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Section II. La notion d’entreprise, autre solution fonctionnelle permettant la reconnaissance de la qualité d’employeur à un groupe de sociétés.

I. La notion d’entreprise permet de corriger l’inadéquation du principe de l’autonomie juridique de la personne morale.

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. Le principe de l’autonomie juridique de la personne morale ne traduit pas toujours l’indépendance réelle de certaines personnes qui, bien qu’elles soient juridiquement autonomes, se trouvent en fait sous le contrôle réel d’autres personnes. Ce constat concerne le groupe de sociétés, car les sociétés filiales qui composent cette structure économique, même si elles sont juridiquement autonomes, sont en fait contrôlées économiquement par la société mère du groupe et fonctionnent selon ses directives.310

En effet, parce qu’elle détient la majorité de leur capital, la société mère profite des bénéfices réalisées par ses filiales, exerce un contrôle sur les décisions prises au sein des organes sociaux de ses sociétés filiales (conseil d’administration, assemblée générale des actionnaires), désigne les dirigeants de ces sociétés, etc.311

Les sociétés filiales ne possèdent aucune autonomie effective à l’égard de la société mère du groupe, et une application systématique et absolue du principe de l’autonomie juridique de la personne morale peut excessive dans la mesure où cette autonomie n’est en réalité qu’une autonomie d’apparence.

Le caractère excessif du principe de l’autonomie juridique de la personne morale se manifeste davantage dans les cas où ce principe est utilisé par la société mère comme un moyen pour échapper à certaines responsabilités juridiques.312 À titre d’illustration, une société mère crée une filiale uniquement pour se prévaloir des bénéfices qu’elle réalise, sans en supporter les dettes. Les créanciers de cette société filiale ne peuvent se retourner que contre cette dernière pour réclamer leurs droits sans pouvoir cibler la société mère.

Au niveau social, une société mère crée une filiale pour se débarrasser de la qualité d’employeur avec toutes les conséquences juridiques qui en résultent. En effet, les salariés de cette filiale ne peuvent poursuivre la société mère du groupe pour réclamer leurs droits, en

310 N. El Fadel Raad, L’abus de la personnalité morale en droit privé, p. 218, thèse soutenue le 4 juillet 1990,

Université de Droit, d’Économie et de Sciences sociales de Paris (Paris II).

311 J.-P. Robé, L’entreprise et le droit, PUF, 1999, p. 32. 312 M. Despax, L’entreprise et le droit, L.G.D.J., 1957, p. 122.

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raison de l’autonomie juridique de chacune de ces sociétés. Ces salariés ne peuvent faire valoir leurs droits qu’à l’égard de la société filiale en sa qualité d’employeur de droit.

Une telle application du principe de l’autonomie juridique de la personne morale peut nuire aux droits des salariés car, ces derniers, en cas de litige, ne peuvent se retourner pour défendre leurs droits que contre leur employeur formel qui est la société filiale, alors que c’est la société mère qui devrait pouvoir être poursuivie e qualité de véritable employeur.

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. Certains auteurs ont observé cette distorsion entre l’indépendance juridique de la société filiale et son dépendance économique à l’égard de sa société mère, et ont plaidé pour l’inapplication du principe de l’autonomie juridique de la personne morale dans tous les cas où il y a un abus de ce principe. En se sens, le doyen P. Chauveau considère qu’il y a abus de la personnalité morale dans tous les cas où « la fiction de la personnalité morale arrête le cours normal et le jeu régulier d’une disposition législative. » 313

Dans ce cadre, la notion d’entreprise peut jouer un rôle de correcteur en cas d’utilisation abusive du principe de l’autonomie juridique de la personne morale. Ce concept dépasse l’écran juridique interposé entre la société mère et la société filiale, en considérant ces deux sociétés comme une seule entreprise.314 Cette considération permet de « rétablir la réalité dissimulée par l’indépendance juridique des sociétés liées. » 315 J. Savatier considère dans ce sens que : « malgré la pluralité de sociétés et donc de personnes juridiques, il y a en réalité une entreprise unique. » 316

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. La référence à la notion d’entreprise entraîne des conséquences considérables sur la qualification de l’employeur au sein du groupe de sociétés, puisque cette référence peut

313 P. Chauveau, « Des abus de la notion de personnalité morale dans les sociétés », Revue générale de droit

commercial, 1938, p. 397 et s, cité par N. El Fadel Raad, L’abus de la personnalité morale en droit privé, p. 19, thèse soutenue le 4 juillet 1990, Université de Droit, d’Économie et de Sciences sociales de Paris (Paris II).

314 M. Despax estime que : « l’écran juridique que l’on a voulu interposer entre la société mère et sa filiale ne

suffit plus à dissimuler que, par leurs activités complémentaires, ces deux sociétés ne forment qu’un ensemble économique, et cette situation de fait doit logiquement entraîner des conséquences de droit ». M. Despax, op.cit, p. 107.

315 I. Vacarie, op. cit., p.115. J. Henri-Robert affirme dans ce cadre que : « les entités effectivement dotées du

pouvoir de décision ne sont plus, dans la pratique contemporaine des affaires, les sociétés habillées par la personnalité juridique, mais plutôt les groupes de sociétés ». J. Henri-Robert, Droit pénal général, PUF, 2005, p. 376.

316 Cass. soc., 24 mars 1969, entreprise Netter c/ Maurice Martin ; Cass. soc., 13 mai 1969, société Ignis-Italie

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permettre aux juges d’attribuer la qualité d’employeur conjointement à la société mère en sa qualité d’employeur réel et à la société filiale en tant qu’employeur de droit.317 Cette solution s’impose lorsque les juges constatent que ces sociétés forment en fait une seule et même entreprise.

Considérer qu’un groupe de sociétés ne forme qu’une seule entreprise nie donc les séparations juridiques créées entre ces sociétés, et permet en conséquence aux juges de recomposer l’unité de l’employeur dispersée au sein de cette structure économique.318 Une telle unité peut être recomposée au vu de l’article 12, al. 2, du Code de procédure civile qui prévoit que le juge « doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposées. » 319

II. La notion d’entreprise permet la correction de l’inadéquation du

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