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Section 1. Le regroupement familial des articles 7

B. Le comportement de l'étranger

1. L'existence d'un motif d'expulsion

D'après la formulation de l'art. 7 al. 1 3e phrase LSEE, la prétention juridique que cette disposition garantit au conjoint étranger d'un ressortissant suisses' éteint

«lorsqu'il existe un motif d'expulsion». Il nous faudra nous attarder sur plusieurs points pour découvrir qui cette condition vise (a), quel est le droit quis' éteint (b) et ce qui constitue précisément un «motif d'expulsion» ( c).

a. Le champ d'application personnel

Si la survenance d'un motif d'expulsion concerne avant tout le conjoint étranger d'un citoyen suisse, elle ne se limite cependant pas à éteindre les seules prétentions juridiques de l'art. 7 LSEE. Selon l'art. 10 LSEE, l'autorité peut fort bien prononcer une expulsion à l'encontre du titulaire d'une autorisation obtenue par le biais de l'article 17 al. 2 LSEE.Afortiori, l'existence d'un motif d'expulsion peut donc également éteindre le droit des personnes visées par l'art. 17 al. 2 LSEE378 . Cette solution est logique: le législateur n'a en effet pas voulu traiter de manière privilégiée les couples étrangers par rapport aux couples mixtes, si bien que les motifs éteignant le droit à l'autorisation des seconds doit valoir pour la même prétention des premiers. L'art. 7 al. 1 3e phrase LSEE ne peut avoir comme finalité de mettre à l'abri de la perte du permis les personnes qui bénéficieraient du regroupement familial au titre de l'art. 17 al. 2 LSEE. Cette disposition, qui stipule que le droits' éteint si l'étranger enfreint l'ordre public, n'exclut donc nullement que le droit s'éteigne en cas d'existence d'un motif d'expulsion; elle ne fait qu'ajouter au non-respect del' ordre public - sur lequel nous reviendrons379 - un motif supplémentaire de perte du droit à l'autorisation.

378 Voir par exemple l'ATF 119 lb 81 où la question se posait de savoir si le motif d'expulsion de l'art. 10 al. 1 let. d LSEE pouvait faire perdre le droit au regroupement familial de l'aii. 17 al. 2 LSEE.

379 Infra, pp. 174ss.

b. «Ce droit s'éteint. .. »

La version française de l'art. 7 al. 1 3e phrase LSEE nous apprend que «ce»

droit au permis s'éteint lorsqu'il existe un motif d'expulsion. Le texte italien recourt à la même formulation380. Présenté ainsi, une lecture littérale pourrait faire croire que seul le droit à l'autorisation d'établissement prend fin, à l'exclusion du droit à l'octroi et à la prolongation del' autorisation de séjour. Le texte allemand dispose de son côté que «der Anspruch erlischt...», permettant d'admettre que c'est le droit général à l'obtention d'une autorisation, quel que soit son genre, qui prend fin. Cette solution doit être retenue. Elle correspond à l'esprit de la disposition381 et à la systématique de la loi. L'art. 9 al. 1 let. d et al. 3 let. b LSEE indique en effet que tant le permis de séjour que celui d'établissement peuvent prendre fin par suite d'expulsion. Dans ce cas, la pe1te du permis intervient donc indépendamment de sa nature. Il doit en aller de même de la fin du droit à l'autorisation de séjour et d'établissement382. Bien entendu, seul tombe le droit lui-même: si l'étranger est déjà au bénéfice d'une autorisation, celle-ci ne prend fin ou ne peut être révoquée qu'aux conditions de l'art. 9 LSEE, ou par non-renouvellement pour l'autorisation de séjour.

c. « .. .lorsqu'il existe un motif d'expulsion»

Selon le message du Conseil fédéral383, par «motif d'expulsion», il faut entendre un motif pouvant justifier une expulsion au sens de l'art. 70 aCst. (devenu l'art. 121 al. 2 Cst.), de l'art. 10 al. l lettres a ou b LSEE, ou encore de l'art. 55 CP384. Le Conseil fédéral n'a pas expressément retenu les deux autres motifs d'expulsion de l'art. 10 al. 1 LSEE, à savoir les cas où l'étranger compromet l'ordre public par suite de maladie mentale (let. c) et où l'étranger, ou une per-sonne aux besoins de laquelle il est tenu de pourvoir, tombe d'une manière continue et dans une large mesure à la charge de l'assistance publique (let. d). Ces deux cas de figure constituent cependant aussi des motifs d'expulsion, si bien qu'on voit mal pourquoi ils ne pourraient pas s' appliquer385. En revanche, la mention

380 «Questo diritto si estingue ... ».

