• Aucun résultat trouvé

Une action plus coordonnée dans les arènes multilatérales

La stratégie brésilienne de lutte contre la faim du gouvernement Lula da Silva est née avec une « ambition » internationale. Il se trouve qu’avant même le lancement du Programme Faim Zéro, certaines organisations internationales s’y étaient déjà intéressées.

66 Les catégories prises en compte sont : coopération technique et technologique, bourses d’étude, contributions

aux organisations internationales, coopération humanitaire et opérations de maintien de la paix.

Figure 3.7: Évolution de l’exécution budgétaire de l’ABC, par région, 2003-2014 (montants en millions USD)

Source : Adapté par l’auteur de (ABC 2015)

0 5 10 15 20 25 30 35 40

Asie, Europe orientale, Moyen orient Amérique Latine, Amérique du Nord et Caraïbe

180

La priorisation nationale de cet agenda a été internationalement saluée, notamment dans un contexte d’adoption de compromis et de réduction de la pauvreté par le Sommet mondial de l’alimentation de la FAO et des « Objectifs de développement du millénaire » (ODM). En outre, le groupe de travail chargé de transformer le « projet Faim Zéro » en politique publique – formé par des représentants du gouvernement brésilien, de la société civile nationale, des fonctionnaires de la FAO, de la BID et de la Banque mondiale – avait pris une connaissance détaillée des termes du programme. La visibilité du président Lula da Silva dans les réunions des Nations Unies a également joué en la faveur du programme. Fraundorfer (2013, p. 91–92) a par ailleurs décrit le rôle des campagnes « Hunger Free » organisée par l’ONG ActionAid et « Cultivons » promue par Oxfam, toutes les deux à priori inspirées par les résultats de la stratégie brésilienne.

En effet, une série d’acteurs nationaux a contribué à cet effort délibéré de divulgation afin de faire connaître la stratégie Faim Zéro à l’échelle mondiale. Dans ce contexte, des organisations telles que le bureau national de la FAO et de la Banque mondiale ont agi en tant qu’acteurs intermédiaires importants, mais le Faim Zéro avait comme porte-parole le président Lula da Silva lui-même. En outre, un effort diplomatique a été accompli par le ministère brésilien des Affaires étrangères, qui a créé en 2004 une Coordination-générale de l’action internationale contre la faim (CGFome) pour agir en tant qu’interface internationale de la stratégie. Cette division vise à coordonner la politique étrangère brésilienne dans les domaines de la sécurité alimentaire, du développement rural et de la coopération humanitaire, ce qui reflète la priorité gouvernementale donnée à cette thématique67. Des ministères tels que le MDA et le MDS interagissent constamment avec la CGFome en ce qui concerne leur engagement dans la coopération sud-sud. Le gouvernement brésilien a en outre créé deux institutions qui ont participé à cette entreprise ; nous y reviendrons dans le chapitre suivant68.

67 Le directeur de la CGFome est un diplomate lié au Parti des travailleurs et liés au processus de construction du

Programme Faim Zéro.

68 Premièrement, l’institution de recherche du Centre international de politiques pour une croissance inclusive

(IPC-IG), en collaboration avec le PNUD et l'Institut public de recherche économique appliquée (IPEA), a divulgué les résultats de divers programmes de la Stratégie Faim Zéro et a contribué à légitimer l’approche brésilienne, reposant sur un système d’évaluation. De plus, le Centre d'excellence contre la faim du Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies (PAM), créé à Brasilia en 2011 avec un financement initial du gouvernement brésilien, représente la dernière phase de coopération entre le PAM et le Brésil. Présidé par l'ancien directeur du Fonds national de développement de l'éducation (FNDE), il vise à promouvoir la connaissance à travers le monde du système de mise en place pour les repas scolaires et joue un rôle important dans la diffusion d’informations sur le PAA et le PNAE.

181

La « validation » internationale du Programme Faim Zéro

Il convient de souligner que toutes idées ou pratiques ne deviennent pas des formats acceptables pour l’internationalisation. D’où ces questions préalables : comment cet ensemble précis d’idées a-t-il été assemblé et formaté pour l’exportation? Comment cet ensemble d’instruments s’est-il défait de ses idiosyncrasies locales et contextuelles pour se convertir en standard ? Cette transformation requiert un travail politique et culturel soutenu par les mécanismes de certification par les organisations internationales, et de décontextualisation des instruments brésiliens de politiques rurales, en les configurant en tant que normes génériques de « lutte mondiale contre la faim » (Ancelovici & Jenson 2012; Milhorance 2014b; Peck & Theodore 2015). Ce processus s’intéresse à la façon dont les instruments sont d’abord identifiés dans leur milieu national par les décideurs, les ONG ou d’autres institutions, puis reconfigurés en modèles standards destinés à l’internationalisation. En empruntant les travaux de Blatrix (2012), nous pouvons souligner que cette « mise en universalité » mène à l’idée d’une neutralité politique.

