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. L’article L.621-2 du Code du commerce353 autorise la soumission de deux ou plusieurs personnes juridiquement distinctes à une seule procédure collective si leurs patrimoines sont confondus. Avant même qu’elle soit consacrée légalement par la loi du 26 juillet 2005, la jurisprudence admettait l’extension à une autre personne d’une procédure collective ouverte à l’égard d’une personne débitrice lorsqu’il s’avérait que leurs patrimoines étaient confondus354

Toutefois, caractériser la notion de confusion des patrimoines reste une opération difficile. De manière générale, les tribunaux établissent l’existence de la confusion des patrimoines entre deux – ou plusieurs – personnes lorsqu’ils constatent l’existence d’un mélange des éléments d’actif et des éléments de passif entre eux, ce qui fait que rattacher ces éléments à l’un ou l’autre des patrimoines devient difficile.355

De même, le fait de constater des relations financières anormales révèle l’existence d’une confusion des patrimoines entre deux ou plusieurs personnes et conduit les tribunaux à accepter la demande de l’extension. Concernant un groupe de sociétés, la Cour de cassation précise que la confusion des patrimoines exige que soient prouvés des flux financiers anormaux entre les sociétés du groupe.356

Dans ce sens, les juges établissent le caractère anormal des flux financiers, lorsqu’ils constatent qu’une société omet de verser ce qu’elle doit à une autre société, sans réaction de cette dernière,357 ou lorsqu’il y a détournement systématique de la trésorerie de la filiale,358 ou par le fait de valider les actifs d’un des membres au profit des autres,359 ou en cas de paiement

353 Issu de la loi dite loi de sauvegarde, n° 2005-845 du 26 juillet 2005.

354 La Cour de cassation a admis l’extension d’une procédure collective sur le fondement de la confusion des

patrimoines depuis un arrêt rendu le 29 juin 1908, L. Jourdan, op. cit., p. 106.

355 A. Jacquemont, Droit des entreprises en difficultés, LexisNexis, 2011, p. 119. 356 Cass. com., 11 mai 1993, Rev. proc., coll. 1994, p. 372, obs. J.-M. Calendini. 357 Cass. com., 7 janvier 2003, Bull. Joly, 2003, p. 405, note F.-X. Lucas. 358 CA Versailles, 4 avril 1991, Bull. Joly, 1991, p. 614, note P. Le Cannu. 359 Cass. com., 17 juillet 2001, n° 00-12396.

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de sommes indues par un membre du groupe, à la place de l’une des autres sociétés du groupe360, ou encore par la mise à disposition de son personnel sans contrepartie,361 etc.

La Cour de cassation contrôle de manière rigoureuse le caractère anormal des relations financières entre les sociétés d’un même groupe. L’affaire Métaleurop en constitue à cet égard une illustration puisque la haute juridiction, contrairement à la cour d’appel de Douai, a dénié l’existence d’une confusion de patrimoine entre la société débitrice (SAS Métaleurop Nord) et sa société mère (SA Métaleurop). Elle a, en conséquence, refusé l’extension à la deuxième société de la procédure collective de liquidation, ouverte initialement à l’égard de la première société.362 La Cour de cassation a précisé que, dans un groupe de sociétés, les conventions de gestion de trésorerie et de change, les échanges de personnel et les avances de fonds par la société mère, ne caractérisent pas nécessairement l’existence de relations financières anormales. Pour autant, dans la même affaire, la Cour de cassation a admis la qualité de coemployeur de la société mère.

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. Il faut souligner que les salariés d’une société employeur en difficulté n’ont pas qualité pour réclamer eux-mêmes l’extension de la procédure à une autre société du groupe (société mère) auquel est rattachée la leur. L’article L.621-2 alinéa 2 du Code du commerce, issu de l’ordonnance du 18 décembre 2008,363 n’accorde le droit d’agir en extension, sur le fondement du caractère fictif et de la confusion des patrimoines, qu’à l’administrateur judiciaire, au mandataire judiciaire ou au ministère public.

Les salariés, à travers leurs institutions représentatives, ne peuvent agir en extension que d’une manière indirecte, en exprimant aux personnes habilitées à exercer ce droit (le liquidateur, par exemple) leur volonté d’étendre la procédure collective à une autre personne. Ainsi, les salariés doivent manifester au liquidateur judiciaire de leur société employeur en

360 Cass. com., 27 octobre 1998,, n° 96-16429. 361 Cass. com., 6 juin 2000, n° 98-11819.

362 Cass. com., 19 avril 2005, n° 05-10094. Dans cette affaire, la cour d’appel de Douai, par un arrêt rendu le 16

décembre 2004, a autorisé l’extension de la liquidation judiciaire de la société (SAS Métaleurop Nord) à la société mère (SA Métaleurop) en se fondant sur la confusion des patrimoines entre ces deux sociétés. La cour d’appel de Douai a considéré que la société SAS Metaleurop Nord se trouvait dans une situation de dépendance décisionnelle et financière à l’égard de la société mère (SA Metaleurop). Elle a également relevé l’existence, entre ces deux sociétés, de conventions de gestion, de trésorerie et de change, des échanges de personnel, et des avances de fonds consenties par la société mère au profit de sa filiale. Corinne Saint-Alary-Houin, « la liquidation judiciaire de Metaleurop et l’organisation des groupes de sociétés », Bull. Jolly, 2005, p. 692 ; B. Rolland, « Metaleurop : l’extension de procédure entre fictivité et confusion des patrimoines », JCP, E, 19/5/2005, 796 ; P. Morvan, Restructurations en droit social, LexisNexis Litec, 2010, p. 716.