381 FF 1987 III 312, où, sous le point 25.22, le Conseil fédéral emploie le mot «droits» au pluriel.

382 Arrêt du TF du 17 janvier 1995 en la causeD. (2A.238/1994, non publié), cons. 3.a.

383 FF 1987 III 312.

384 Il faut évidemment également retenir l'art. 40 CPM, qui prévoit aussi l'expulsion pénale.

385 Les Chambres fédérales, lors de la révision totale de la LSEE en 1981 (rejetée en votation popu-laire), n'ont pas maintenu le motif d'expulsion de l'actuel art. 10 al. 1 let. c LSEE et ont limité l'éloignement des indigents aux seuls étrangers en Suisse depuis moins de dix ans, et sous la seule forme du rapatriement: FF 1981 II 568s. Il n'en reste pas moins que les lettres cet d de l'ait. 10 al. 1 LSEE restent actuellement en vigueur et que les autmités, en tout cas pour la seconde, y recourent encore, y compris pour nier le droit au permis de!' art. 7 LSEE (infra, pp. 17 ls). Contra:

arrêt du Tribunal administratif du canton de Berne du 14 octobre 1994, in JAB 1995, p. 552, cons. 6.

CHAPITRE 3 - LA PRÉSENCE EN SUISSE PAR LE RÈGLEMENT DES CONDITIONS DE RÉSIDENCE

de l'art. 55 CP est tout simplement inutile. Selon cette disposition, ne peut être expulsé que létranger condamné à la réclusion ou à l'emprisonnement, donc pour crime ou délit (art. 9 CP). Or, il s'agit là du même motif qui permet de justifier l'expulsion administrative au sens de l'art. IO al. 1 let. a LSEE. Dès lors, il n'est ni nécessaire, ni judicieux, vu les buts divergents que poursuivent droit pénal et droit des étrangers, de passer par l'art. 55 CP. Le recours aux quatre motifs d'expulsion de l'art. IO LSEE suffit386.

Le motif d'expulsion de l'art. IO al. 1 let. a LSEE est réalisé dès que I' étran-ger a été condamné par une autorité judiciaire pour crime ou pour délit. L' élé-ment est objectif: une condamnation pour un acte passible de la réclusion ou de l'emprisonnement (articles 9, 35 et 36 CP), même assortie du sursis, suffit. Le motif d'expulsion est alors rempli lorsqu'un verdict de culpabilité est rendu. II en est donc de même si le juge prononce, à la place de la peine, le placement dans une maison d'éducation au travail, au sens de l'art. lOObis CP387. En définitive, ce n'est donc point la peine infligée à l'issue du procès qui s'avère déterminante, mais la peine-menace définie dans la disposition pénale 388 et la culpabilité de l'auteur. Le fait que l'étranger ait au surplus été condamné ou non à l'expulsion pénale comme peine accessoire n'y change rien389.

La jurisprudence a par exemple retenu comme motifs d'expulsion un meurtre390, des infractions qualifiées à la loi fédérale sur les stupé-fiants391, la conduite en état d'ébriété392, des délits d'ordre sexuel sur des enfants 393, un vioJ394, des vols avec violences physiques 395 et di-verses infractions économiques396, etc.397.

386 La mention de l'ait. 70 aCst. ne mérite pas de grands développements, vu la rareté des cas d'appli-cation.

387 ATF 125 Il 521, cons. 3.a-d.

388 An·êt du TF du 18 mai 1993 en la causeM.-S. (2A.250/1992, non publié), cons. 3.a.

389 ATF 122 II 433, cons. 2.b.

390 ATF 125 II 105, cons. 3.a; ATF 105 Th 165.

391 Du 3 octobre 1951, RS 812.121. Ci après: LStup. ATF 120 Th 6; ATF 114 lb!.

392 Décision du Conseil d'Etat du canton de Schwyz du 14 septembre 1993, in EGVSZ 1993, p. 154.

Le recourant a également été condamné pour port <l'aime illégal. Voir aussi ATF 116 Th 113, cons. 4.a-b.

393 Arrêt du TF du 17 juillet 1995 en la causeM.M. (2A.116/1995, non publié). Le recourant a égale-ment été condamné pour de nombreux autres actes.

