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La notion d’acteur international a longtemps été réservée aux États, suite notamment au poids de l’école réaliste des relations internationales dans les débats académiques. Ce cadre accorde la décision politique au choix d’un acteur étatique unique et unitaire incarné par le chef de l’exécutif, responsable par le maintien de l’intérêt

national (Morgenthau 1948). Cette approche stato-centrée présuppose une distinction entre

politique nationale et politique étrangère et prévoit une importance secondaire aux sources internes de la politique étrangère. Selon l’un de ses principaux théoriciens, Keneth Waltz, seul le système international serait déterminant dans la construction de la

puissance et dans l’orientation des acteurs internationaux. Les deux autres « images »

proposées par cet auteur pour expliquer le comportement des États, à savoir, la nature humaine et la structure interne des États, ne seraient que des facteurs secondaires, associés à la position respective de ces entités politiques dans la structure internationale (Waltz 1979). Cette distinction finit par esquiver l’exploration des régimes, des institutions ou des processus décisionnels qui ne constituent qu’en partie l’État (Devin 2013, p. 18). Le modèle de décideur rationnel ainsi que les logiques de puissances des États, placés au cœur de l’approche réaliste, font également l’objet de discussions multiples qui dépassent le cadre d’analyse de la politique étrangère (Hassenteufel 2011, p. 67). En effet, celle-ci ne concerne pas seulement les acteurs impliqués dans le corpus formel de décision de l’État, mais également une variété de sources sous-nationales d’influence (Alden & Aran 2012, p. 1).

Depuis les années 1950, la nécessité d’intégrer les dynamiques nationales dans l’analyse du comportement des États avait été soulevée par la littérature. Snyder et al. (1954) ont initié un mouvement afin de dépasser la vision systémique des relations internationales et d’analyser le processus décisionnel de la politique étrangère. La critique la plus marquante a été celle d’Allison (1971, p. 5), qui a rompu avec l’idée d’un décideur unique rationnel et avec celle d’un État monolithique, en complexifiant le processus de prise de décision. À partir d’un examen de la réaction du gouvernement

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étatsunien à la crise des missiles de Cuba en 1962, l’auteur montre que la politique étrangère réunit des intérêts divers et des rationalités multiples, attribués à des actions innombrables et parfois conflictuelles entre les individus, à divers niveaux d’organisations bureaucratiques. Pour Allison (1971, p. 6), l’État serait une alliance d’organisations semi-indépendantes, partiellement coordonnées par un groupe unifié de dirigeants. Selon l’auteur, les acteurs bureaucratiques n’agissent pas sur la base d’objectifs stratégiques, mais de plusieurs conceptions des objectifs nationaux, organisationnels et personnels. La décision est donc présentée en tant que produit d’un « marché politique » au sein d’un appareil étatique qui combine les contraintes organisationnelles avec les jeux de négociation internes (bureaucratic politics)1.

Les limites de cette approche consistent en considérer l’État en tant qu’une arène politique ou comme la somme de ses unités bureaucratiques dans laquelle des acteurs concurrents se livrent à leurs jeux autocentrés (Alden & Aran 2012, p. 9). De même, ces thèses donnent une place trop importante aux organisations, à leurs leaders et à leurs transactions. Il y a une tendance à limiter la prise de décision à un petit groupe de personnes, sans prendre en compte le rôle de l’opinion publique nationale et internationale ou la dimension cognitive (Devin 2013, p. 59–64). Cette dimension avait été incorporée par Jervis (1976, p. 28), qui a proposé d’analyser le système de croyances des décideurs politiques. Tous ces travaux s’accordent sur l’idée que la politique internationale ne dépend pas des conditions purement externes, mais aussi des perceptions et des actions d’acteurs impliqués dans de multiples dynamiques nationales (Devin 2013, p. 14).

Cette préoccupation a contribué à consolider une approche par les structures nationales (domestic structures), qui vise à comprendre la nature des institutions politiques ainsi que les arrangements institutionnels et organisationnels connectant l’État et la société et canalisant les demandes sociétales envers le système politique (Muller & Risse 1993, p. 33). Ces structures correspondent au locus de la négociation entre l’État et la société, matérialisée par les coalitions politiques. Selon cette approche, les structures nationales agissent en tant qu’intermédiaires entre les acteurs internationaux et les politiques internes (Risse 1995)2.

1 Le travail de Snyder avait aussi mis l’accent sur le processus de décision des politiques internationales. En

reprenant le même exemple de la crise des missiles, Snyder et Diesing (1977) ont avancé que ce fut la préférence personnelle du président Kennedy qui influença la prise de décision.

2 Ces considérations peuvent néanmoins conduire le lecteur au débat libéral de la « paix démocratique »,

amplement critiqué sur le plan politique et académique par son interprétation culturelle-normative. Voir : (Doyle 1983; Kegley & Hermann 1995; Kegley & Hermann 1996; Schwartz & Skinner 2002; Rosato 2003)

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Enfin, si d’un côté les théories de relations internationales ont progressivement mis en évidence la diversité d’acteurs et de lieux d’autorité au sein du système international, ce qui impliquait la prise en compte des dynamiques nationales dans la formulation de l’action internationale ; d’un autre côté, les théories de politiques publiques ont aussi remis en cause la distinction entre l’interne et l’international à partir d’un changement majeur du niveau d’action publique. Les interactions transfrontières sont de moins en moins contrôlées uniquement par les États, de moins en moins au cœur de la régulation des conflits (Lascoumes & Le Galès 2004, p. 23; Hassenteufel 2011, p. 19). Ces débats théoriques s’avèrent être importants pour la construction de notre cadre d’analyse, notamment en ce qui concerne l’identification du contenu des normes brésiliennes qui circulent au niveau international.

Glissement d’échelle de l’action publique

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