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Section II. La notion d’entreprise, autre solution fonctionnelle permettant la reconnaissance de la qualité d’employeur à un groupe de sociétés.

II. La notion d’entreprise permet la correction de l’inadéquation du principe contractuel accordant la qualité d’employeur uniquement à la

société cocontractante.

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. La construction du droit du travail contemporain se fonde sur la notion d’entreprise pour encadrer les rapports de travail collectifs et individuels. Au niveau collectif, l’entreprise constitue le cadre dans lequel les institutions représentatives du personnel doivent être mises en œuvre, le cadre privilégié de la négociation collective, de l’exercice du droit de grève, etc.320

Également, au niveau individuel, en se rendant compte de l’insuffisance – ou de l’incapacité – du droit contractuel à résoudre les problèmes relatifs aux rapports individuels de travail, le droit du travail contemporain se réfère au concept d’entreprise pour encadrer ces rapports.321

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. La conséquence essentielle qui résulte de cette référence, c’est que les salariés entretiennent des relations avec l’entreprise et non avec la personne physique ou morale avec

317 Et même aux autres sociétés du groupe. 318 A. Supiot, op. cit., p. 627.

319 Ibid.

320 A. Supiot, op. cit., p. 624.

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lesquelles ils sont liés par des contrats de travail.322 Le personnel de l’entreprise se rattache plus à cette dernière qu’aux employeurs successifs.323 La notion d’entreprise permet de reconsidérer la qualité d’employeur, attribuée à l’entreprise dans laquelle les salariés travaillent et non à leur partenaire contractuel avec toutes les conséquences juridiques qui en découlent.

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. D’un côté, la référence au concept d’entreprise met à la charge des salariés des obligations à l’égard de l’entreprise à laquelle ils sont rattachés et non à leur partenaire contractuel. À titre d’exemple, les salariés sont tenus d’une obligation de loyauté, non vis-à- vis de leur partenaire contractuel, mais à l’égard de l’entreprise. La chambre sociale de la Cour de cassation affirme en sens que le salarié est : « tenu de s’abstenir de tout acte qui pourrait nuire à l’entreprise à laquelle il appartient. » 324

D’un autre côté, la notion – ou le lien – d’entreprise assure une protection aux salariés que le lien contractuel ne parviendrait pas à lui seul à réaliser.325 À titre d’illustration, le fameux article L.1224-1 Code du travail326 impose le maintien des contrats de travail en cas de transfert d’entreprise ou de modification dans la situation juridique de l’employeur.327

Cet article, qui trouve ses origines dans la loi du 19 juillet 1928, affirme que les contrats de travail des salariés continuent à produire leurs effets lorsque l’employeur cocontractant cède son entreprise.328 La personne qui reprend l’entreprise devient juridiquement le nouvel employeur de ces salariés, même s’il n’a conclu aucun contrat avec ces derniers.329 Par ce texte, le législateur déroge au principe de la relativité des conventions posé par l’article 1165

322 Trib. civ. Seine, 7e ch., 9 février 1959, Dlle Condat c/ Sté « Nuit et jour » et « La Nouvelle République de

Bordeaux et du Sud-Ouest », J.C.P., 1959, II, 11006, note P. Allemandou ;. A. Mazaud, Droit du travail, Montchrestien, 2010, p. 332.

323 F. Gaudu, « La notion juridique d’emploi en droit privé », Dr. soc., 1987, 414, cité par A. Mazaud, op. cit.,

p. 517.

324 Cass. soc., 28 mars 1953, D., 1953, p. 370. 325 A. Brun, op. cit., p.1719.

326 L’article L.1224-1 (anc. L.122-12-2) du Code du travail prévoit que : « lorsque survient une modification

dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise ».

327 Ce principe a été par la suite adopté par le droit communautaire à travers la directive de 1977. Directive

n° 77/187/CEE du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas du transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements. Cette directive a été modifiée par la directive n° 98/50/CE du 29 juin 1998 et remplacée par la directive 2001/23/CE du 12 mars 2001.

