• Aucun résultat trouvé

Parallèlement à une ouverture progressive de la « boîte noire » du processus décisionnel en politique étrangère par les théories des relations internationales, l’analyse des politiques publiques a depuis les années 1960 mis en évidence les multiples dysfonctionnements de l’action étatique ainsi que les aléas des processus décisionnels sur le plan interne. Ce mouvement a contribué à déconstruire le mythe de la rationalité de la décision publique et, sous l’impulsion de la sociologie des organisations, a également contribué à prendre en compte les interactions interindividuelles. L’analyse des facteurs organisationnels, institutionnels et des caractéristiques sociologiques des différents acteurs, ainsi que des caractéristiques structurelles des interactions, s’est également développée dans ce champ. Ainsi, l’idée d’une construction collective de l’action publique a permis de renvoyer l’analyse à l’avènement des politiques publiques

multi-niveaux et d’insister sur les limites de la cohérence des programmes publics

(Hassenteufel 2011, p. 22–24).

L’Etat apparaît dans les travaux récents comme « un enchevêtrement d’agences,

d’organisations, de règles flexibles, de négociations avec des acteurs de plus en plus nombreux »

(Lascoumes & Le Galès 2004, p. 23) et les politiques publiques visent dorénavant des «publics » multiples bien décidés à faire entendre leurs voix dans les processus de décision et de mise en œuvre. Elles ne constituent plus « le monopole exclusif d'un État

fortifié dans la suprématie d'une autorité incontestée » (Massardier 2003, p. i). Les processus d’européanisation, de libéralisation et de résurgence de l’élément local contribuent à

85

internationaliser les politiques publiques auparavant « nationales »3. Ce phénomène concerne également les questions liées à l’internationalisation des économies, aux mouvements de protection de l’environnement, aux flux migratoires et à la santé globale. D’après Hassenteufel, « ces différents enjeux ont pour point commun non seulement de

concerner des processus transfrontaliers, mais aussi de faire l’objet de politiques publiques internationales » (Hassenteufel 2011, p. 19).

Dans ce contexte, on a assisté à un dépassement du cloisonnement entre la discipline des relations internationales et celle des politiques publiques. Un facteur majeur du changement de l’orientation, des instruments, des acteurs et des règles du jeu institutionnel des politiques publiques nationales, est celui de l’interconnexion national- international. De même, ce dernier est facteur du changement de l’action publique en soi, notamment au niveau de la construction collective de l’action publique. Cependant, « l’international » ne constitue pas simplement un niveau supplémentaire au mille- feuilles local, régional et national. Il représente plutôt un niveau qui se constitue en interaction avec les précédents et qui produit des logiques particulières. Ce poids croissant accordé aux interactions entre les acteurs et les niveaux d’action résulte de leur multiplication et du changement des modes d’intervention étatiques (Hassenteufel 2011, p. 20–25).

La littérature sur les communautés épistémiques et les réseaux transnationaux de

militants a été fructueuse sur le point de l’interaction entre ces différents niveaux d’action

collective et, notamment, au niveau de l’influence des dynamiques inter et transnationales dans les politiques et les mouvements internes (Haas et al. 1964; Finnemore & Sikkink 1998; Keck & Sikkink 1998). Les thématiques de l’environnement et des droits de l’homme, par exemple, ont ouvert tout un champ théorique qui défie les frontières de l’État et inclut des acteurs non-étatiques et locaux dans la politique internationale. La notion de régime international4 a fortement contribué au

développement de cette littérature. Cette notion mène à l’approfondissement de l’étude sur la socialisation internationale de normes et de pratiques et attire l’attention sur les relations entre le formel et l’informel dans ce qu’on appellera la gouvernance mondiale..

Sans pour autant s’intéresser au contenu et aux modes de production des règles, les régimes ont contribué à faire valoir un système plus large d’interactions où les négociations se déroulent à travers des canaux multiples et hétérogènes (Devin &

3 Par exemple, en 1993, le traité de Maastricht a mis en place une union économique et monétaire et a élargi le

champ de compétence de l’Union européenne dans le domaine de la justice et des affaires intérieures.

4 Caractéristique de l’institutionnalisme libéral des années 1980, la notion de régime est définie en tant qu’un

« ensemble de principes, de normes, de règles et de procédures de décision, implicites ou explicites, autour desquels les attentes des acteurs convergent dans un domaine spécifique » (Krasner 1983, p. 1)

86

Smouts 2011, p. 66–67). Dans sa version constructiviste, ces régimes constituent des moyens de construction et d’apprentissage des aspects cognitifs d’un problème, qui façonnent l’intérêt des États (Betsill & Bulkeley 2004, p. 473–474). Le degré et les modes d’influence que les régimes exercent sur les politiques publiques nationales font encore l’objet de désaccord entre les auteurs. De manière générale, cette influence est perçue au niveau de la définition des préférences des acteurs et de la création de conditions pour la mise en œuvre de leurs options. Les institutions internationales ont, en outre, le potentiel de faciliter l’accès des réseaux transnationaux au processus politique au niveau national (Risse 1995, p. 28–32). L’idée d’apprentissage, qui sera traitée plus loin dans ce chapitre, est à la base de certains de ces travaux.

En résumé, un nombre croissant d‘études a contribué à consolider les différentes approches théoriques intéressées par premièrement la pluralité d’acteurs participant à la politique internationale et deuxièmement les croissantes interconnections entre les politiques nationales et le système international. De ces études, il en ressort l’importance d’ouvrir la « boite noire » de l’État afin de détailler les différentes positions des acteurs engagés dans l’internationalisation de normes brésiliennes. Le glissement des frontières et de l’échelle de l’action publique contemporaine complexifie la caractérisation du contenu des instruments politiques projetés sur la sphère internationale, cette dernière devant prendre en compte une pluralité d’acteurs et d’idées enchevêtrés à de multiples niveaux.

Cela étant, nous verrons dans les chapitres concernés par la dimension empirique de ce travail comment les coalitions d’acteurs inscrites dans les politiques rurales brésiliennes participent de manière distincte – et parfois concurrente – à la formulation de « normes standards » considérées comme potentiellement sujettes à être partagées avec d’autres systèmes politiques. Néanmoins, il ne suffit pas d’identifier les multiples sources d’influence dans la production des instruments politiques internationalisés par les acteurs brésiliens ; il est également intéressant de comprendre comment ces sources s’articulent à travers les frontières nationales. La section suivante portera ainsi sur les dynamiques d’interconnexion et de gouvernance le long de ces frontières.

Recours aux réseaux d’action publique

Outline

Documents relatifs