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Section 1. La nature juridique del' obligation de quitter la Suisse

C. Le refoulement

Si aucun motif d'inexécution ne s'y oppose et que l'obligation de quitter le territoire suisse est exigible, l'autorité peut contraindre par la force l'étranger à s'en aller. Le refoulement a donc pour finalité de rétablir une situation conforme au droit.

Que l'ordre de renvoi soit adopté par une instance fédérale ou cantonale, l'art. 14 al. 1 LSEE charge l'autorité cantonale d'exécuter le refoulement230. Ce dernier ne constituant qu'un acte matériel, il ne nécessite pas la prise d'une déci-sion par l'organe cantonal d'exécution qui serait susceptible de recours, notam-ment au vu du fait que le passage à l'acte ne modifie en rien la situation juridique de l' étranger231 . Il faut par ailleurs noter que l'autorité cantonale n'a de toute manière pas la compétence de remettre en question les décisions fédérales en-trées en force, sous réserve de leur nullité232. Lorsque l'étranger a laissé expirer le délai de départ (let. a), lorsqu'il peut être renvoyé ou expulsé immédiatement (let. b) ou s'il se trouve en détention en vue du refoulement selon l'art. 13b LSEE et que la décision de renvoi ou d'expulsion est entrée en force (let. c), l'art. 14 al. 1 LSEE indique que l'autorité cantonale peut le refouler dans un Etat désigné par ses soins. La formulation potestative n'accorde pas à l'autorité cantonale un pouvoir discrétionnaire. L'art. 14 al. 1 LSEE reconnaît seulement, en confor-mité avec le principe de la proportionnalité, qu'il n'est pas obligatoire de con-traindre par la force un étranger à quitter le pays lorsque ce dernier peut le faire tout seul, même après l'expiration du délai de départ233.

229 Au sens de l'art. 3 let. f PA et des dispositions cantonales correspondantes.

230 La Confédération n'a de toute manière pas le personnel pour ce faire: PETER SULGER Büa, p. 104.

Voir l'art. 43 PA. A Genève, «la police est l'autorité compétente pour procéder au refoulement»:

art. 5 al. 4 LALSEE.

231 BLAISE KNAPP, p. 347; NICOLAS WISARD, Renvois, p. 345.

232 PETER SULGER BÜEL, p. 112. La LSEE prévoit toutefois des exceptions limitées à la règle de la non-remise en cause des décisions fédérales. L'art. 14b al. 1 LSEE énonce que la police cantonale des étrangers peut en effet requérir del' ODR l'admission provisoire del' étranger, notamment lorsque l'exécution de la mesure d'éloignement s'avère matériellement impossible. Contrairement au ca-ractère illicite ou inexigible del' exécution de la mesure, la question de son impossibilité peut, vu sa nature, encore se poser au stade du refoulement. Il peut en effet arriver qu'à ce stade, des éléments non encore pris en compte rendent le refoulement impossible. Dans ce cas, l'ODR doit être saisi d'une demande d'admission provisoire. Lui seul peut en effet formellement suspendre l'exécution du renvoi. En revanche, sil' autolité cantonale de police des étrangers souhaite révoquer ou modi-fierun ordre de renvoi qu'elle a elle-même plis, elle reste compétente pour le faire, selon les moda-lités habituelles du droit administratif.

233 DANIEL THÜRER, Rechtsstellung, p. 1386;NICOLAS WISARD, Renvois, p. 204. En revanche, si l'ordre de renvoi ne contient pas un délai de départ parce que l'autorité chargée de prononcer l'exécution a estimé qu'il fallait immédiatement refouler l'intéressé, le canton doit procéder au refoulement par la contrainte.

CHAPITRE 4 - LA SORTIE ET L'ÉLOIGNEMENT DU TERRITOIRE

Concrètement, le refoulement consiste en l'arrestation de l'étranger et de son accompagnement jusqu'à la frontière suisse, voire jusqu'à son arrivée dans l'Etat de destination si le refoulement doits' effectuer par avion.L'autorité can-tonale est compétente pour fixer le pays de destination, sous réserve des pays vers lesquels un refoulement serait illicite ou impossible, à teneur de l'ordre de renvoi. Selon l'art. 14 al. 2 LSEE, si l'étranger a la possibilité de se rendre légalement dans plusieurs Etats, il sera refoulé vers celui qu'il choisit234.

