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Le secteur d’activité, périmètre d’appréciation du caractère effectif des difficultés économiques invoquées à l’appui d’un licenciement économique.

Section II. La reconnaissance du groupe de sociétés comme cadre d’appréciation des difficultés économiques.

A. Affirmation de la notion de secteur d’activité : l’apport des arrêts du 5 avril 1995.

1. Le secteur d’activité, périmètre d’appréciation du caractère effectif des difficultés économiques invoquées à l’appui d’un licenciement économique.

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. La question de droit posée dans le deuxième arrêt du 5 avril 1995653 était de savoir si les difficultés économiques rencontrées par une entreprise pouvaient justifier des licenciements économiques, alors que le groupe auquel appartenait cette entreprise était prospère. Pour répondre à cette question, la chambre sociale de la Cour de cassation a décidé clairement que « les difficultés économiques [devaient] être appréciées au regard du secteur d’activité du groupe auquel appartient l’entreprise concernée. » 654

652 Société Thomson Tubes et Displays c/ Steenhoute et autres, et sociétés T. R. W. REPA c/ Mabon et autres.

Bull. civ., V, n° 123, 5 avril 1995.

653 Cass. soc., 5 avril 1995, Bull. civ., V, 1995, n° 123. Société TRW REPA c/ Mme Mabon et autres.

654 À la suite de difficultés économiques, la société TRW REPA avait proposé au personnel de réduire leur

salaire et de renoncer à certaines primes et avantages institués par des usages. Les salariés qui ont refusé ces modifications ont été licenciés. La cour d’appel d’Angers a dénié tout caractère économique à ces licenciements, au motif que le groupe auquel appartenait la société TRW REPA était économiquement prospère. Elle a également ajouté que la baisse de rémunération sollicitée et les licenciements corrélatifs étaient des décisions prises au niveau du groupe et ne correspondaient pas à la société TRW REPA. La chambre sociale de la Cour de cassation a annulé ce raisonnement de la cour d’appel, en jugeant que les difficultés économiques devaient être appréciées au niveau du secteur d’activité du groupe auquel appartenait la société TRW REPA.

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. Apprécier les difficultés économiques au niveau du secteur d’activité du groupe dont relève l’entreprise qui licencie devient un principe de raisonnement pour la haute juridiction judiciaire depuis de l’arrêt du 5 avril 1995. Dans cet esprit, la Cour de cassation a réaffirmé dans un arrêt que « les difficultés invoquées à l’appui d’un licenciement pour motif économique doivent être appréciées au niveau du groupe ou du secteur d’activité du groupe auquel appartient l’entreprise. » 655

Cette évolution retient que les difficultés économiques invoquées par une entreprise pour justifier un ou des licenciements ne doivent pas être examinées dans l’ensemble du groupe, mais dans le cadre du secteur d’activité du groupe dont relève cette entreprise. En d’autres termes, les difficultés rencontrées par une entreprise ne peuvent justifier un ou des licenciements économiques que s’il est établi que le secteur d’activité du groupe auquel appartient cette entreprise connaît les mêmes difficultés656.

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. Toutefois, et d’une manière inverse, les juges peuvent rencontrer une difficulté de qualification lorsque l’entreprise qui licencie ne connaît pas de difficultés économiques alors que le secteur d’activité du groupe dont elle relève en connaît. La question qui se pose dans ce cas est de savoir si les juges peuvent qualifier un licenciement d’économique lorsqu’ils constatent que l’entreprise qui le décide obtient des résultats bénéficiaires alors que le secteur d’activité du groupe dont elle relève connaît de réelles difficultés économiques. Cette difficulté peut conduire les juges à suivre trois voies : soit ils privilégient le niveau de l’entreprise qui licencie, soit celui du secteur d’activité, soit ils prennent en considération les deux niveaux pour apprécier le caractère effectif des difficultés économiques.