394 ATF 122 II 433, où le recourant avait aupai·avant été reconnu coupable de meurtre, notamment.

Une tentative de viol constitue bien évidemment aussi un motif d'expulsion: ATF98 Th 85, cons. 2.d.

395 ATF 125 II 521, cons. 4.a.aa.

396 Arrêt du Tribunal administratif du canton de Neuchâtel du 30 juin 1993, in RDAF 1993, p. 448, cons. 2.a: l'intéressé a été reconnu coupable, entre autres, de nombreuses escroqueries, d'abus de confiance, de vol, de recel et d'obtention frauduleuse d'une prestation.

397 Pour une condamnation notamment <<Jvegen Notzucht, bandenmiissigen Diebstahls, einfacher Ko1perver/etzung, wiederho/ter Sachbeschiidigung, wiederholten Hausfriedensbruchs, ... »,voir ZBl 1992, p. 569, cons. 2.b-c.

Pour ce qui a trait au motif del' art. 10 al. 1 let. b LSEE, son indétermination est quelque peu relativisée par l'art. 16 al. 2 RSEE qui pose que «l'expulsion peut paraître fondée [ ... ] notamment sil' étranger contrevient gravement ou à réitérées fois à des dispositions légales ou à des décisions de l'autorité; s'il attente gravement aux mœurs; si, par mauvaise volonté ou par inconduite et de façon continue, il ne satisfait pas à des obligations de droit public ou privé; s'il vit dans l'inconduite ou la fainéantise». La liste est exemplative, si bien que d'autres comportements peuvent laisser conclure que l'étranger n'est pas capable de se conformer à l'ordre établi. Par ordre établi, il ne faudrait pas seulement comprendre l'ordre jmidique, mais également les mœurs généralement reconnues dans le pays 398.

Le Tribunal fédéral a jugé en 1970 que le fait de s'engager politique-ment, même dans des mouvements d'extrême gauche, ne démontrait pas l'incapacité de l'étranger à s'adapter à ce fameux ordre établi.

Cependant, la participation de l'intéressé à des manifestations non autorisées durant lesquelles l'ordre public fut parfois considérable-ment perturbé, et surtout ses prises de parole publiques débouchant sur une mise en cause de la police et exigeant des démissions 399 ont été considérées comme remplissant le motif d'expulsion de l'art. 10 al. 1 let. b LSEE.

A de même été considéré comme incapable de s'adapter à l'ordre éta-bli l'étranger retrouvé à de multiples reprises sans emploi, sans toit et sans moyens, et condamné plusieurs fois pour divers petits larcins et dommages à la propriété40o, tout comme l'individu qui, après plus de vingt ans de présence en Suisse, se rend coupable de multiples délits et menace d'autres personnes juste après sa sortie de prison pour abus sexuels sur sa fille. Ses actions, que l'intéressé justifie par sa menta-lité turque, démontrent qu'il n'est pas capable des 'intégrer en Suisse401.

Même si l'organisation de mariages fictifs n'est pas pénalement pu-nissable402, le Tribunal fédéral considère qu'il s'agit là d'une activité constitutive d'un motif d'expulsion au sens de cette disposition403 .

398 ATF 96 1 266, cons. 4: «die im Lande allgemein anerkannte Sittenordnung».

399 ATF 96 1 266, cons. 5.c: «Dabei griffer die Po/izei heftig an; nach ihrer Darstellung, die er nicht bestreitet, sprach er von einem "Augiasstal/" undforderte Riicktn'tte; nach seiner eigenen Aus-sage schloss er mit der Aufforderung, "der So/idaritiit der Po/izei eine So/idaritiit der Ve1walte-ten entgegenzusetzen ". Damit iiberschritt er offensicht/ich die Grenzen, die nach der in der Sclnveiz a//gemein anerkannten Sittenordmmg in der po/itischen Auseinandersetzung, nament-lich bei der K1ùik an den staatnament-lichen Institutionnen und BehOrden, einzuhalten sind».

400 ATF 98 lb 1.

401 AITêt du TF du 17 juillet 1995 en la cause M.M. (2A. l 16/1995, non publié), cons. 2.

402 ATF 125 IV 148. Pour un point de vue opposé, selon lequel l'étranger engagé dans un mariage fictif séjourne illégalement en Suisse, ce qui entraîne l'application de l'art. 23 LSEE, voir 1EAN-PHILIPPE HEIM, p. 62.

403 Anêt du TF du IO mars 1997 en la cause M. (2A.516/1996, non publié), cons. 2.b. ALAIN WURZBURGER, p. 318.