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Les promesses d’une coopération horizontale

3.1.1.

La consolidation des principes-clés de la coopération sud-sud

La coopération sud-sud trouve son origine dans le multilatéralisme onusien qui depuis les années 1950 promeut les relations organisées entre les pays du Sud, notamment d’Afrique et d’Asie. Il aura fallu plus de 20 ans pour qu’une unité spécialisée pour cet agenda soit créée au sein du Pnud, en 1974 (A/RES/3251). L’organisation de la première conférence sur la coopération technique entre les pays en développement a eu lieu en Argentine, en 1978, aboutissant à l’adoption du plan d’action de Buenos Aires (A/RES/31/179). Le Pnud était chargé de suivre la mise en œuvre de ses orientations, accompagné d’autres organismes et commissions ad hoc, y compris de la Commission du Sud qui voit le jour en 1987 et dont le but était de fournir un premier état des lieux des relations sud-sud.

Avec le plan de Buenos Aires, la déclaration finale de la Conférence de haut niveau des Nations Unies sur la coopération sud-sud (2009, Nairobi) a énoncé le cadre institutionnel principal pour cette modalité de coopération (A/RES/64/222). Cette modalité est fondée sur l’idée que le système traditionnel de l’aide avait d’ores et déjà épuisé la plupart de ses paradigmes et, qu’en raison de sa rigidité idéologique et même opérationnelle, il était incapable de répondre aux défis du développement. Elle ne fait pas l’objet d’une définition rigoureuse, mais insiste sur des termes considérés plus adéquats pour qualifier les relations entre les pays en développement. Par exemple, la notion de coopération internationale est revendiquée comme une alternative à celle de

l’aide. En utilisant un langage de partenariat, on met l’accent sur l’horizontalité dans les

formats de coopération et sur le remplacement symbolique d’expressions comme

assistance technique par celle de coopération technique. Selon le bureau du Pnud chargé de

cette modalité, « les pays en développement » échangent des connaissances, de l’expertise, des ressources, et des compétences afin d’atteindre leurs objectifs de développement » (Pnud 2014).

Dans ce contexte, la coopération sud-sud s’est consolidée avec l’appui des Nations Unies en tant que stratégie d’intégration du monde en développement. L’intensification des échanges a créé l’opportunité pour la mise en place d’alliances internationales entre les pays émergents et les pays en développement, avec pour but de rééquilibrer les

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rapports de pouvoir et de réformer l’architecture existante. Les accords encadrant officiellement la coopération sud-sud étaient fondés sur des principes de souveraineté et

d’autonomie, d’intérêt mutuel, de non-conditionnalité, d’appropriation et de non-ingérence dans

les affaires intérieures (The South Commission 1990). Les lignes directrices sont la promotion de l'autonomie nationale dans les domaines désignés par le pays partenaire, l’action en réponse à la demande des pays en développement (demand-driven). Ce paradigme est manifestement politique, fondé dans le but de renforcer la présence du Sud dans le système international. Comme l’ajoute Brun (2012, p. 94), dès leur naissance, ces relations revêtent un aspect stratégique, et non seulement solidaire.

Nonobstant l’institutionnalisation progressive et le déploiement de ressources financières, les flux ont demeuré très faibles par rapport à ceux « nord-sud ». Bien que ce paradigme ait été inauguré dans les années 1960-1970, la mise en œuvre effective des projets a été observée seulement à partir des années 2000. Cette résurgence de la coopération sud-sud a été motivée, entre autres facteurs, par la reprise économique et les avancées sociales de certains pays émergents et en développement.

