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II L’incapacité des négociateurs sociaux au niveau du groupe de sociétés de déroger dans un sens défavorable aux salariés aux normes sociales

d’origine conventionnelle.

578 Cet article est issu de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005. 579 F. Petit, op. cit., p. 392.

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. Les accords collectifs de groupe se trouvent exclus de la logique dérogatoire, instituée par la loi du 4 mai 2004, qui permet, en principe, aux accords collectifs de niveau inférieur de déroger à ceux de niveau supérieur, même dans un sens défavorable aux salariés. Le législateur interdit aux accords de groupe de créer des règles sociales accordant des droits moins avantageux que ceux garantis par les accords de branche (I), et ne leur donne pas non plus la faculté de produire des normes moins favorables que celles qui sont fixées par les accords d’entreprise (II).

I. L’incapacité des négociateurs sociaux au niveau du groupe de sociétés de

déroger aux normes sociales conçues au niveau de la branche.

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. L’incapacité des négociateurs sociaux au niveau du groupe de déroger, dans un sens défavorable aux salariés, aux normes sociales produites au niveau de la branche est explicitement énoncée par l’article L.2232-35 du Code du travail. Ce texte prévoit qu’une convention ou un accord de groupe « ne peut comporter de dispositions dérogatoires à celles applicables en vertu de conventions de branche ou d’accords professionnels dont relèvent les entreprises ou établissements appartenant à ce groupe. »

Pour qu’une dérogation soit admise dans ce sens, l’article précité exige l’existence d’une autorisation expressément mentionnée par l’accord de branche ou l’accord professionnel. Sans cette autorisation, un accord de groupe ne peut prévoir de clauses différentes et moins favorables aux salariés que celles prévues par l’accord de branche.

En revanche, en application du principe de l’ordre public social, un accord de groupe peut toujours comporter des dispositions garantissant des droits plus favorables aux salariés. La circulaire du 22 septembre 2004581 énonce clairement cette possibilité en affirmant qu’un accord de groupe « peut comporter des dispositions plus favorables que celles des accords de branche dont relèvent les entreprises comprises dans le périmètre de l’accord. »

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. Cette disposition qui régit le rapport entre accords de groupe et accords de branche est différente, faut-il le préciser, de celle qui lie accords de groupe et accords de branche aux

581 Circulaire du 22 septembre 2004, fiche n° 5 relative au titre II de la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, relative à

la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (JORF, n° 255 du 31 octobre 2004, p. 18472).

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accords d’entreprise. En effet, l’article L.2253-3 du Code du travail, tel qu’issu de la loi du 4 mai 2004, permet aux accords d’entreprise ou aux accords d’établissement de comporter, en tout ou en partie, des dispositions moins favorables aux salariés que celles fixées par les accords collectifs couvrant un champ territorial ou professionnel plus large582.

L’émancipation des accords d’entreprise583, prévue par la loi du 4 mai 2004584, s’inscrit dans le cadre d’une nouvelle logique qui traite les conventions et les accords collectifs de niveau différent comme des accords juridiquement égaux, ce qui fait qu’« aucune convention ne saurait avoir à l’égard d’aucune autre une supériorité intrinsèque analogue à l’ordre public de la loi585. » Les accords de branche deviennent ainsi, en principe586, des règles supplétives à celles conçues au niveau de l’entreprise587.

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. On constate toutefois que les accords de groupe demeurent exclus de cette nouvelle disposition, car le législateur n’accorde pas aux négociateurs sociaux de ce niveau la faculté de déroger aux accords de branche. La question se pose alors en ces termes : pourquoi le législateur exclut-il les accords de groupe, à rebours des accords d’entreprise, de cette possibilité de dérogation ?

Les accords de groupe, à l’égal des autres accords collectifs, sont des contrats juridiquement autonomes et les négociateurs sociaux de ces accords jouissent de liberté contractuelle ; de ce fait, leur incapacité à déroger aux accords de branche nous paraît en

582 Avant l’élaboration de la loi du 4 mai 2004, les dispositions contenues dans les accords d’entreprise, en vertu

de l’ancien article L.132-23 du Code du travail, ne pouvaient pas déroger dans un sens défavorable aux salariés à celles énoncées par les accords de branche. En confirmant ce principe, la jurisprudence sociale retenait que les accords d’entreprise ne pouvaient pas comporter de clauses moins favorables aux salariés que celles contenues dans les accords de branche, ces derniers constituaient en quelque sorte des normes plancher. Les négociateurs sociaux au niveau de l’entreprise avaient seulement la possibilité d’élaborer des normes sociales plus favorables aux salariés par rapport à celles prévues dans les accords de branche. C.A. de Paris, 1ère ch., 24 septembre 2003,

cité par J.-M. Mir, op. cit., p. 54.