655 Cass. 12 juin 2001, Bull. civ., V, n° 214, société Sprague France c/ Beauvais et autres. La société Sprague

France filiale de la société Vishay Intertechnology dont le siège se situe aux États-Unis. Cette société dont l’activité portait sur la production et la commercialisation de condensateurs au tantale, ou d’anodes, a licencié pour motif économique 225 salariés. Elle a justifié le recours à ces licenciements par la baisse importante des prix de vente. Néanmoins, le caractère réel et sérieux de ces licenciements a été contesté par plusieurs salariés. La cour d’appel a jugé que ces licenciements n’avaient pas de cause économique réelle et sérieuse, en estimant « qu’il n’était pas établi, tant au niveau du secteur des composants électroniques dont relève la société Sprague France, qu’à celui plus réduit des seuls condensateurs au tantale, que des difficultés économiques affectaient le groupe Vishay, dont la situation financière était au contraire excellente ». Ce raisonnement a été approuvé par la Cour de cassation, qui a jugé que les difficultés économiques devaient être examinées au niveau du groupe ou du secteur d’activité du groupe auquel appartenait la société Sprague France.

656 K. Adom, « Problématiques des nouvelles orientations sur le licenciement économique dans les groupes de

sociétés », LPA, 1995, n° 105, p. 11 ; J.-Yves Frouin, « Notion de secteur d’activité et obligation de reclassement en matière de licenciement économique », RDT, mai 2009, p. 307.

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Dans un arrêt rendu le 28 novembre 2007, la Cour de cassation a préféré le niveau du secteur d’activité puisque, après avoir rappelé que les difficultés économiques s’appréciaient « au niveau du secteur d’activité du groupe auquel appartient l’entreprise qui licencie », elle a affirmé sans ambiguïté que la cour d’appel « n’avait pas à rechercher si les résultats de la société étaient bénéficiaires. » 657

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. Cette solution nous paraît injustifiée car nous estimons contestable de reconnaître le caractère économique d’un licenciement décidé par une entreprise en bonne santé économique et financière au motif que le secteur d’activité auquel est rattachée cette entreprise rencontre des difficultés économiques. Une telle solution peut encourager les entreprises à procéder à des licenciements, ou au moins à des modifications affectant les éléments essentiels des contrats de travail, même si elles engrangent des résultats bénéficiaires.

Nous pensons que l’appréciation du caractère effectif des difficultés économiques, au niveau du secteur d’activité, doit être écartée à partir du moment où les juges constatent que l’entreprise employeur concernée par le ou les licenciements enregistre des résultats bénéficiaires. L’entreprise employeur ne rencontre pas, dans ce cas, de difficultés économiques nécessitant la suppression de l’emploi – ou au moins la modification des contrats de travail –, et nous considérons que le fait de se référer aux difficultés économiques présentes au niveau du secteur d’activité pour justifier cette suppression comme injuste pour les salariés.

657 Cass. soc., 28 novembre 2007, JPC, E, 8 mai 2008, n° 19, p. 47S, note Béal et A. Ferreira. Un licenciement

collectif pour motif économique a été procédé par la société Ensival-Moret France. Pour cette société, des difficultés économiques rencontrées par la filiale belge justifiaient le recours à ce licenciement. La société Française a établi que la filiale belge a retiré le droit qu’elle lui avait accordé d’utiliser ses plans et modèles pour la production de pompes industrielles et de pièces. Cette décision lui a causé la suppression d’une de ses activités, et lui a obligé par conséquent de réaliser un licenciement collectif. Les salariés licenciés ont contesté le caractère sérieux de ce licenciement en affirmant que la société Ensival-Moret France ne connaissait pas des difficultés économiques, bien au contraire, ses résultants étaient bénéficiaires. Le Conseil de prud’homme de Tours a donné raison aux salariés en jugeant que les difficultés économiques susceptibles de justifier le licenciement économique doivent exister à deux niveaux : celui de la société qui licencie et celui du secteur d’activité du groupe auquel appartient cette société. Ce jugement a été rejeté par la cour d’appel d’Orléans qui après avoir rappelé que les difficultés économiques doivent être examinées au niveau du secteur d’activité du groupe dont relève la société qui licencie, elle a constaté que le secteur d’activité du groupe auquel appartient la société Ensival-Moret France connaissait de graves difficultés, notamment la filiale belge, et par conséquent elle a jugé que le licenciement collectif était bien économique. Le raisonnement de la cour d’appel a été approuvé par la Cour de cassation qui a affirmé que l’existence de difficultés économiques au niveau du secteur d’activité justifiait le licenciement bien que la société qui licencie réalise de résultats bénéficiaires.