L’intérêt international a été approfondi après la Rencontre des chefs d'Etat brésilien, chilien, français et du secrétaire général des Nations Unies contre la faim et la pauvreté, en 200469. Ensuite, le Brésil a lancé, en partenariat avec le Guatemala, l’initiative « Amérique latine et Caraïbes libérées de la faim en 2025 ». Cette campagne a été ultérieurement endossée par la FAO. Takagi (2006, p. 6–7) cite, par exemple, l’intérêt de l’Argentine, de l’Uruguay, du Chili et d’autres pays latino-américains pour les actions du programme depuis son départ. Le dispositif de la Bourse famille a suscité un intérêt particulier dans certains de ces pays70. La Banque mondiale a été l’un des principaux acteurs de la diffusion internationale de l’information sur cet instrument, ayant entre autre participé à sa mise en œuvre avec l’apport financier de 572 millions USD. Les organisations internationales telles que la FAO, le Pnud et la Commission économique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes (Cepal) ont cité l’exemple du Brésil dans leurs rapports annuels (CEPAL 2004, p. 96–105; FAO 2004b, p. 4). De nombreux acteurs de la gouvernance mondiale de la sécurité alimentaire et de la société civile internationale ont

69 Déclaration conjointe des présidents Chirac, Lula da Silva, Lagos et du secrétaire général Kofi Annan : « Action

contre la faim et la pauvreté » (Genève, 30 janvier 2004).

70 Colombie (Famílias en Acción), Honduras (Programa e Asignación Familiar - PRAF); Jamaïque (Program of

Advancement through Health and Education - PATH); Nicaragua (Red de Protección Social - RPS); Chile (Chile Solidário); e Argentine (Jefes e Jefas) (Takagi 2006, p. 177).

182

salué l'approche du pays. La Bourse famille a d’ailleurs été reconnue comme étant le « plus

important programme de transfert conditionnel de revenus au monde » (Hall 2006, p. 689).

La certification de la stratégie par ce groupe représentait en quelque sorte l’aval de ses objectifs et de son contenu, avec un effet politique positif pour les promoteurs du programme, en diminuant les barrières internes à sa mise en œuvre. Mais cette démarche a également contribué à diffuser internationalement des informations concernant cette stratégie brésilienne. Comme le constate Blatrix (2012) au sujet de la démocratie participative, le rôle de promotion dans la circulation d’idées et de solutions d’action publique repose aussi sur la mise à disposition des connaissances sur une pratique, ses modalités d’organisation, les conditions auxquelles elle pourra être transférée et adaptée à des contextes variés. La pluralité des espaces dans lesquels les « promoteurs » naviguent garantit une visibilité et une notoriété à toute expérience locale.

Alors que la volatilité des prix s’est développé sur les marchés mondiaux et que de nombreuses régions ont vécu une pénurie alimentaire critique à la fin des années 2000, le Brésil a augmenté sa production agricole et ses exportations de produits alimentaires. De plus, le pays a fait preuve d’une réduction drastique de ses niveaux d’insécurité alimentaire, ainsi que de la pauvreté rurale au niveau national (F. Pierri 2013). Le Brésil a atteint l’objectif de réduire de moitié la part de sa population souffrant de la faim (ODM n° 1) avant son terme et, d’après la FAO, depuis le début des années 2000, le taux de sous-alimentation a été réduit de moitié, passant de 10,7 en 2000 à moins de 2 % en 2010 (Pnud 2010b; FAO & OCDE 2015, p. 111). L’élection de Graziano da Silva en 2011 à la direction de la FAO représentait un autre symbole de l’estime internationale pour cette expérience.

Des ressources accrues de légitimité

La reconnaissance mondiale de cette expérience a non seulement renforcé la stratégie Faim Zéro d’un point de vue de la politique interne, mais a aussi, selon l’ancien chef de la division internationale du MDA, doté le Brésil de capacités diplomatiques, technologiques et politiques afin qu’il devienne un acteur majeur dans le dialogue politique et la coopération sur la sécurité alimentaire et l'agriculture (F. Pierri 2013). Dans ce contexte, le programme est devenu une référence internationale avant même d’être effectivement mis en œuvre et de démontrer des résultats tangibles. La simple priorisation gouvernementale ainsi que la définition de la lutte contre la faim en tant que

Outline

Documents relatifs