§ 2. Les obstacles à l'exécution de la mesure d'éloignement et l'admission provisoire

La LSEE prévoit à ses articles 14a ss un mécanisme qui peut sembler à première vue étrange, puisqu'il institue un système qui réglemente de manière plus ou moins cohérente l'inexécution des obligations de départ. C'est donc la loi elle-même qui instaure un mécanisme parallèle lorsqu'une obligation pourtant exécutoire ne peut pas être exécutée! Le système a l'avantage de ne pas laisser les décisions simplement inexécutées, et d'adapter ainsi le droit aux faits235.

L'art. 14a LSEE énonce trois motifs qui peuvent entraîner la mise en œuvre de ce mécanisme et déboucher sur l'adoption d'une décision suspendant temporairement non pas l'obligation de départ, mais son exécution236 . Ainsi, le mécanisme prévu aux articles 14a ss LSEE oblige l'ODR à prononcer l'admission provisoire del' étranger lorsque l'exécution du renvoi ou del' expulsion n'est pas possible, n'est pas licite ou ne peut pas être raisonnablement exigée.

Tout d'abord, l'admission provisoire doit être prononcée en cas d' impossi-bilité d'exécuter la mesure. Cette situation se présente lorsque l'étranger ne peut physiquement être renvoyé ni dans son pays d'origine ou de provenance, ni dans un Etat tiers (art. 14a al. 2 LSEE). Sont visées les situations dans lesquelles le départ est matériellement ou objectivement impossible, à savoir quel' étranger, même s'il le voulait, ne pomrnit concrètement sortir de Suisse, en tout cas léga-lement. Ce sont des obstacles de fait qui empêchent la sortie de Suisse: le défaut de papiers d'identité ou de voyage valables, l'absence de moyen de transport pour transférer l'étranger vers l'Etat de destination et le refus de l'Etat d'origine de reprendre ses propres ressortissants en sont les principaux cas d'application 237.

234 Il s'agit là en fait de l'une des facettes de la libe1té personnelle: /ITF li 0 IV 6, cons. c; ATF 116 IV 105, cons. 4.h.

235 NICOLAS WISARD, Renvois, p. 350.

236 L'art. 44 al. 3 LAsi prévoit une possibilité supplémentaire de prononcer !'admission provisoire, mais qui ne concerne que les personnes ayant déposé une demande d'asile. Onnes 'y arrêtera donc pas.

237 ALBERTO ACHERMANN / CHRISTINA HAUSAMMANN, pp. l 73s; Ivo GUT, p. 71;

w

ALTER SCHÀPPI, p. 15; NICOLAS WISARD, Renvois, pp. 375s.

Ensuite, le critère d' illicéité intervient lorsque l'exécution de la mesure d'éloignement dans le pays d'origine ou de provenance, voire dans un Etat tiers, serait contraire aux engagements de la Suisse relevant du droit international (art. 14a al. 3 LSEE). Les engagements internationaux dont il est fait mention sont ceux qui découlent des instruments de protection des droits de l'homme et des réfugiés que la Suisse a ratifiés, ainsi que les obligations qui s'imposent à elle en vertu du droit international coutumier. Ainsi, l'interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains (ait. 3 CEDH, art. 7 Pacte II, art. 3 CAT), le principe du non-refoulement (art. 33 CR) et, a priori, le droit au respect de la vie familiale et privée (art. 8 CEDH, art. 17 Pacte II, art. 16 CDE) peuvent cons-tituer des obstacles juridiques à l'éloignement des étrangers238 . Ce dernier motif sera analysé plus en détail dans la troisième partie de ce travail.

Enfin, en cas de mise en danger concrète de l'étranger, l'exécution de la mesure peut ne pas être considérée comme raisonnablement exigible (art. 14a al. 4 LSEE). Au sens de cette disposition, l'étranger est concrètement mis en danger lorsque, sans pouvoir invoquer les garanties qui rendraient son renvoi illicite, son intégrité physique se trouverait tout de même mise en danger. Tom-bent essentiellement dans cette catégorie les «réfugiés de la violence», à savoir des personnes provenant de pays en guerre ou connaissant des situations de vio-lences généralisées239.

