• Aucun résultat trouvé

Chapitre 7 — Discussion générale

7.3 Quelles recommandations pour de futures mises à l’essai du dispositif?

7.3.1 Recommandations quant au dispositif de développement professionnel

Trois recommandations sont formulées dans cette section : la première concerne la modalité de cointervention, la seconde, des modalités supplémentaires à inclure dans le dispositif de développement professionnel et la troisième s’intéresse aux objectifs ciblés par les éducatrices.

Une modalité de cointervention consolidée. La modalité de cointervention et les sessions de rétroactions ont démontré leur pertinence pour arrimer le contenu à la réalité de chaque éducatrice. Cela a été possible notamment en raison du vécu développé conjointement entre l’orthophoniste et

l’éducatrice. Cependant, le processus de familiarisation avec le déroulement des rencontres de cointervention et l’alternance des rôles entre l’orthophoniste et l’éducatrice devrait faire l’objectif d’une démarche plus encadrée. Il serait possible, par exemple, de prévoir un espace de discussion structuré lors des sessions de rétroactions pour discuter des rôles de chacun lors des rencontres de cointervention. Cela permettrait à l’éducatrice d’y prendre une place plus active et à l’orthophoniste de cibler les stratégies d’accompagnement à privilégier. La relation de partenariat souhaitée pourrait ainsi être consolidée.

De plus, comme le mentionnent Law et al. (2012), les orthophonistes ne sont pas initialement formées pour occuper une position d’accompagnement. Si un deuxième cycle impliquait plusieurs orthophonistes, aux parcours divers, il serait essentiel de prévoir également des modalités d’accompagnement, comme des communautés de pratiques, pour soutenir celles-ci. Un tel dispositif s’inscrirait dans la visée de former les formatrices orthophonistes ou d’accompagner les accompagnatrices (developing the developers, Perry et Boylan, 2018; train-the-trainer ou coach-the-

coach, Portner et Portner, 2012). L’aspect de la relation entre les accompagnatrices et les éducatrices

deviendrait alors un enjeu central à documenter dans la mise en œuvre du dispositif, afin de mieux comprendre si — et comment — un partenariat s’établit et se construit (Spino et al., 2013).

Des modalités supplémentaires de développement professionnel. Comme mentionné dans les articles de la thèse, une deuxième recommandation est d’ajouter des modalités dans le dispositif de dispositif de développement professionnel. La méta-analyse de Markussen-Brown et al. (2007) souligne d’ailleurs à quel point l’ajout de modalités peut être bénéfique sur les retombées d’un dispositif de développement professionnel. Cependant, leurs résultats ont montré que le soutien à la pratique réflexive des éducatrices, c’est-à-dire leur capacité de porter un regard critique sur leurs propres pratiques, afin d’être en mesure de les adapter pour optimiser leurs effets (Lafortune et Deaudelin, 2001; Lindsay et Mason, 2000), pourrait occuper une place plus centrale dans le dispositif. De nombreux écrits portent sur le développement d’une pratique réflexive dans le domaine de l’éducation, desquels il serait possible de s’inspirer pour renforcer cet aspect du dispositif (p. ex. : Frosch et al., 2018; Hamel et Viau-Guay, 2019; Lafortune et Deaudelin, 2001; Lindsay et Mason, 2000; Mann et al., 2009). Pour ce faire, l’utilisation d’une modalité d’analyse de pratiques par visionnement conjoint de segments vidéos est souvent citée comme une pratique efficace (Girolametto et al., 2006; Peeters et al., 2015; Hamel et Viau-Guay, 2019).

Hamel et Viau-Guay (2019) ont réalisé une recension systématique des écrits concernant l’utilisation de vidéos pour soutenir la pratique réflexive des enseignants, durant la formation initiale et/ou en

formation continue. Leur recension met en lumière qu’effectivement, de nombreuses études rapportent des retombées positives sur l’habileté des enseignantes à approfondir leurs réflexions sur leur pratique, notamment leur capacité à observer et à analyser leur enseignement. Cependant, la nature des interactions avec les collègues ou un accompagnateur pour l’analyse des vidéos reste à être mieux documentée.

Également, le besoin est ressorti d’accompagner les réflexions des éducatrices quant à leur rôle professionnel en matière de soutien du langage, versus les autres rôles liés à leur fonction. L’ajout d’espaces de discussions entre collègues, sous forme de communauté de pratiques (Christ et Wang, 2013; Peeters et al., 2015; Zaslow et al., 2010), offrirait la chance aux éducatrices de rechercher ensemble des solutions aux défis rencontrés dans la conciliation de leurs différents rôles. Une telle modalité permettrait également d’impliquer la direction du CPE et les agents de soutien pédagogique dans une visée de transformation collective de l’organisation, ce qui soutiendrait par la suite les transformations individuelles chez les éducatrices (Urban et al., 2011).

Par contre, l’ajout de telles modalités entrainerait inévitablement un allongement de la durée du dispositif dans le temps. Il conviendrait d’être prudent, étant donné que les balises ne sont pas encore claires quant à la durée et à l’intensité optimale d’un dispositif de développement professionnel (Markussen-Brown et al., 2017; Schachter, 2015). De plus, rappelons l’importance que le dispositif mis à l’essai demeure réaliste et écologique, c’est-à-dire qu’il est possible de l’insérer dans la réalité professionnelle tant des éducatrices que des orthophonistes (Wasik et Hindman, 2014).