Des chiffres mitigés sur le sud-sud

L’OCDE estime que les pays non membres du Comité d’aide au développement (CAD) ont versé, en chiffres bruts, 23,5 milliards USD au titre de la coopération pour le développement en 2013, soit plus de 13% du total mondial (CAD/OCDE 2015). L’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unies, la Turquie, la Chine, le Qatar et l’Inde seraient, dans cet ordre, les principaux bailleurs du Sud (en montants versés). Ces valeurs sont pourtant largement sous-estimées compte tenu des difficultés de comptabilisation de la coopération sud-sud (par manque de données disponibles ou par dissemblance dans la méthodologie de la coopération par rapport à celle du CAD). Le Brésil n’apparaît pas dans cette liste, faute de communication officielle des apports du pays pour l’année 2013. Le rapport de l’OCDE considère en outre que ces pays font moins appel au système multilatéral pour acheminer leur coopération que les membres du CAD. Cela n’est toutefois pas le cas du Brésil, comme nous le verrons dans le Chapitre 4. D’autres pays tels que l’Afrique du Sud, le Chili, la Colombie, l’Indonésie et le Mexique acheminent aussi une grande partie de leur financement global via les organisations multilatérales du système des Nations Unies.

Il convient de relever que, nonobstant le partage de certains de ses objectifs et leur convergence circonstancielle durant le Forum de haut niveau sur l’efficacité de l’aide de

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Busan (Corée du Sud, 2011)45, il n’existe pas à ce jour un plan commun entre les puissances émergentes de coopération sud-sud pour le développement. L’OCDE essaye à son tour depuis plusieurs années de les incorporer au sein de l’organisation46.

Convergence entre coopération, commerce et investissements

Contrairement à l’aide traditionnelle du Nord, l’importance des échanges commerciaux comme éléments légitimes de promotion du développement (« Trade

instead of Aid ») ainsi que l’appui aux investissements directs sont des orientations

partagées dans ce cadre. Cette convergence entre les vecteurs de la coopération, du commerce et des investissements, sensiblement présente dans la relation des pays émergents avec d’autres pays du Sud, fait l’objet de débats actuels. Le retrait de l’aide

liée47 avait été considéré par la communauté des « bailleurs traditionnels » comme un acquis de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide (2005). Néanmoins, cette modalité est de retour grâce à l’action des pays émergents. Dans le cas brésilien, des acteurs interviewés prônent les intérêts mutuels des pays du Sud pour justifier cette convergence. Une autre idée répandue dans la bureaucratie nationale est celle des investissements brésiliens comme étant plus « responsables » :

« Nous avons la préoccupation de transférer de la technologie en utilisant la main- d’œuvre locale et de promouvoir la production d’aliments et le développement industriel. Il s’agit d’un comportement différent de celui de la Chine. (…) Le Brésil a changé de niveau et a acquis de nouvelles responsabilités et opportunités dans le monde. Il doit s’occuper du développement interne et international de

45 L’OCDE a reconnu lors de ce Forum la particularité de la coopération sud-sud dans son « Partenariat global

pour l’efficacité de la coopération pour le développement » (Paragraphe 2). Originalement prévu pour réviser la mise en œuvre de l’agenda de Paris, l’accent de la réunion a été mis sur la possibilité d’inclure des pays émergents dans cette architecture (Eyben & Savage 2013, p. 17).

46 Certains pays en font déjà partie, tels que le Chili et le Mexique. Le Brésil est membre observateur dans

certaines instances et participe de manière plus active à des organismes tels que le Centre de développement. Malgré le refus de la diplomatie brésilienne depuis plusieurs années d’intégrer l’organisation (celle-ci étant considérée comme peu démocratique et représentative des intérêts d’un nombre restreint de pays du Nord), on constate en 2015 un rapprochement du côté brésilien. Dans un contexte de crise économique, le gouvernement Rousseff avait estimé qu’une collaboration plus solide avec les pays de l’OCDE pourrait créer des opportunités économiques. Ce rapprochement ne s’est pas encore consolidé, mais il constituerait un clair changement d’orientation gouvernementale s’il a lieu.

47 Accorder de l’aide sous la condition qu’elle serve à acheter des biens ou des services d’un pays ou d’une région

spécifiques. Selon l’OCDE (2015a), cette pratique peut faire accroître les coûts d’un projet de développement de 15 à 30% et demande une bureaucratie plus importante dans sa gestion.

