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Echanges favorisés entre économies émergentes

En plus de la coopération pour le développement et le partage d’expériences, l’intégration récente du Brésil avec les pays du Sud passe par les échanges économiques, particulièrement avec d’autres émergents comme la Chine. Malgré le ralentissement des taux de croissances de ces économies à partir de 2013, elles sont devenues d’importantes sources de capitaux « sortants » dans le monde entier et les flux commerciaux sud-sud ont augmenté à un niveau sans précédent (Marinov & Marinova 2012). Alors que dans les années 1990 les échanges sud-sud comptaient pour environ 33% du total des exportations mondiales, elles sont passées en 2012 à plus de 57% (CNUCED 2015, p. 20). Le Brésil a consolidé sa position en amorçant un processus d’internationalisation de ses entreprises (Flynn 2007; Oliveira Junior 2010). Les investissements « sortants » de ce pays ont gardé une tendance positive jusqu’en 2010, tout en restant toutefois très faibles en comparaison de ceux des pays européens ou même de la Chine.

Les économies émergentes se sont constituées en tant que piliers du commerce mondial grâce en partie à l’ascension de leur classe moyenne. Au Brésil, ce marché progresse, mais les politiques économiques fondées principalement sur ce mécanisme commencent à montrer leurs limites. Cet essor est aussi expliqué par l’éclatement international des chaînes de valeur53, dont la Chine est protagoniste. Ce processus est plus remarquable en Asie et donne lieu à des importations-exportations successives jusqu’à l’assemblage final. Ainsi, les relations commerciales entre les pays asiatiques deviennent encore plus importantes que celles intra-latino-américaines. Ces échanges commerciaux augmentent également leur part dans le PIB de ces pays, sans pour autant présupposer une augmentation du libre-échange. Les flux augmentent plus rapidement entre les pays émergents qu’entre ces pays et d’autres partenaires du monde en développement. On constate en outre une participation grandissante des pays émergents dans les échanges de services. D’après la CNUCED, le poids des BRICS dans ce domaine a plus que doublé entre 2001 et 2014, bien qu’il ne représente que 10,2% du total mondial (UNCTADStat 2015).

Il convient également de noter que ce processus d’intégration va de pair avec une croissance rapide de certains pays africains, sustentée par le boom des commodities et par

53 Celui-ci consiste dans le découpage de la fabrication d’un produit fini en plusieurs étapes dont la réalisation est

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l’ascension d’une classe consommatrice. Le continent n’avait jamais expérimenté une telle affluence de pays émergents, en particulier sur le plan économique. En outre, la nature de l’engagement de ces pays repose, comme nous l’avons évoqué, sur l’absence de conditionnalités politiques, ce qui diffère fondamentalement de l’approche des pays occidentaux. Comme l’affirment Alden et al. (2013, p. 8), l’arrivée des pays émergents, disposant de moyens financiers et confiants avec les résultats de leur développement, a marqué un « changement révolutionnaire » dans les destinés politiques de l’Afrique. Cependant, ces échanges et investissements se sont principalement orientés vers les ressources naturelles – gaz, pétrole, mines, agriculture – et les infrastructures, appuyant les économies extractives. Cet aspect sera traité à partir du cas d’étude du Mozambique, en particulier dans les chapitres 5, 6 et 7.

Relations commerciales asymétriques

Du côté brésilien, entre 2000 et 2012, les exportations à destination des pays du Sud ont montré un taux de croissance plus élevé (17%) que celles destinées aux pays du Nord (9%) (Giordano et al. 2013, p. 11). Ces flux ont renforcé des secteurs dont les intérêts sont géographiquement distincts, tels que l’agrobusiness, les mines, l’aérospatial et la construction civile, ces domaines étant souvent liés aux incitations gouvernementales. Les échanges de services connaissent aussi une progression rapide. La diversification géographique et sectorielle est pourtant limitée dans le cas du Brésil, qui s’est spécialisé dans les exportations de biens primaires vers la Chine, son premier partenaire commercial depuis 2009. Dans l’ensemble, la Chine importe des pays asiatiques principalement des biens durables, des équipements sophistiqués et des composants destinés à être assemblés, tandis que dans le cas des pays africains et latino- américains ce sont les matières premières qui composent en grande partie les importations chinoises. En revanche, les exportations de la Chine vers ces pays comprennent principalement des produits manufacturés.