328 J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Dalloz, 2012, p. 333. 329 Ibid..

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du Code civil, en faisant du cessionnaire une partie au contrat individuel de travail alors qu’il ne l’a pas conclu330

Le principe du maintien des contrats de travail en cas de transfert d’entreprises se justifie par une considération sociale qui consiste à protéger l’emploi des salariés chaque fois q’un transfert d’entreprise se produit.331 Depuis l’arrêt Schmidt, la jurisprudence de la CJCE pose un critère essentiel pour mettre en œuvre ce principe, à savoir que l’entité économique qui fait l’objet du transfert conserve son identité332 et qu’il y ait donc poursuite de l’activité de l’entreprise. La chambre sociale de la Cour de cassation a confirmé cette exigence en considérant que l’article L.1224-1 du Code du travail s’applique « à tout transfert d’une entité économique, conservant son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise. » 333

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. Au niveau du groupe de sociétés, nous estimons que le mécanisme de l’article L.1224- 1 du Code du travail, qui repose sur la notion d’entreprise, peut constituer un paradigme permettant de reconstruire la notion d’employeur au sein de cette structure économique. En effet, les sociétés composant le groupe – notamment la société mère – peuvent se voir attribuer la qualité d’employeur à l’égard des salariés d’une filiale, bien qu’aucun lien contractuel ne lie ces derniers avec ces sociétés.

Reconsidérer la notion d’employeur en le fondant sur la notion d’entreprise assure une protection aux salariés parce qu’elle accorde la qualité d’employeur aux autres sociétés du groupe et non à la seule société avec laquelle les salariés sont liés par un contrat de travail. Une telle analyse permet de dépasser le principe contractuel qui attribue la qualité d’employeur à la seule société cocontractante des salariés. Suivant cette conception, ces derniers deviennent des salariés du groupe de sociétés, en tant qu’il constitue réellement une seule entreprise, et non des salariés de la seule société avec laquelle ils sont liés officiellement par un contrat de travail.

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. Nous pensons que cette reconstruction de la notion d’employeur qui se base sur la notion d’entreprise mérite d’être soutenue car, dans un groupe de sociétés, la société partie au

330 A. Cœuret, B. Gauriau, M. Miné, Droit du travail, Dalloz, 2006, p. 279. 331 J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, op. cit., p.333.

332 CJCE, 14 avril 1994, C-392-92, D., somm, 1994, p. 301, note I. Vacarie. 333 Cass. soc., ass. plén., 16 mars 1990, D., 1990, p. 306, note A. Lyon-Caen.

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contrat de travail n’est pas forcément le véritable employeur, ou au moins l’employeur unique des salariés. Dans la majorité des cas, l’employeur réel est la société mère du groupe, en tant qu’elle se trouve à la tête de cette structure, qu’elle prend les décisions stratégiques en matière économique et sociale et qu’elle exerce un contrôle effectif sur les sociétés filiales. Ces dernières, comme l’a constaté le doyen Jean Savatier, n’occupent en fait qu’une place « souvent secondaire, et parfois insignifiante. » 334

Nous considérons que cette conception assure la protection des droits des salariés car il leur permet d’élargir le périmètre de la notion d’employeur avec toutes les conséquences juridiques qui en découlent. Les salariés intéressés peuvent, grâce à cet élargissement, cibler l’ensemble des sociétés du groupe, ou au moins certaines d’entre elles, et non leur seul partenaire contractuel (société filiale), pour faire valoir leurs droits.

D’un autre côté, nous estimons que la notion d’entreprise offre aux juges la possibilité d’adapter le droit aux réalités économiques. En effet, les juges, lorsqu’ils traitent un litige opposant un salarié à une société faisant partie d’un groupe de sociétés, ne délimitent pas le périmètre de la responsabilité dans un cadre restrictif impliquant uniquement la société cocontractante, en tant qu’elle constitue l’employeur formel dudit salarié, mais veillent à identifier le véritable employeur qui est souvent la société mère du groupe.

§II. L’utilisation de la notion d’entreprise.

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. Dans deux jugements, les juges du tribunal civil de la Seine se sont servis de la notion d’entreprise pour reconnaître la qualité d’employeur à un groupe de sociétés (§I). Cependant, l’utilisation de cette notion d’entreprise est essentiellement concevable en droit des procédures collectives, puisque les salariés peuvent, en se fondant sur cette notion, demander de soumettre deux sociétés – ou plusieurs sociétés – appartenant au même groupe, à une procédure collective unique (II).

334 J. Savatier, « Conditions de la reconnaissance d’une unité économique et sociale pour un secteur d’activité

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I. L’utilisation de la notion d’entreprise dans les deux jugements rendus par

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