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Section 1. La nature juridique del' obligation de quitter la Suisse

A. L'expulsion pénale

Aux termes del' art. 55 al. 1 CP - et del' art. 40 CPM -, le juge pourra expulser du territoire suisse l' étranger189 condamné à la réclusion ou à l'emprisonnement pour une durée de trois à quinze ans, voire à vie en cas de récidive. Tout comme l'expulsion administrative, l'expulsion pénale oblige son destinataire à quitter le territoire suisse, l'empêche d'obtenir une autorisation 190 et lui interdit au surplus tout retour pendant la durée de la sanction (cf. art. 291 CP). Mais ces deux mesures ne poursuivent pas des buts analogues. Alors quel' expulsion administrative vise avant tout la protection de l'ordre et de la sécurité publics et éteint l'autorisation dont l'étranger bénéficiait, les motifs qui sous-tendent l'expulsion pénale portent principalement sur la punition et la réadaptation du délinquant 19 1• L'expulsion

188 Par exemple: ATF 120 Ib 369.

189 Comme annoncé, nous ne nous occupons pas ici de l'expulsion pénale des réfugiés et des requé-rants d'asile. Sur ce sujet, cf. NICOLAS WISARD, Renvois, pp. 147ss.

190 ATF 124 II 289, cons. 3.a; ATF 125 II 105, cons. 2.b.

191 WALTERSCHÀPPI,p. 14;FRANÇOJSSTRASSER,p. 249;PETERSULGERBÜEL,p. 95;DANIEL TuûRER, Judicial Control, p. 163; le même, Rechtsstellung, p. 1383.

CHAPITRE 4 - LA SORTIE ET L'ÉLOIGNEMENT DU TERRITOIRE

pénale constitue une peine accessoire, qui ne peut être imposée que si l'étranger a été condamné - avec ou sans sursis - à la réclusion ou à l'emprisonnement (cf.

articles 35 et 36 CP). Ils' agit ainsi bien d'une peine-et en ce sens le juge devra prendre en considération le degré de culpabilité du délinquant, selon l'art. 63 CP192 -, qui n'est toutefois pas sans remplir une certaine fonction sécuritaire193, bien que cette mission de protection de la société relève également et surtout de l'expulsion administrative del' art. 10 LSEE194.

Le juge pénal dispose d'une large liberté d'appréciation pour prononcer l'expulsion. Si le délinquant est étranger et qu'il est condamné à la réclusion ou à l'emprisonnement, le juge peut ordonner l'expulsion, mais ne le doit pas. En outre, l'expulsion peut être prononcée avec sursis, pour autant que les conditions de l'art. 41 CP soient réalisées 195. L'expulsion prononcée par le juge ainsi que le refus d'accorder le sursis peuvent être attaqués selon les voies de droit cantona-les en matière pénale, puis par le biais d'un pourvoi en nullité au Tribunal fédé-ral (art. 268ss loi fédéfédé-rale sur la procédure pénalel96).

L'expulsion n'est pas exécutée par la justice pénale.L'exécution d'une expul-sion devenue exécutoire incombe en effet, tout comme l'exécution des autres peines et mesures pénales, à une autorité administrative cantonale désignée à cet effet. En cas de libération conditionnelle du délinquant (art. 38 CP), l'exécution de la peine accessoire peut être suspendue197 (55 al. 2 CP). Dans ce cas, seuls

192 ATF 123 IV 107, cons. 1; ATF 104 IV 222, cons. 1.b. ANDREAS ZûND, Dualismus, p. 74.

193 FRANÇOIS STRASSER, pp. 250s; ANDREAS ZûND, Landesverweisung, p. 367; le même, Dualismus, p. 74. V aspect sécuritaire de cette mesure est quelque peu controversé en doctrine. Pour le Tribu-nal fédéral, «on doit en déduire que l'expulsion est bien davantage une mesure de sûreté qu'une peine»: fll'F 117 IV 229, cons. l.c.cc (= JT 1993 IV 102). Se prononçant clairement pourle carac-tère de mesure: RENÉ ERNST, pp. 34ss.

194 Sur les rapports entre expulsion pénale et expulsion administrative, cf. ANDREAS ZûND, Landesverweisung; le même, Dualismus.

