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§II Les effets du coemploi.

I. Les rapports entre coemployeurs.

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. En principe, les sociétés membres du groupe conservent, comme nous l’avons souligné, leur autonomie juridique et demeurent, en conséquence, des employeurs distincts les uns des autres. Selon ce principe, ces sociétés assument les obligations imposées par le Code du travail uniquement à l’égard des salariés avec lesquels elles sont liées par des contrats individuels de travail.

À titre d’exemple, l’obligation de reclassement et celle d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi n’incombent qu’à l’employeur contractuel des salariés et ne pèsent pas sur les autres sociétés du groupe, qui demeurent des parties tierces. En vertu du principe de l’autonomie des personnes morales, une société mère, précise la Cour de cassation, « demeure

274 Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 07-44200, M. X c/ Sté Renault Réagroupe, note de B. Saintournes, LPA,

2010, n° 45, p. 9.

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une entité juridiquement distincte à l’encontre de laquelle les créanciers de ses filiales ou des sociétés qui sont sous son contrôle, ne peuvent prétendre disposer d’un droit de créance276. »

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. Néanmoins, ce principe s’efface en cas d’identification d’une situation de coemploi. Cette situation impose à la société déclarée coemployeur, bien qu’elle ne soit pas partenaire contractuel des salariés intéressés, d’assumer avec la société employeur (l’employeur contractuel) les obligations liées à la qualité d’employeur. La société déclarée coemployeur, en sa qualité d’employeur de fait, supporte, à côté de l’employeur contractuel, en sa qualité d’employeur de droit, les conséquences d’un licenciement économique, notamment au regard de l’obligation de reclassement et celle d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi.

Identifier une situation de coemploi ne signifie pas, faut-il le préciser, que la société qualifiée de coemployeur se substitue à l’employeur contractuel, mais cette société s’ajoute, en sa qualité de débiteur, dans un rapport d’emploi préexistant277. Autrement dit, une telle situation ne conduit pas à traiter l’employeur contractuel comme une personne morale fictive278. Les deux coemployeurs assument les obligations attachées à la qualité d’employeur.

La Cour de cassation l’énonce clairement, en particulier dans l’arrêt Aspocomp279, où

elle confirme l’arrêt de la cour d’appel qui qualifiait la société mère finlandaise (Aspocomp Groupe OYJ) de coemployeur des salariés de sa filiale française (Aspocomp SAS) mise en liquidation judiciaire, et précise que cette société mère « ne démontrait pas avoir procédé à une recherche sérieuse de reclassement ni avoir envisagé toutes les solutions alternatives aux licenciements économiques. » La Cour adopte la même position dans l’arrêt Métaleurop rendu le 28 septembre 2011280 qui décide que « le licenciement économique prononcé par l’un

des coemployeurs mettant fin au contrat de travail, chacun d’eux doit en supporter les conséquences notamment au regard de l’obligation de reclassement. »

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. Ces obligations incombant aux deux coemployeurs ne dérivent pas, précise un auteur281, « de contrats de travail distincts qui lieraient séparément chacun des coemployeurs

276 Cass. soc., 30 novembre 2011, n° 10-22964, op. cit. 277 G. Loiseau, op.cit, p. 21.

278 P. Morvan, « L’identification du coemployeur », JCP, S, 2013, n° 46, p. 19. 279 Cass. soc., 19 juin 2007, n° 05-42570, op. cit.

280 Cass. soc., 28 septembre 2011, n° 10-12278, op. cit. 281G. Loiseau, op. cit., p. 22.

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aux salariés communs. » La société qualifiée de coemployeur, souvent la société mère, et la société employeur, souvent la filiale, sont considérées comme liées au salarié par un contrat de travail unique, et la rupture de celui-ci par l’une est réputé prononcée par l’autre. Ce point a été explicitement énoncé par la Cour de cassation dans son arrêt du 1er juin 2004282, qui

retient que « lorsqu’un salarié est lié à des coemployeurs par un contrat de travail unique, le licenciement prononcé par l’un d’eux, qui met fin au contrat de travail, est réputé prononcé par tous. » Cela signifie que le salarié intéressé ne peut avancer que son contrat n’a pas été rompu au motif que le coemployeur n’a pas procédé, à son tour, à son licenciement283.

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. Au sujet de la mise en œuvre des obligations pesant sur les coemployeurs, essentiellement l’obligation de reclassement et celle d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi, une question se pose sur la façon dont s’élaborent ces obligations : les coemployeurs les mettent-ils en place d’une manière autonome l’un par rapport à l’autre, ou bien le font-ils de manière conjointe et solidaire ?

Sur ce point, dans un arrêt rendu le 22 juin 2011284, la Cour de cassation a décidé que

« La cour d’appel, qui n’a pas constaté l’existence d’une irrégularité dans le déroulement de la procédure consultative des représentants du personnel de la société BSA, a relevé, sans se contredire, que le plan de sauvegarde de l’emploi avait été établi dans le seul cadre de cette société alors qu’il devait être mis en place par chacun des coemployeurs. »

Il ressort de cet arrêt que les obligations pesant sur les coemployeurs, en l’espèce l’établissement d’un plan de sauvegarde de l’emploi, doivent être mises en œuvre de façon autonome : chacun des coemployeurs doit les exécuter indépendamment de l’autre. La position de la Cour de cassation s’accorde avec l’analyse du professeur Loiseau qui considère que les obligations incombant à l’employeur sont par nature indivisibles et donc qu’« il n’existe pas une unique obligation conjointe entre les coemployeurs, telle l’obligation de reclassement qu’ils exécuteraient conjointement. Chacun est tenu en propre des obligations liées à la condition d’employeur et est redevable de leur inexécution285. »

282 Cass. soc., 1er juin 2004, n° 01-47165.

283 P. Morvan, « Le licenciement des salariés d’une filiale (action Aspocomp) », JCP, S, 2010, n° 41, p. 19 ;

G. Auzero, « Les effets avérés et à venir du coemploi », JCP, S, 2013, n° 46, p. 25.

284 Cass. soc., 22 juin 2011, n° 09-69021.

285 G. Loiseau, « Coemploi et groupes de sociétés », JCP, S, 2011, n° 47, p. 11 ; G. Loiseau, « L’identification

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. Dans le même esprit, les obligations pesant sur les coemployeurs ne sont pas non plus de nature solidaire puisque leur respect par l’un n’en dispense pas l’autre286. Cette position

s’aligne avec l’article 1202 du Code civil qui dispose que la solidarité ne se présume pas. Néanmoins, la dette de réparation peut seule être acquittée solidairement par les coemployeurs par l’effet d’une condamnation judiciaire in solidum287. En définitive, les coemployeurs

demeurent comme, l’affirme Grégoire Loiseau288 « chacun débiteur des obligations que la loi

attache à la qualité d’employeur et comptable, à l’égard des salariés, des conséquences de leur inexécution. »

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