L'admission provisoire n'est pas une autorisation de séjour. Il s'agit d'une mesure de substitution au refoulement, qui permet à l'étranger de poursuivre son séjour en Suisse dans l'attente de la levée de l'obstacle à l'exécution de la me-sure d'éloignement ou jusqu'à l'obtention d'une véritable autorisation240. Son prononcé ne remet donc nullement en question l'obligation de départ qui frappe l'étranger. Simplement, en présence d'obstacles au refoulement, elle suspend cette dernière en mettant l'étranger au bénéfice d'un statut défini par la loi241 .

Les différentes autorités qui peuvent à un stade ou à un autre prononcer un ordre de renvoi - l'art. 14b al. 1 LSEE cite notamment l'OFE et les autorités

238 ALBERTO ACHERMANN I CHRISTINA HAUSAMMANN, pp. l 74ss; Ivo GUT, p. 72;

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ALTER SCHÂPPI, p. 15; NICOLAS WISARD, Renvois, pp. 38lss. FF 1990 II 624, qui ne mentionne pas cependant le droit au respect de la vie familiale ou pdvée.

239 ALBERTO AcHERMANN I CHRISTINA HAUSAMMANN, pp. 188ss; WALTER SCHÂPPI, p. 15; NICOLAS WISARD, Renvois, pp. 434s. FF 1990 II 625.

240 L'utilisation du terme «provisoire» ne doit cependant pas tromper. L'admission provisoire peut être prononcée à l'égard de personnes dont le renvoi ou l'expulsion ne pomrn de toute manière pas intervenir avant longtemps: il en va fréquemment ainsi, entre autres, des réfugiés à qui l'asile est refusé pour cause d'indignité (art. 53 LAsi) ou de motifs subjectifs intervenus après la fuite (art. 54 LAsi), et contre qui!' exécution d'une mesure d'éloignement serait illicite.

241 Yvo GUT, p. 73.

CHAPITRE 4 - LA SORTIE ET L'ÉLOIGNEMENT DU TERRITOIRE

cantonales de police des étrangers242 - n'ont pas la compétence d'ordonner l' ad-mission provisoire. La législation ne leur accorde qu'un droit de proposition à l'intention de l'ODR. C'est en effet ce dernier qui, seul, est formellement com-pétent pour prononcer la mesure, et ce même si l'étranger qui doit être mis au bénéfice de ce statut n'a pas déposé de demande d'asile et ne montre aucune intention de le faire. L'admission provisoire, qui, en principe, est prononcée pour une année ( l 4c al. 1 1 ère phrase LSEE), confère à son destinataire le libre choix de son lieu de séjour sur le territoire du canton qui l'accueille (art. 14c al. 2 LSEE), ainsi que la possibilité d'exercer une activité lucrative (art. 14c al. 3 LSEE). L'ordonnance sur l'exécution du renvoi et de l'expulsion d'étrangers243 définit plus en détail le statut del' étranger admis provisoirement, notamment la question du regroupement familial (art. 24 OERE), sur laquelle nous revien-drons plus loin244. Au terme des douze premiers mois, l'admission provisoire doit être renouvelée sil' exécution du renvoi n'est toujours pas possible, licite ou exigible (art. 14c al. 1 2e phrase LSEE). Cette fois-ci, la décision de prolonger l'admission provisoire revient au canton, qui n'a aucune marge de manœuvre pour refuser cette prolongation et qui ne fait qu'agir pour le compte de l' ODR 245.

La révocation de l'admission provisoire, en tant qu' ac tus contrarius, ressortit en effet au seul ODR, et non aux cantons. Elle intervient lorsque les motifs qui ont présidé à son prononcé disparaissent (art. 14b al. 2 LSEE), et peut faire l'objet d'un recours auprès du DFJP (art. 20 al. 1 let. b LSEE). Une fois l'admission provisoire levée, l'ODR fixe à l'étranger un délai de départ approprié, à moins qu'il soit nécessaire de procéder à une exécution immédiate de la mesure d' éloi-gnement (art. 26 OERE).