Le gouvernement chinois promeut la transformation des produits agricoles au niveau national et investit davantage sur l’importation de grains entiers que de produits transformés ou broyés54. C’est pourquoi la tendance d’exportations de soja – brut ou peu transformé – du Brésil vers la Chine explique la spécialisation des exportations

54 L’industrie de transformation du soja continue à se développer en Chine. Malgré la capacité de trituration de

140 millions de tonnes par an (en 2013) et le faible taux d’utilisation des usines, les nouvelles constructions et les rénovations ont élevé la capacité de trituration à 40 000 tonnes par jour. En outre, 78 % des usines sont situées le long de la région côtière afin de faciliter la réception de soja importé (USDA-FAS 2014).

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brésiliennes en matières premières55, ce qui a un effet négatif sur le secteur manufacturier du Brésil déjà en manque d’investissements. Ce scénario de concurrence externe approfondi par des facteurs politiques nationaux et le taux de change surévalué a imposé des coûts supplémentaires aux secteurs industriels orientés vers le marché interne, ce que certains caractérisent comme « l’effet Chine » (Vadell 2013, p. 53).

L’orientation sur l’axe sud-sud de production et de consommation de biens agricoles progresse. Dans ce contexte, la préoccupation face au risque de reprimarisation56 de la structure d’exportations et d’une désindustrialisation précoce, comme mentionné plus haut, a entraîné des politiques plus protectionnistes de la part du gouvernement Rousseff (Motta Veiga & Polónia Rios 2011; Barral & Bohrer 2011)57. De plus, on constate que le gouvernement chinois est parvenu à diversifier ses sources d’importation de produits agricoles (principalement du Brésil, de l’Argentine et des États-Unis) alors que le Brésil n’a pas diversifié ses débouchés (Rosales & Kuwayama 2012, p. 121–167). Ces relations sont donc marquées par une interdépendance asymétrique : représentant à peine 2,8% des importations chinoises, le Brésil se positionne au 10e rang parmi les fournisseurs de ce pays (en 2013). La Figure 1.7 atteste de cette asymétrie dans les relations commerciales entre ces deux pays, démontrant la spécialisation dans l’importation de produits transformés depuis la Chine et l’exportation de produits primaires vers ce pays (en montants).

Pour résumer, l’intégration sud-sud est une réalité du point de vue économique, en particulier l’accroissement des échanges commerciaux entre les pays émergents. Pour certains pays, ces liens économiques sont devenus plus importants que ceux avec les pays du Nord. Cependant, les rapports de force entre les économies émergentes sont devenus asymétriques compte tenu de leur spécialisation primaire face au géant chinois. Ainsi, après 2013, dans un environnement moins favorable quant au prix des commodities et de diminution des exportations, suite à une demande moins soutenue de la Chine, des difficultés ressurgissent et les sources de crédibilité de pays comme le Brésil dans les marchés mondiaux se sont ébranlées.

55 Les oléagineux sont les principaux produits des exportations brésiliennes, en montants, vers la Chine (37%),

suivi par le fer (35%) et le pétrole brut (9%), alors que les importations sont orientées vers les équipements de télécommunications (10%), des machines de traitement (8%) et autres produits diversifiés.

56 On entend par reprimarisation le processus qui conduit à la priorisation de la production et des exportations de

biens primaires au détriment du développement industriel ou des services, ce qui impose la question récurrente de la dépendance de l’économie vis-à-vis des cours et de la demande du marché mondial.

57 Il convient de noter que ce processus de désindustrialisation n’a pas achevé, compte tenu le rôle encore

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Consolidation discontinue des coalitions diplomatiques

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