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façon concomitante. La Bndes est capable de financer les relations économiques et la coopération sociale »48

Il convient de noter que les institutions chargées de la coopération sud-sud dans plusieurs pays émergents sont rattachées aux ministères du commerce ou de l’économie, comme c’est le cas en Chine et au Mexique. Cependant, les officiels brésiliens insistent sur la différence de l’approche brésilienne et celle de la Chine. Comme le remarque un diplomate :

« D’un point de vue politique, si une société brésilienne met en place dans un autre pays un projet qui est responsable, nous considérons qu’il s’agit d’un gain politique. Nous ne faisons pas comme la Chine »49

Accent sur le partage d’expériences de développement

Cette stratégie d’échanges repose sur le postulat que les connaissances techniques acquises par les pays émergents, dans de nombreux cas, plus adaptables aux enjeux d’autres pays du Sud que les technologies développées dans le contexte de l'aide traditionnelle. Cette modalité est donc mise en avant par les officiels brésiliens comme un modèle relationnel qui serait « très efficace et très peu coûteux » (Lopes Corrêa 2009, p. 2). La notion de « technologie sociale » s’intègre au vocabulaire diplomatique, comme l’attestent les extraits ci-dessous :

« Une manière de légitimer les politiques nationales est de partager cette technologie sociale avec d’autres. (…) Cette technologie a des avantages comparatifs »50.

« Il s’agit de la projection de la politique et de l’économique soutenue par la projection de politiques sociales (…). Je ne veux pas désigner de soft power. C’est quelque-chose de plus récent. (…) Ce mouvement est aussi plus large que le simple sud-sud. Il va aussi au-delà des technologies sociales »51.

« Les technologies sociales sont importantes, mais il faut les adapter aux conditions des autres pays52.

48 Entretien avec un représentant de l’Institut Lula, São Paulo, juillet 2013. 49 Entretien avec un diplomate brésilien, Brasília, juillet 2013.

50 Entretien avec un ambassadeur brésilien, Brasília, juillet 2013. 51 Entretien avec un ambassadeur brésilien, Rome, octobre 2013. 52 Entretien avec un ambassadeur brésilien, Brasília, juillet 2013.

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Les objectifs de renforcement des capacités en ressources humaines, de développement institutionnel, et d’utilisation des capacités endogènes de chaque pays sont aussi mis en avant par les « coopérants » brésiliens afin de concurrencer le modèle traditionnel de transfert passif et unidirectionnel de connaissances et de technologies (Buss & Ferreira 2010).

Des normes « subsidiaires » souvent critiquées

De la même manière que le Brésil, d’autres pays émergents tels que la Chine ou l’Inde confirment leur compromis autour des principes de la coopération sud-sud, notamment en ce qui concerne les notions d’intérêts mutuels au détriment des dons et des conditionnalités politiques. Leur accent sur le partage d’expériences d’action publique est également souligné. Certains de ces principes vont à l’encontre des normes établies par le système traditionnel d’aide au développement et pourraient être comparés à des normes « subsidiaires » comme énoncé par Acharya (2014). L’absence de conditionnalités

politiques donne de la marge à la coopération avec des régimes dictatoriaux et les intérêts mutuels, à l’aide liée. Par ailleurs, le principe de demand-driven peut entraîner des

systèmes complexes et peu articulés de mise en œuvre des projets dans les pays tiers. Mais tous ces principes ont en commun la notion de respect à l’autonomie des pays du Sud.

Les critiques – de l’intérieure comme de l’étranger – ont abondé envers la politique brésilienne de coopération sud-sud. La plus courante d’entre elles porte sur la négligence de la notion d’horizontalité, impliquant un écart entre les principes de cette politique et sa pratique de mise en œuvre (Milhorance & Goulet 2011; Brun 2012; Nogueira & Ollinaho 2013; Costa Leite et al. 2014). D’autres mettent en avant le caractère pragmatique et ad hoc du principe de non-conditionnalité politique (Abdenur & de Souza Neto 2013), ou bien les implications d’une internationalisation des contradictions du pays dans le secteur rural (Schlesinger 2013a; Funada Classen 2013). Les difficultés institutionnelles et légales internes forment un autre ensemble d’obstacles à son développement (Leite & Hamann 2012). Ces aspects seront analysés plus en détails dans les chapitres 6 et 7 à partir des analyses du terrain au Mozambique.

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Interdépendance asymétrique sur le plan économique

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