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Chapitre 2 — Le cadre conceptuel

2.2 Une perspective sociointeractionniste du développement langagier

2.2.1 L’importance des interactions verbales avec l’adulte

Il existe différents modèles du développement langagier chez l’enfant. Il y a, d’un côté, les tenants d’un modèle innéiste, qui soutiennent que le langage émerge d’une structure existante chez l’enfant, avec un apport minimal de son entourage. Cette perspective est, entre autres, représentée par l’approche formelle, soutenue par Chomsky (Chomsky, 1965, cité dans Gleason et Ratner, 2009). D’un autre côté se trouvent des approches plus constructivistes, qui avancent que le développement langagier de l’enfant est un processus graduel, influencé par ses expériences langagières et l’apport langagier reçu de son entourage (Chapman, 2000; Leroy, 2014).

La perspective4 sociointeractionniste se situe dans cette dernière lignée (Dickinson et McCabe, 1991). Si elle reconnait l’existence de structures et de mécanismes biologiques chez l’enfant, elle insiste surtout sur le rôle crucial des interactions sociales dans la motivation et l’intérêt de l’enfant à apprendre le langage (Dickinson et McCabe, 1991). Elle signale donc le potentiel qu’ont les adultes significatifs pour influencer son développement langagier et s’avère donc particulièrement pertinente pour la présente étude (Chapman, 2000; Girolametto et al., 2006; Gosse et al., 2014).

Le terme « sociointeractionniste » a été sélectionné par Dickinson et McCabe (1991) pour décrire cette approche du soutien du développement du langage, sur la base des travaux de Vygostki (1985) et de Bruner (1983). Gosse et al. (2014) en proposent la définition suivante, en s’appuyant sur les écrits de Dickinson et McCabe (1991) et de Chapman (2000) :

La perspective socio-interactionniste du développement langagier considère que les interactions verbales de l’enfant avec les adultes sont un mécanisme clé de son développement, car elles lui offrent des occasions d’entendre et de mettre en pratique de nouvelles structures linguistiques avec un partenaire compétent, et ce, dans un contexte significatif. (Traduction libre, Gosse et al., 2014, p.112)

De façon plus précise, plusieurs mécanismes expliquent comment ces interactions verbales entre l’adulte et les enfants influencent leur développement langagier (Dickinson et McCabe, 1991). D’abord, le langage utilisé dans ces interactions est collé à ce que l’enfant a dit ou souhaite dire. Le

désir et le besoin réel de communiquer de l’enfant constitueraient en effet le moteur de son développement langagier (Vygostki, 1985). Également, les moments d’échanges reviennent fréquemment dans les routines de vie du jeune enfant et ce dernier y apprend des mots et des phrases utiles pour sa communication de tous les jours. De plus, lorsque les enfants reprennent spontanément de nouveaux mots et de nouvelles phrases produits par l’adulte lors d’une conversation, ils contribuent à maintenir l’échange et à recevoir de nouvelles rétroactions, ce qui donne un sens à cette stratégie et les encourage à imiter davantage l’adulte (Snow, 1982). Plus un enfant reproduit ce qu’il entend, plus il met en pratique ses habiletés langagières et les consolide (Bruner, 1983; Snow, 1982). Enfin, les enfants négocient, au cours de conversations avec l’adulte, la signification des mots et du discours, via des questions et des demandes de clarification. Cela leur permet de consolider leur compréhension du langage à partir d’indices significatifs pour eux, dans un contexte authentique. Barnes et al. (2017) ont d’ailleurs confirmé que les commentaires enchâssés dans des conversations, qui sont en réponse aux idées qu’avance l’enfant, ont davantage d’incidence sur le développement du vocabulaire que ceux initiés par l’adulte.

Une autre caractéristique essentielle des interactions verbales dans la perspective sociointeractionniste est l’ajustement de l’adulte à l’enfant (Dickinson et McCabe, 1991). Cet ajustement se fait au moins à deux niveaux : d’abord, en suivant l’intérêt de l’enfant, afin de créer des épisodes d’attention conjointe, et ensuite, en s’adaptant à son niveau langagier, ce qui permet de lui offrir des modèles langagiers qui se situent dans sa zone proximale de développement (Vygostki, 1985). Selon Vygotski (1985), qui a défini le concept de zone proximale de développement, les actions éducatives doivent en quelque sorte précéder le développement de l’enfant, en proposant des modèles légèrement plus avancés, afin d’exploiter son plein potentiel. Elles ne doivent toutefois pas trop le devancer, car si l’enfant n’a pas atteint un certain niveau d’abstraction dans son développement et acquis le bagage d’expériences quotidiennes nécessaires pour comprendre un concept amené par l’adulte, l’apprentissage risque d’être dépourvu de sens et de ne pas s’ancrer chez lui. C’est ce que Bruner (1983) appelle l’étayage langagier, soit l’accompagnement et le soutien que l’adulte offre à l’enfant, en tenant compte de ses capacités actuelles, pour l’amener graduellement à produire, par exemple, une phrase plus longue ou à participer à un échange verbal plus complexe que ce qu’il était en mesure de faire seul jusqu’alors.

L’ajustement de l’adulte à l’enfant fait ressortir le caractère bidirectionnel des interactions adulte- enfant (Bronfenbrenner et Morris, 2006). Si le langage adressé par l’adulte à l’enfant influence le développement de ses habiletés langagières, il est reconnu que l’enfant lui-même — son niveau de

langage, sa personnalité, son développement en général — influence également les caractéristiques du langage de l’adulte.

En bref, selon la perspective sociointeractionniste du développement langagier, les échanges avec les adultes significatifs dans l’entourage de l’enfant fournissent à la fois un contexte de communication authentique, où l’enfant est motivé à communiquer, et des modèles légèrement plus avancés qui lui permettent de complexifier son langage (Gosse et al., 2014). Dans ce projet, les pratiques de soutien du développement langagier qui seront présentées aux éducatrices afin de soutenir le langage des enfants s’appuient sur cette perspective sociointeractionniste (Dockrell et al., 2015; Girolametto et Weitzman, 2002; Gosse et al., 2014; Massey et al., 2008).