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Institutionnalisation flexible et accent sur la production de normes au sein des clubs diplomatiques Marginalisés par la diplomatie occidentale, les puissances émergentes ont trouvé plusieurs fronts de coalition par le biais des « clubs diplomatiques »58 tels que les BRICS,

IBAS, BASIC. Malgré la multiplicité des coalitions de ce type, nous nous limitons dans ce

chapitre aux cas du Brésil, en articulation avec ceux de l’Afrique du Sud, la Chine et l’Inde à travers les BRICS et le Forum IBAS. Malgré leur ambition de reconnaissance internationale, leur effort concret n’a été jusqu’à présent que graduel, désordonné et irrégulier (Hirst 2012). Ces dynamiques ont été caractérisées par Kahler (1993) et ensuite par Badie (2014) comme une forme de « minilatéralisme » – des cercles informels de puissants vers lesquels se déporteraient les choix essentiels.

Son agenda évolutif et flexible repose sur une représentation alléguée du Sud dans les arènes de la gouvernance globale, en particulière des Nations Unies et de

58 Pour la notion de club diplomatique, voir Soule-Kohndou (2014) et (Albaret 2013). Ces cercles informels ont été

également caractérisés comme un minilatéralisme (Kahler 1993; Badie 2014).

Figure 1.7 : Importations et exportations du Brésil de et vers la Chine, par catégorie de produit, 2014 (en milliards USD)

Source : Adapté par l’auteur de Comtrade Database (2015)

0 5 10 15 20 25 30 35 40

transformé non-transformé transformé non-transformé

Import Export Mo nt ant (m ill ia rds U SD ) Biens Biens de consommation Équipements de transport Biens d'équipements (sauf transport) Carburants et lubrifiants Approvisionnement industriel Produits alimentaires et boissons

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l’OMC. La multiplication d’initiatives visant à favoriser les échanges culturels, d’expériences, et de connaissances, alliées à une coopération économique croissante et à l’intérêt commun à démocratiser les instances internationales, constituent la base de leur intégration progressive. En dépit de l’hétérogénéité entre les membres de ces clubs et de leurs différences sur le plan commercial et/ou parfois politique59, ces pays ont une capacité et un intérêt croissants à contribuer à la production de normes régionales et internationales (European Parliament 2011). Comme résumé par l’ancien ministre brésilien des affaires étrangères, Celso Amorim, la stratégie des BRICS est double : travailler au sein des Nations Unies, et en même temps pousser de l’extérieur pour des réformes (Amorim 2011). La coordination entre ces pays au sein d’autres forums tels que le G20 atteste d’un impact sur les négociations internationales, visant à contrer ce qu’ils perçoivent comme un système multilatéral non-démocratique (European Parliament 2011). Considéré comme un espace incontournable de la gestion des crises financières globales, le G20 reste la principale préoccupation des BRICS.

La flexibilité institutionnelle est au cœur de l’idée même de ces clubs. Ces pays n’envisagent pas de promouvoir artificiellement les processus d’institutionnalisation, mais visent au contraire à assurer une base opérationnelle solide pour leurs interactions stratégiques. La densification des transactions et des interactions entre les acteurs de ces pays contribue progressivement au renforcement de ce club qui est encore fragile et qui prône pour l’autonomie de chaque pays membre (Milhorance 2014a, p. 37–38). Par ailleurs, l’ « esprit de Bandung » que nous avons évoqué au cours de ce chapitre est souvent mobilisé par les responsables politiques pendant les sommets des chefs d’État, malgré la trajectoire divergente de la Russie. Par exemple, lors du Ve Forum des BRICS de 2013 à Durban, le ministre sud-africain des affaires étrangères a insisté à plusieurs reprises sur l’histoire commune de ces pays : « Notre histoire distingue les pays BRICS des

puissances traditionnelles. Il s’agit d’une histoire de lutte contre le colonialisme et le sous- développement ; c’est l’esprit de Bandung »60.

Interactions des BRICS avec les acteurs non-membres

Ce club a été critiqué tout autant par les gouvernements du Nord que par les sociétés du Sud. Leur déficit démocratique fait l’objet de reproches : les forums officiels,

59 La réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies est un aspect important de l’agenda des BRICS.

Cependant, alors que le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud expriment leur détermination à accéder à un siège permanent dans le Conseil, la Chine et la Russie y figurent déjà.

60 Mme Maite Nkoana-Mashabane, Ministre des Relations internationales et de la coopération, diner d’ouverture

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par exemple, incluent des institutions privées et étatiques ; et le forum académique implique notamment des think tanks liés aux gouvernements de chaque pays membre. À Durban, le Ve sommet des BRICS 2013 avait été suivi de la rencontre « BRICS from

bellow » et le VIe sommet, qui s’est tenu en 2014 à Fortaleza, a été suivie de la « Rencontre des peuples ». Cette dernière a critiqué le projet et les mécanismes d’insertion internationale des BRICS, fondé sur l’internationalisation de ses multinationales, et plus particulièrement celles du secteur extractif. La Banque de développement des BRICS, si finalement mise en route, devrait aussi promouvoir l’expansion de ces entreprises. La conduite des « méga-événements » qui ont eu lieu dans ces pays – comme la Coupe du monde en Afrique du Sud et au Brésil (en 2010 et 2014 respectivement) ou les Jeux Olympiques d’été en Chine et d’hiver en Russie (en 2008 et 2014 respectivement) – ont fait également face à des contestations multiples, vu les méthodes peu transparentes de déploiement des infrastructures. Ceci dit, l’articulation entre les organisations sociales de ces pays se consolide dans le pas de la propre consolidation du club.