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liquidation (société filiale) leur volonté de demander l’extension de cette liquidation à une autre société du groupe (société mère).

2. Les effets de l’extension de la procédure sur la qualité d’employeur à

l’intérieur d’un groupe de sociétés.

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. La société mère364 – ou plusieurs sociétés composant le groupe – frappée par l’extension et la société filiale débitrice, à l’encontre de laquelle l’ouverture de la procédure collective initiale a été décidée, sont considérées comme constituant un sujet de droit unique, avec toutes les conséquences juridiques qui en résultent.

Au niveau de la procédure, le prononcé de l’extension conduit à ne retenir qu’une seule date pour la cessation de paiements, celle qui est arrêtée à l’égard du débiteur principal en difficulté (société filiale) et qui a fait l’objet de l’ouverture initiale de la procédure collective. Ainsi, la société frappée – ou les sociétés frappées – par l’extension se soumet avec le débiteur principal aux organes de procédure unique : un seul juge commissaire, un seul représentant des créanciers, etc.365

Au niveau du fond, l’extension conduit essentiellement à la reconstitution d’un patrimoine commun artificiellement décomposé366. L’extension permet de rassembler l’actif de la société débitrice (société filiale) et l’actif – ou les actifs – de la société faisant l’objet de l’extension (société mère)367. Du fait de ce rassemblement, une masse commune d’actif est créée au bénéfice des créanciers de la société débitrice pour l’obtention de leurs créances368.

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. Pour les salariés plus précisément, l’extension du périmètre de la procédure collective à une autre société du groupe (société mère) – ou à plusieurs autres sociétés – engendre pour

364 L’extension d’une procédure collective de redressement ou de liquidation à une autre société (société mère

par exemple) peut être décidée sans que la condition de la cessation des paiements de cette société soit établie. C’est-à-dire qu’une extension est opérée contre cette société même s’elle est in bonis. Cette extension permet le dépassement de la condition de la cessation de paiements exigée par les articles L. 631-1 (redressement judiciaire) et L.640-1-1(liquidation judiciaire) du Code du commerce. Cass. com., 15 octobre 1991, n° 90-10930,

Bull. civ., IV, n° 289.

365 L. Jourdan, Les procédures d’extension de redressement et liquidation judiciaires, thèse de doctorat en droit

soutenue le 23 juin 1994, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, p. 323.

366 Corinne Saint-Alary-Houin, op. cit., p.247.

367 L’extension conduit d’un autre côté à la création d’un seul passif. 368 P.-M. Le Corre et E. Le Corre-Broly, op. cit., p. 64.

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ceux-ci des conséquences considérables dont la plus importante est l’accroissement de leurs chances d’obtenir leurs droits impayés en raison des difficultés économiques de leur société employeur (société filiale) : salaires, primes, divers indemnités, etc.

L’extension permet d’élargir le périmètre de la notion d’employeur à une ou plusieurs autres sociétés du groupe. Cette société (société mère) devient effectivement un employeur débiteur à l’égard des salariés de la société débitrice, bien qu’elle n’ait conclu aucun contrat de travail avec ces salariés.

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. Nous considérons cette conception, qui permet d’étendre le périmètre de la procédure collective aux autres sociétés du groupe, comme une solution juridique logique, dans la mesure où elle ouvre sur une adaptation du droit aux réalités économiques. En effet, les difficultés économiques et financières d’une société filiale peuvent être dues à une mauvaise gestion assurée dans les faits par la société mère. À titre d’exemple, les décisions de gestion décidées par la société mère peuvent s’effectuer au détriment des intérêts de la société filiale369.

L’extension du périmètre de la procédure collective permet de considérer la société débitrice (société filiale) et la société in bonis faisant l’objet de l’extension (société mère) comme une seule entreprise, et au niveau social comme un seul employeur.

Pour conclure l’étude de ce point, nous considérons que l’attachement des salariés au groupe de sociétés en tant qu’il constitue une seule entreprise peut contribuer à restructurer les relations individuelles de travail à l’intérieur du groupe, et plus précisément à résoudre les problèmes liés à la reconnaissance de la qualité d’employeur à cette structure économique.

La solution qui consiste à assimiler un groupe de sociétés à une seule entreprise peut constituer un recours par rapport à la notion de co-employeur, dont la mise en œuvre reste difficile. En effet, pour mettre en œuvre ladite notion de co-employeur, la jurisprudence exige que la perte totale, au niveau économique et social, de l’autonomie de l’employeur de droit (société filiale), au profit d’une autre société du groupe (dans la majorité des cas la société mère), soit caractérisée. Sans cette caractérisation, la qualité de co-employeur ne peut être

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attribuée à cette dernière société, et les salariés intéressés ne peuvent faire valoir leurs droits qu’à l’encontre de leur employeur de droit (société filiale).

Dés lors, le recours à la notion d’entreprise peut aider à dépasser cette difficulté en permettant aux salariés intéressés de poursuivre une ou de plusieurs sociétés du groupe, non du fait de sa qualité de co-employeur, mais parce qu’elle forme avec leur employeur de droit une entreprise unique. À cet égard, nous estimons que la construction d’un régime juridique s’inspirant de l’article L.1224-1 du Code du travail reste une solution réalisable pour contenir la difficulté liée à la reconnaissance de la qualité d’employeur au groupe de sociétés.

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