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Au cours des années 1990 et 2000, un corpus bibliographique a mis en évidence les structures politiques et sociales internes des pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne, en adaptant les outils des études sur la convergence aux études sur le

changement institutionnel afin de comprendre le processus d’harmonisation avec les

normes européennes dictées par l’organisation supranationale (Cowles et al. 2001; Risse et al. 2001; T. Börzel & Risse 2002; Holzinger & Knill 2005; Tulmets 2005; Bulmer & Padgett 2005). La question des résultats des dynamiques de convergence a donc principalement été posée à travers ce processus d’européanisation, qui limite sa portée empirique aux politiques publiques18.

Les travaux sur l’européanisation, comme synthétisés par Tulmets (2005, p. 14– 15), ont traité principalement de la nature de cette politique, des transformations des États candidats et de l’approfondissement de l’intégration européenne. C’est l’impact de la conditionnalité à l’adhésion sur les États membres qui est au cœur de ces études19. Il émerge également une littérature plus critique qui met l’accent sur les trajectoires nationales différenciées du fait de la prise en compte d’une dépendance au sentier (path

dependency) propre à chacun des pays, tout comme la prise en compte des phénomènes

d’hybridation et de déviance au sentier (path shaping). D’autres travaux se sont intéressés au processus de résistance, voire de refus, dont ces transferts institutionnels font l’objet

18 Ce concept a été défini par Claudio Radaelli comme : « le processus de construction, de diffusion et

d’institutionnalisation de règles formelles et informelles, de procédures, de paradigmes, de styles, de savoir-faire et de normes et croyances partagées qui sont d’abord définis et consolidés dans les décisions de l’Union européenne puis incorporés dans la logique des discours, des identités, des structures politiques et des politiques publiques à l’échelon national » (Radaelli 2000, p. 4).

19 L’intégration régionale est en effet un processus clé du partage de politiques publiques, comme l’attestent des

études portant sur la régionalisation en Amérique latine. Ces études constatent l’apparition d’un processus spécifique à cette région, fait d’assemblages, d’innovations et de diffusions de modèles sectoriels de politiques publiques. La régionalisation d’après ce cadre s’active « par le bas », en réinsérant les dynamiques nationales et sub-nationales dans l’analyse (Massardier & Sabourin 2013, p. 85–94).

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(Saurugger & Surel 2009; Colman & Crespy 2014; Crespy & Saurugger 2014)20. Cette approche, largement institutionnaliste, a tendance à être relayée par les approches par

l’apprentissage et par la socialisation et à intégrer plus concrètement le poids des échanges

et des interactions multiples qui entourent l’élaboration de normes et de politiques publiques (Risse et al. 2001; Tulmets 2005; Saurugger & Surel 2006, p. 186).

Une conclusion récurrente de ces études est celle d’une « réception active » des modèles transférés par les acteurs nationaux (Cowles et al. 2001; T. Börzel & Risse 2002; Palier et al. 2012; Maurel et al. 2014). L’une des idées centrales est celle d’habiliter les

structures nationales21 qui « filtrent » la pression adaptative de l’Europe sur ses États-

membres. Le degré de cette pression adaptative résulte de la conformité (fit) ou du décalage (misfit) entre les politiques communautaires et les politiques nationales. Les décalages entre les politiques communautaires et nationales ne seraient pas seulement le fruit de trajectoires institutionnelles et culturelles différentes, mais aussi de différences dans la structure socio-économique des pays concernés (Risse et al. 2001, p. 1–2)22. Comme le synthétisent Saurugger et Surel (2006, p. 182–210), les études sur l’européanisation ont contribué à mettre en valeur l’influence décisive des institutions nationales, aussi bien des institutions matérielles que des cadres cognitifs et normatifs et des jeux politiques internes, dans la portée des instruments de transfert. Plusieurs études

20 L’impact des processus d’adaptation , de transformation et de rejet de ces politiques européennes se décline

alors selon quatre scénarios possibles : i) l’absorption du modèle communautaire et la réforme des politiques publiques internes ; ii) la traduction de la norme communautaire en raison des résistances institutionnelles ; iii) l’inertie due à la conformité déjà ancienne aux prescriptions extérieures ou à l’existence de points de vétos ; et iv) le rejet ou la différentiation qui sous-tend l’éloignement des cadres institutionnels des initiatives européennes (Börzel & Risse 2002; Saurugger & Surel 2006).

21 Le concept de structures nationales renvoie aux caractéristiques institutionnelles de l’État, de la société et des

relations État-société. Il porte sur les interactions relativement stables ou régularisées d’une société, notamment à travers leurs institutions formelles et informelles, comme décrit précédemment. Ce concept comprend également les systèmes de croyances liés aux institutions politiques et sociétales ainsi qu’aux identités collectives. Il s’agit donc de s’intéresser aux structures politiques, légales et administratives qui interprètent et mettent en œuvre les politiques publiques ainsi qu’aux structures insérées historiquement et culturellement. Ces structures font l’intermédiation, filtrent et réfractent les efforts des acteurs et des coalitions internationales dans les différents secteurs (Risse 1995, p. 20–25; Risse et al. 2001, p. 5).

22 Cette susceptibilité au changement dépend de certains facteurs de médiation : l’existence de points de veto au

niveau national, des institutions formelles facilitatrices, de la culture politique et organisationnelle du pays, de l'autonomisation différentielle des acteurs nationaux, et de l’apprentissage. Ces éléments sont regroupés ainsi sous le terme de prismes nationaux, qui agissent en tant que facteurs de facilitation ou d’obstruction spécifiques à chaque pays (Risse et al. 2001, p. 2).

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s’accordent sur la dynamique d’échanges et de transaction entre les acteurs européens et nationaux, plutôt que d’une simple diffusion linéaire23.

Néanmoins, d’après Hassenteufel et Maillard (2013, p. 386), les « prismes nationaux » ou les « cultures de la conformité » ont tendance à apparaître de manière relativement stable, rejoignant les travaux néo-institutionnalistes historiques. Afin d’appréhender de manière plus dynamique les effets des transferts, ces auteurs jugent nécessaire de prendre en compte de manière plus centrale les acteurs et leurs interactions aux niveaux supranational, national et infranational. L’européanisation correspondrait ainsi à un processus décisionnel complexe et circulaire (Hassenteufel 2011, p. 36; Maurel et al. 2014, p. 267). Deux éléments de cette littérature seront principalement repris dans cette thèse, à savoir l’idée d’un rôle plus actif des acteurs et des institutions nationales dans la réception des normes internationales et celle d’un processus circulaire fondé sur les interactions entre les acteurs.

Pour une approche interactionniste de la circulation des normes

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