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. Les arrêts récents rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation s’attachent toujours au périmètre du secteur d’activité pour examiner le caractère réel et sérieux des difficultés économiques. À ce propos, dans un arrêt rendu le 26 juin 2012, la Cour de cassation a cassé un arrêt rendu par la cour d’appel de Poitiers qui ne s’intéressait qu’aux difficultés économiques de la société employeur, appartenant au département pièces de carrosserie, sans prendre en considération la situation économique du secteur d’activité automobile auquel appartenait cette société658.

S’alignant sur la position de la Cour de cassation, le Conseil d’État a adopté à son tour le secteur d’activité comme nouveau périmètre d’appréciation du caractère effectif des difficultés économiques alléguées à l’appui d’un licenciement économique. L’autorité administrative compétente pour délivrer l’autorisation du licenciement du salarié protégé est tenue, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, de respecter ce nouveau périmètre lorsqu’elle examine le caractère réel et sérieux des difficultés économiques invoquées pour un licenciement.

Des arrêts rendus par la haute juridiction administrative reprennent clairement cette conception. Ainsi, il a été arrêté, le 8 juillet 2002, que : « pour apprécier la réalité des motifs économiques allégués à l’appui d’une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé présentée par une société qui fait partie d’un groupe, l’autorité administrative ne peut se borner à prendre en considération la seule situation de l’entreprise demanderesse, mais est tenue, dans le cas où la société intéressée relève d’un groupe dont la société mère a son siège à l’étranger, de faire porter son examen sur la situation économique de l’ensemble des sociétés du groupe œuvrant dans le même secteur d’activité que la société en cause. » 659

Cette solution a été confirmée par le Conseil d’État dans un autre arrêt rendu le 16 décembre 2009 en utilisant la même formulation : « Pour apprécier la réalité des motifs

658 Cass. soc., 26.juin 2012, n° 11-13736, publié au Bulletin. Un salarié a été licencié par la société Hutchinson

au sein du département pièces de carrosserie implanté sur le site d’Ingrandes-sur-Vienne. La cour d’appel de Poitiers a reconnu la qualité économique de ce licenciement. Ella a considéré que le département pièces de carrosserie, investi par le seul site d’Ingrandes-sur-Vienne, constituait un secteur d’activité spécifique, au niveau duquel doivent être appréciées les difficultés économiques. La cour d’appel a relevé que la société Hutchinson, spécialisée dans la carrosserie automobile, était un secteur d’activité autonome au seul motif qu’il poursuivait « sa logique propre, son développement, ses contraintes ». La Cour de Cassation a annulé cette analyse en précisant que la spécialisation de l’établissement ne suffisait pas à l’exclure du secteur d’activité « automobile » du groupe auquel la société Hutchinson appartient.

659 CE, 8 juillet 2002, n° 226471, F. C, « Cadre d’appréciation du motif économique-groupe international », SSL,

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économiques alléguées à l’appui d’une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé présentée par une société qui fait partie d’un groupe, l’autorité administrative ne peut se borner à prendre en considération la seule situation de l’entreprise demanderesse, mais est tenue, dans le cas où la société mère a son siège à l’étranger, de faire porter son examen sur la situation économique dans l’ensemble des sociétés du groupe intervenant dans le même secteur d’activité que la société en cause. » 660

2. La sauvegarde de la compétitivité du secteur d’activité du groupe, une

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