195 ATF 119 IV 195, cons. 3.b; ATF 114 IV 95, cons. b; ATF 104 IV 222, cons. 2.c: «si l'on doit bien tenir compte du double caractère de l'expulsion - mesure de sécmité et peine - avant de décider son application in concreto, cette distinction n'est plus de mise quand ils' agit d'octroyer le sursis.

A ce stade du jugement, la seule règle applicable est celle de l'art. 41 ch. 1 al. 1 CP». On s'en tiendra donc uniquement au pronostic sur le compottement futur du condamné en Suisse: fll'F 123 IV 107, cons. 4.a.

196 Du 15 juin 1934, RS 312.0. Ci-après: PPF.

197 FRANÇOIS STRASSER, p. 255; PETER SULGER BOEL, p. 105; NICOLAS WISARD, Renvois, pp. 147 et 154. A Genève, sont compétents: le chef du Dépaitement de justice et police et des transpotts pour statuer sur la libération conditionnelle et le repo1t de !'expulsion des personnes condamnées à la réclusion pour trois ans au plus; la Commission de libération conditionnelle pour les délinquants condamnés à la réclusion pour plus de trois ans (art. 8 alinéas 3 et 4 let. b et art. 8A alinéas 1 et 2 let. b loi d'application du code pénal, du 14 mars 1975, E 4 10). Les décisions du chef du Dépar-tement de justice et police et des transp01ts peuvent faire l'objet d'un recours à la Commission de libération conditionnelle (rut. 4A al. 3 loi suri' exécution des peines, la libération conditionnelle et le patronage des détenus libérés, du 22 novembre 1941, E 4 50). Les décisions de la Commission de libération conditionnelle sont encore susceptibles d'un recours au Tribunal administratif (art. 56A loi surl'organisationjudiciaire, du 22 novembre 1941, E 2 05). Lorsque l'expulsion ressortit à la

les éléments ayant trait à la resocialisation du délinquant entrent en ligne de compte, à l'exception de toute considération sécuritaire ou d'autres motifs de police des étrangers 198Le recours de droit administratif au Tribunal fédéral est alors recevable. Si le délai d'épreuve se déroule bien, l'expulsion ne sera alors pas exécutée (art. 55 al. 3 CP).

En revanche, la procédure de refoulement se mettra en marche dans les hy-pothèses suivantes: le sursis à la peine de prison a été prononcé, mais pas le sursis à l'expulsion 199 ; l'étranger a purgé sa peine sans être libéré conditionnellement200 ; le condamné, libéré conditionnellement, n'obtient pas le report de l'exécution de l' expulsion201 ; enfin, si le report est accordé mais que l'intéressé ne se comporte pas suffisamment bien durant le délai d' épreuve202. Si l'étranger n'a pas encore quitté volontairement le territoire, la procédure de re-foulement nécessite encore la prise d'une décision constatant l'absence d'obstacles à l'exécution forcée si l'intéressé invoque le principe de non-refou-lement203. En l'état de la jurisprudence, cette décision est susceptible d'être por-tée devant le Tribunal fédéral en recours de droit administratif pour les griefs relatifs au principe du non-refoulement au sens large204, voire en recours de droit public pour les autres griefs205 , notamment de procédure.

Le seul prononcé del' expulsion pénale - contrairement à l'expulsion admi-nistrative - n'entraîne pas la caducité du permis2°6• Le Tribunal fédéral a

toute-justice militaire, le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports décide si l'expulsion doit être différée à titre d'essai (art. 40 al. 2 CPM).

198 RENÉ ERNST, pp. 13 lss;ANDREAS ZÜND, Landesverweisung, pp. 368s; le même, Dualismus, p. 78.

ATF 116 IV 283, cons. 2.e; ATF 114 IV 95, cons. b; ATF 104 lb 152, cons. 2.a; ATF 103 lb 23, cons. 2.

199 Tel est le cas lorsque le pronostic favorable quant à la réinsertion, qui sous-tend le sursis à la peine principale, dépend de l'exécution de la peine accessoire, à savoir l'expulsion: ATF 114 IV 95, cons. b; ATF l 04 IV 222, cons. 2.b. ANDREAS z.üNo, Dualismus, p. 76. Critique sur cette manière de faire: FRANÇOIS STRASSER, pp. 253s.