L’intérêt de l’engagement des BRICS avec les pays non-membres – principalement africains – ainsi qu’avec des organisations régionales61 a été mis en avant lors de plusieurs sommets. Cependant, il semble que la réforme des institutions financières internationales prend une place plus importante dans leur agenda que la définition d’un plan d’action dans le domaine de la coopération pour le développement62. Par ailleurs, ils n’agissent pas en coalition sur ce sujet, malgré la mobilisation similaire des principes de la coopération sud-sud.

Coopération triangulaire et socialisation de normes au sein du Forum IBAS

Cette approche est distincte de celle du forum de dialogue IBAS qui réunit l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud depuis 2003, et qui a mis en place un fonds de développement63 ainsi qu’un mécanisme de réduction de la pauvreté et de la faim afin de financer des projets modestes dans les pays en développement. Tout comme les BRICS,

61 Un plan de dialogue et de coopération avec les représentants africains a eu lieu lors du Ve sommet des BRICS

sous le thème « Libérer le potentiel de l’Afrique : la coopération BRICS-Afrique pour les infrastructures », très ciblé sur l’intégration régionale du continent par le biais du NEPAD.

62 Eyben and Savage (2013) constatent que les pays émergents ciblent davantage les Nations Unies et le G20

comme forum privilégié de débats sur le développement, au détriment du Comité d’aide au développement à l’OCDE ou le partenariat de Busan. Les BRICS n’envisagent pas d’intégrer ou de réformer l’agenda et les institutions de l’aide (représentés par le CAD/OCDE et par les déclarations d’Accra et de Paris) dans la mesure où ces pays ne reconnaissent pas ces forums comme étant inclusifs ou légitimes.

63 Le Fonds IBAS, hébergé par le PNUD, est financé à hauteur de $1 million annuel par les trois Etats membres et

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ce forum se configure comme un ensemble d’institutions se structurant à travers une diplomatie de sommet annuel de chefs d’État et de gouvernement, ainsi que de réunions ministérielles et techniques. La dimension transcontinentale de ce type d’interaction cimente leur rôle et accroît leur importance (Soulé-Kohndou 2014); cependant, certains auteurs (Hirst 2012) soulignent l’avancée des BRICS dans l’effort de multipolarisation de la communauté internationale. Malgré la plus grande cohérence politique de l’IBAS par rapport aux BRICS, l’inclusion de la Russie et notamment celle de la Chine renforce la marge de négociation de ces derniers.

Les activités de coopération du Forum IBAS se structurent autour de groupes de travail multisectoriels. D’après Soule-Kohndou (2014), l’action multilatérale de l’IBAS et la densification de ces échanges servent à un ensemble d’usages stratégiques transversaux de recherche d’autonomie, de légitimation politique et de socialisation. La quête d’autonomie passe par la diversification des partenaires économiques et politiques alors que l’usage de légitimation passe par un affichage politique de leurs actions afin de projeter une image internationale de sa démarche coopérative. La quête d’autonomie passe en outre par la remise en cause des normes dominantes de la coopération internationale, mises en place par les institutions onusiennes. De même que ses homologues, le Fonds IBAS mobilise des stratégies diplomatiques réformistes, en encourageant le changement des pratiques des Nations Unies dans la gestion des projets. Les enjeux de ce type de coopération triangulaire, impliquant des pays émergents, des organisations internationales et des pays en développement seront traités dans le Chapitre 5.

Quant au processus de socialisation des normes et des pratiques, celui-ci bénéficie des réunions techniques des groupes de travail trilatéraux qui tissent des liens sociaux indépendants des décisions du gouvernement. Par exemple, le projet de mise en place d’un marché international pour les biocarburants, qui profiterait particulièrement au Brésil, bénéficie de la structure ad hoc de l’IBAS pour socialiser les normes techniques et pour partager leur expertise quant aux cadres légaux et institutionnels de la promotion des biocarburants. L’harmonisation de ces normes techniques est considérée comme essentielle pour la « commoditisation64 » des biocarburants d’après les diplomates brésiliens (Itamaraty 2011). À cet égard, des échanges autour des sujets de l’industrie

64 L’idée de « commodity » renvoie au jargon économique présenté dans la première partie de ce chapitre. Elle

renvoie notamment au marché des marchandises d’origine agricole ou minière produites en grande escale avec des caractéristiques homogènes, et dont le prix est défini par l’offre et la demande internationale. Par exemple : le maïs, le soja, le lait, le café, le sucre, le pétrole, l’or, l’argent, le caoutchouc, etc. La diplomatie brésilienne désigne « commoditisation » l’organisation du marché international des biocarburants. D’après ses rapports, l’éthanol jouit des mêmes conditions de marché que le pétrole, fondé sur les cotations internationales. De même, l’absence de ce marché pour l’éthanol contraint le développement de cette industrie au Brésil (Kloss 2012, p. 21).

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automobile, de la cogénération de bioélectricité, des systèmes intégrées de production- distillation, du système brésilien d’enchères publiques de biodiesel et du label social se sont déroulés entre les membres du Forum IBAS (Milhorance 2015a).

Enfin, l’accroissement de la coopération, du commerce et de la formation de clubs diplomatiques de pays émergents contribue à densifier les échanges sud-sud, en produisant une base matérielle et symbolique d’intégration. Bien que ce processus ne soit pas nouveau, il connaît une progression importante dans les années 2000 et saisi l’opportunité créée par la crise financière au sein des économies centrales, ainsi que par la crise alimentaire dans le Sud. Pour certains auteurs, ce processus d’intégration produit un changement du système international, en le décentralisant (Brun 2012). Ces dynamiques composent les bases contextuelles de notre thèse, qui s’intéressera à la production et à la circulation de normes au sein de ce système d’échanges sud-sud.

Implications analytiques de l’objet d’étude

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