L'admission provisoire a essentiellement été conçue comme alternative aux renvois du droit d'asile qui ne peuvent être exécutés. Il en va bien ainsi dans la pratique. Mais tout - notamment la place des articles 14a ss LSEE dans le droit ordinaire des étrangers - indique que le système de substitution aux renvois et aux expulsions est susceptible d'être appliqué lors de l'exécution de toutes les mesures d'éloignement du droit des étrangers246. En particulier, on verra que ce mécanisme peut, dans des situations bien précises, être mis en œuvre pour ga-rantir le droit au respect de la vie familiale ou privée de certains étrangers247 . 242 L'art. l 4b al. 1 LSEE mentionne également le Ministère public de la Confédération. Ce dernier n'a

cependant aucune compétence pour prononcer des ordres de renvoi. En cas d'expulsion politique, c'est aujourd'hui le DFJP qui prépare les décisions pour le Conseil fédéral (ait. 11 Org DFJP) et c'est donc à lui que reviendrait la très hypothétique compétence de demander à l'ODR l'admission provisoire.

243 Du 11 août 1999, RS 142.281. Ci-après: OERE.

244 Infra, p. 118.

245 NICOLAS WISARD, Renvois, p. 483.

246 ATF 121 V 251, cons. 3.b. WALTER KALIN, Verhiiltnis, pp. 3ls. FF 1986 l 32.

247 Infra, pp. 479ss.

Chapitre 5. De la norme à la décision: la marge de manœuvre de l'autorité

La décision - cet acte individuel et concret qui crée entre son destinataire et l'Etat un rapport de droit obligatoire - constitue en droit des étrangers l'outil principal dont dispose l'autorité pour atteindre les buts que la loi lui fixe. Dans l'absolu, la règle de droit devrait contenir dans son abstraction et sa généralité la solution à toute situation: à tel état de fait correspondrait telle règle, dont l'application entraînerait telle conséquence. On se trouve là dans le champ d'une activité totalement liée: l'auteur de la loi a préalablement tranché les différents conflits d'intérêts dans la règle de droit déjà, et l'administration n'a plus qu'à en faire découler les conséquences juridiques qui s'imposent, à adopter la décision préalablement retenue par le législateur. On sait que ce postulat, au vu de la globalité del' action de l'Etat, est totalement intenable et que la réalité juridique ne lui a jamais entièrement donné raison. Car dans son activité, l'administration doit aussi tendre vers la recherche de l'intérêt public. Or, ce dernier présuppose une certaine efficacité, laquelle postule à son tour quel' administration doit pouvoir jouir de la faculté de s'adapter aux domaines changeants de la vie en société pour prendre les meilleures décisions qui soient.

Afin de délier quelque peu les organes d'application, c'est en définitive l'auteur de la loi qui décidera de leur reconnaître une certaine marge de manœu-vre, une certaine capacité d'action propre, en apportant à l'exigence de la base légale les correctifs nécessaires. Ces derniers peuvent prendre deux formes: la reconnaissance d'une latitude de jugement (section 1) et l'octroi d'une liberté d'appréciation (section 2). La seconde, bien plus que la première, reflète une caractéristique dont le droit des étrangers est tout particulièrement imprégné, en accordant à l'autorité d'application une vaste liberté, qui laisse parfois les prin-cipaux intéressés sans grande protection juridique. Cette caractéristique a fait dire à plus d'un auteur que l'on se trouve parfois loin, très loin, des exigences élémentaires d'un Etat de droit248.

248 URS BOLZ, Rechtschutz, pp. 71ss; CHRISTIAN PFAMMATER, p. 292; MARC SPESCHA, Abwehrmentalitiit, pp. 484s; DANIEL THÜRER, Rechtsstellung, p. 1371; DANIEL THÜRER I CHRIS-TINE KAUFMANN, p. 48; NICOLAS WISARD, Renvois, p. 44. RUDOLF WERIBNSCHLAG, p. 346, af-fitme, à propos de l'art. 4 LSEE, que «[d]ieser A11ikel sclwf allein Sicherheitfür die Behorden, fiir die Aus/iinder venvirklicht er den Grundsatz der Statusunsicherheit». Contra: PETER KorrusCH, Ermessen, p. 174.

CHAPITRE 5 - DE LA NORME À LA DÉCISION: LA MARGE DE MANŒUVRE DE L'AUTORITÉ