des commentaires et des réflexions survenant durant la codification. Enfin, au niveau des segments de texte codifiés, j’ai procédé à des annotations sous forme de remarques ou effectué un lien avec un segment de texte précédent.

RQDA permet aussi d'attribuer des catégories aux fichiers pour les regrouper et extraire les données relatives à cette seule catégorie. Dans mon cas, j'ai isolé des entretiens qui appartenaient à un type particulier de CoP.

L'ensemble des mémos sont consultables dans leur contexte et les codes sont extractibles pour l'ensemble ou une partie du corpus à des fins d'analyse. Les segments de discours codés restent hyperliés au texte d'origine, ce qui facilite l'accès au contexte, aux éléments du discours qui les entoure.

35

Huang Ronggui (2012), RQDA: R-based Qualitative Data Analysis. R package version 0.2-3. http://rqda.r-forge.r-project.org/ (dernière consultation le 15/09/2014).

6.7.2.5. Récapitulatif de la procédure d'analyse

Je propose le schéma suivant en guise de synthèse du processus d’analyse. La procédure de condensation et d’analyse du corpus couvre à la fois la phase d’étude exploratoire et la phase d’analyse principale.