Des objectifs plus précis. La troisième recommandation concerne les objectifs ciblés par chaque éducatrice au cours du dispositif de développement professionnel. Rappelons que les résultats rapportés dans la thèse appellent à poursuivre l’individualisation de ces objectifs pour chaque éducatrice, conformément aux recommandations de Zaslow et al. (2010). Les résultats incitent cependant à préciser la formulation de ces objectifs, pour créer des cibles plus claires. Les pistes de discussions avancées dans les articles ne proposent pas de façon unique de mieux définir les objectifs de développement professionnel. Ils font plutôt état d’une multitude de voies potentielles à explorer. De plus, il existe très peu de recherches qui se sont attardées à cet aspect et donc peu de lignes directrices sur la meilleure façon de formuler des objectifs de développement professionnel individualisé quant au soutien du développement langagier (Markussen-Brown et al., 2017; Peeters et al., 2015; Schachter et al., 2019).

Le deuxième cycle de mise à l’essai pourrait donc être conçu de façon à permettre l’exploration de différentes façons de cibler les objectifs à poursuivre. Cela serait également une contribution

pertinente aux connaissances sur le développement professionnel en petite enfance. Les résultats issus de la thèse permettent dès maintenant d’identifier différentes avenues pour guider cet exercice. Un premier aspect à considérer serait de diversifier la nature des objectifs visés. Dans la présente étude, ceux-ci concernaient uniquement des pratiques de soutien du développement langagier à mettre davantage en œuvre dans le quotidien. Il apparait toutefois qu’il peut être nécessaire d’avoir en parallèle des objectifs qui visent à créer, à détecter et à profiter de moments privilégiés pour les interactions verbales avec les enfants. Enfin, d’autres objectifs peuvent porter plus spécifiquement sur des aspects de la pratique réflexive, par exemple, l’observation de ces propres pratiques ou l’observation de réactions des enfants. Pour définir ces différents objectifs, il serait intéressant d’utiliser un cadre théorique plus précis sur cet aspect, pour complémenter celui Coldwell et Simkins (2011). Par exemple, la taxonomie de Bloom sur les objectifs d’apprentissage propose une organisation hiérarchique en six niveaux, avec à la base des objectifs se rapportant aux connaissances (de quatre types : factuelles, conceptuelles, procédurales ou métacognitives), puis à la compréhension de celles-ci et à l’application et, finalement, à des objectifs se référant à l’analyse, la synthèse et l’évaluation, davantage centrés sur une pratique réflexive critique (Adams, 2015).

Par la suite, il serait nécessaire de déterminer les bases sur lesquelles sont sélectionnés les objectifs à poursuivre. Schachter et al. (2019) conseillent que le contenu d’un dispositif de développement professionnel soit construit à la fois autour d’objectifs visant les pratiques des éducatrices, mais également autour d’objectifs qui répondent aux besoins des enfants. Effectivement, dans la présente étude, les éducatrices ont d’abord sélectionné des objectifs à partir d’une auto-évaluation de leurs forces et de leurs défis. Puis, au fil de la démarche, des objectifs ont été ajoutés et spécifiés en fonction des besoins de certains enfants. Dans le souci de s’ajuster particulièrement aux besoins des enfants plus vulnérables sur le plan langagier, ce dernier aspect apparait essentiel.

Pentimonti et Justice (2010) ont d’ailleurs démontré que certaines pratiques pour enrichir le langage, comme utiliser du langage décontextualisé, étaient moins utilisées auprès d’enfants qui parlent moins. Peleman et al. (2019) ont aussi constaté, dans une étude réalisée auprès de huit enfants de 3 ans provenant de familles défavorisées ou ayant un parcours d’immigration récent, que peu d’interventions verbales du personnel éducateur étaient dirigées directement vers ces enfants et que ces interactions amenaient peu d’occasions pour que les enfants participent à une conversation. Or, selon la perspective sociointeractionniste du développement langagier (Dickinson et McCabe, 1991; Gosse et al., 2014), l’ajustement des pratiques pour chaque enfant est fondamental. Ainsi, il apparait

essentiel de conserver ces deux points de départ pour définir les objectifs, soit selon les pratiques souhaitées par l’éducatrice et selon les besoins des enfants de son groupe.

Par contre, la sélection des objectifs mériterait de se faire via une démarche réflexive plus structurée, à partir, par exemple, des observations des pratiques de l’éducatrice et de la participation verbale des enfants. Ces observations permettraient, par exemple, de cibler les pratiques les plus utilisées et les moins utilisées par l’éducatrice. Il serait de plus possible, par le biais de ces observations de s’inspirer des liens entre l’utilisation de différentes pratiques pour une éducatrice, tels que présenté dans le deuxième article de la thèse. L’éducatrice pourrait alors cibler des pratiques qui sont à même d’en entrainer d’autres dans leur sillage.

Un troisième aspect important serait d’augmenter la précision de la cible (Portner et Portner, 2012) : quelle fréquence pour telle pratique? Dans quel contexte est-elle émise? Auprès de quel enfant? En plus de soutenir l’engagement des éducatrices, la définition d’une cible plus précise et mesurable permettrait d’instaurer une démarche de suivi plus systématique de l’évolution des objectifs, qui se fait de façon graduelle (Portner et Portner, 2012).

En revanche, une telle individualisation des objectifs pour chaque éducatrice, surtout en considérant l’ensemble de ces aspects, entraine certains défis concernant la reproductibilité de l’intervention et la fidélité de celle-ci, lorsque le nombre de participants et de milieux augmente (Dede et Metcalf, 2015). Pour ce faire, une démarche plus précise et rigoureuse dans leur sélection et leur évaluation devient essentielle.