583 P. Rodière, op. cit., n° 1148, p. 4.

584Cette possibilité de dérogation permise aux accords d’entreprise à l’égard des accords de niveau supérieur se

soumet à une double limitation. D’une part, les conventions et les accords collectifs de niveau supérieur peuvent, selon l’article L.2253-3 du Code du travail, inclure une clause excluant la possibilité que ces derniers soient abrogés par des accords d’entreprise. D’autre part, suivant le même article, la possibilité de dérogation est exclue dans quatre matières : les salaires minimum ; les classifications ; les garanties collectives en matière de prévoyance et de mutualisation des fonds de la formation professionnelle.

585 Y. Chalaron, « L’application de la disposition la plus favorable », in Études offertes à G. Lyon-Caen, 1989,

p. 243, cité par G. Bélier et H.-J. Legrand, La négociation collective après la loi du 20 août 2008, p. 209.

586 Cette dérogation n’est pas permise, au vu de l’article L.2253-3 du Code du travail, dans certaines matières :

salaires minimum, classification, protection complémentaire et mutualisation des fonds recueillis au titre de la formation professionnelle.

587 La même logique régit le rapport entre les accords de branche et les accords couvrant un champ territorial ou

professionnel plus large, puisque l’article L.2252-1 du Code du travail permet aux premiers accords de comporter des dispositions moins favorables que celles des seconds.

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contradiction avec la logique, en vigueur depuis la loi du 4 mai 2004, de l’indépendance et de la supplétivité des accords collectifs, les uns à l’égard des autres.

L’exposé des motifs du projet de la loi du 4 mai 2004 énonce, sans beaucoup de précisions, que l’interdiction faite aux accords de groupe de déroger aux accords de branche est justifiée par la volonté d’éviter de précariser la couverture conventionnelle des salariés et de fragiliser les relations sociales dans les groupes de sociétés588.

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. Nous pensons que la crainte du législateur qu’une telle possibilité soit instrumentalisée par les sociétés dominantes des groupes pour réduire les droits des salariés garantis par les accords de branche, constitue la raison de cette exclusion. Cela risquerait de donner le loisir aux sociétés dominantes des groupes, au nom de l’harmonisation de la politique sociale et de la compétitivité du groupe, d’adopter des normes sociales garantissant des droits moins favorables aux salariés que celles fixées par les accords de branche589.

Pour éviter une telle manœuvre susceptible d’affaiblir les droits des salariés au sein du groupe de sociétés, le législateur a estimé nécessaire, nous semble-t-il, d’encadrer l’articulation entre les accords collectifs de branche et ceux du groupe, en vertu du principe de faveur et non en vertu de celui de la supplétivité de l’accord supérieur. De la sorte, les normes sociales édictées dans les accords de branche se présentent comme des règles impératives, et non supplétives, à l’encontre de règles décidées au niveau du groupe de sociétés.

II. L’incapacité des négociateurs sociaux au niveau du groupe de sociétés à

déroger aux normes sociales conçues au niveau de l’entreprise.

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. Contrairement au caractère explicite de la proscription faite aux accords de groupe de déroger aux accords de branche dans un sens défavorable aux salariés, le législateur reste silencieux sur les rapports qu’entretiennent les accords de groupe avec les accords d’entreprise. Ce silence nous conduit à nous interroger sur la combinaison des accords de groupe avec les accords d’entreprise et sur la capacité des premiers à primer sur les seconds.

588 P. Rodière, op. cit., n° 1148, p.10.

589 À l’inverse, le législateur accorde, nous semble-t-il, aux accords d’entreprise la faculté de déroger aux

accords de branche, même dans un sens défavorable aux salariés, parce qu’il part du constat qu’une telle dérogation ne servira que les intérêts de l’entreprise et non ceux d’une autre entreprise.

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Nous soutenons, de ce point de vue, la position de la doctrine qui estime qu’en l’absence d’une autorisation juridique explicite, les accords de groupe ne peuvent se permettre de porter atteinte aux droits des salariés d’entreprise590. Lorsque les accords de groupe portent sur des domaines déjà traités par les accords d’entreprise, les dispositions prévues dans les premiers accords doivent garantir des droits plus favorables aux salariés que ceux fixés par les seconds accords.

Cette primauté des accords d’entreprise sur ceux de groupe est clairement formulée par la circulaire du 22 septembre 2004, qui précise que « lorsque l’accord de groupe porte sur des domaines déjà traités par des accords d’entreprise, les clauses de l’accord de groupe ne peuvent prévaloir sur les stipulations des accords d’entreprise antérieures ayant le même objet que si elles sont plus favorables aux salariés591.»

590 H. Tissandier, « L’articulation des niveaux de négociation : des principes en mutation », SSL, 2004, n° 1183,

p. 62.

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