200 ATF 122 IV 56, cons. 2; ATF 104 lb 275, cons. l.a.

201 Parmi de nombreux arrêts, par exemple: ATF 116 IV 283.

202 ATF 122 IV 56, cons. 2; ATF 104 lb 275, cons. l.a.

203 ATF 121IV345, cons. l.a. A Genève, c'est la police qui exécute l'expulsion et qui semble devoir prendre cette décision (ait. 3 al. 2 de la loi sur la police). La question demeure cependant controver-sée. En particulier, le recours coutumier au Conseil d'Etat, tel qu'il existait au moment où le Tribu-nal fédéral a rendu son arrêt 121 IV 345 ne constitue plus une voie de recours admissible, au vu de l'art. 98a OJ. Selon les informations que nous avons pu glaner, l'exécution de l'expulsion pénale serait loin, à Genève, de se dérouler selon la manière indiquée par le Tribunal fédéral.

204 ATF 121 IV 345, cons. l.a; ATF 118 IV 221, cons. Lb.

20s ATF 118 IV 221, cons. l.b.

206 ROLF ScHMID, p. 208; PETER SULGER BOEL, p. 109; DANIEL TuüRER, Rechtsstellung, p. 1383;N1co-LAS WISARD, Renvois, p. 146 et les références mentionnées à sa note 267; ANDREAS ZüND, Landesve1weisung, p. 369. La doctrine ne semble pas en être toujours convaincue - VALENTIN RoscHACHER, p. 145, estime ainsi que l'expulsion pénale met un terme à l'autorisation de séjour-, mais le Tribunal fédéral l'admet clairement: ATF 125 II 105, cons. 2.b.

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fois récemment reconnu que l'autorité de police des étrangers était liée par une expulsion judiciaire ferme et exécutoire, en ce sens qu'elle ne pouvait pas per-mettre à l'étranger de séjourner sur territoire suisse en lui octroyant une autori-sation de séjour207. Si l'autorité de police se retrouve liée par le jugement pénal intimant à l'étranger de quitter le territoire et à ne plus y venir durant toute la durée de la mesure, en ce sens qu'elle ne peut pas lui délivrer la moindre autori-sation, il faut également la considérer comme liée quant au renouvellement de l'autorisation de séjour. D'après l'art. 14 al. 8 RSEE, cette dernière reste en vigueur «au moins jusqu'à [la] libération» du délinquant. Au delà, donc après la sortie de prison, la jurisprudence fédérale empêche l'étranger d'en obtenir le renouvellement, pour autant quel' expulsion soit définitive et exécutoire. En fin de compte, cette dernière ne laisse donc que l'autorisation d'établissement in-tacte. La mise en œuvre pratique del' expulsion, par le départ volontaire ou forcé del' étranger, y met toutefois fin dans un délai de six mois208 (art. 9 al. 3 let. c LSEE).

Ainsi, il faut considérer que le prononcé del' expulsion ne confronte pas le délinquant au même devoir général de quitter la Suisse découlant des mesures du droit des étrangers. L'expulsion pénale crée une obligation de départ à caractère formateur qui se distingue des mesures administratives d'éloignement qui, elles, ne font que confronter l'étranger à son obligation ex lege de quitter la Suisse209.

L'autorité d'exécution du jugement pénal ne pourra prendre à l'encontre d'un étranger qui reste au bénéfice d'une autorisation le même ordre de renvoi que l'autorité cantonale qui exécute une mesure de police des étrangers. Cependant, lorsque le délinquant n'a aucun droit de présence, ou que son autorisation prend définitivement fin à sa sortie de prison, la solution est différente, les éventuelles voies de recours aussi. Si l'étranger n'a plus de titre de séjour, l'autorité de police des étrangers pourra également ordonner le départ del' étranger par l' adop-tion d'un véritable ordre de renvoi, qui exécuterait alors l'obligaadop-tion générale de quitter la Suisse plutôt que l'expulsion pénale.

Enfin, on relèvera qu'une procédure en grâce (art. 394ss CP) reste à disposition de l'étranger. Le prononcé de la grâce par l'autorité cantonale compétente - le cas échéant uniquement sur la peine accessoire que constitue l'expulsion pénale - en suspend alors l'exécution.