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B. Economie du sport professionnel

6. L’évolution du modèle de financement du sport professionnel en Europe

6.5. Les raisons de la transition du modèle SSSL au modèle MMMMG

Andreff (2000) et Andreff et Staudohar (2000) avancent quelques pistes pour expliquer le passage du modèle de financement SSSL au modèle MMMMG.

Tout d’abord, les auteurs évoquent des facteurs d’environnement économique. Ils observent qu’en Europe, avant les années 1980, les économies étaient davantage régulées et l’Etat faisait preuve d’un interventionnisme significatif dans le domaine du sport. N’échappant pas à cette tendance ; l’économie du sport professionnel était donc moins internationalisée et moins ouverte à la concurrence. L’apparition de l’économie de marché, avec sa globalisation financière, commerciale et productive, a imposé la logique de rentabilité à tous les secteurs professionnels, y compris celui du sport. Considéré comme un service et suite à l’application de la législation européenne (cf. supra), le spectacle sportif (et ses dérivés) a alors fait l’objet d’une activité marchande internationalisée. Andreff (2000) note que « la transformation de

122 certains clubs professionnels en sociétés par action et l’exigence qu’il soient suffisamment rentables pour que les cours des actions ne s’effondrent pas est l’aboutissement du modèle MMMMG qui traduit, dans le sport professionnel, les effets cumulés de la déréglementation (concurrence des chaînes de télévision), de la financiarisation (règle de gestion et gouvernance des clubs définies par les actionnaires) et de la globalisation (internationalisation des compétitions et de tous les marchés du sport) de l’économie » (pp. 188-189).

Les auteurs constatent ensuite que des facteurs d’épuisement du modèle SSSL sont apparus au niveau micro-économique que représentent les clubs professionnels. Ces derniers font en effet face à un besoin croissant de financements à cause de l’augmentation exponentielle du salaire des joueurs étant donné qu’il n’existe pas de mécanismes qui

permettent de réguler/limiter leurs masses salariales193. Aussi, malgré quelques plans

d’assainissement financiers, on constate un déséquilibre permanent entre les recettes et les dépenses des clubs ce qui entraîne donc la nécessité de rechercher de nouveaux financements (Andreff & Nys, 2002).

Andreff (2000) et Andreff et Staudohar (2000), soulignent également que compte-tenu de l’impératif de maximisation du nombre de victoires, la demande d’acquisition des joueurs les plus talentueux est très importante pour augmenter la capacité des clubs à remporter un nombre important de rencontres. Or, ici encore et depuis l’arrêt Bosman (1995), on constate

qu’il n’existe aucun mécanisme de régulation du marché des joueurs194. Aussi, avant l’arrêt

Bosman (1995) la forte demande de recrutement de joueurs talentueux ne pouvait être satisfaite que partiellement sur les marchés internationaux compte-tenu des quotas de joueurs étrangers qui étaient imposés. La demande de recrutement de joueurs talentueux se centrait donc sur le marché national des joueurs professionnels qui était le marché pertinent dans le modèle SSSL compte-tenu de sa dimension « locale ». Or, cet excès de demande non comblé à cause d’une offre moins importante a créé un déséquilibre entraînant une surévaluation de la valeur des meilleurs joueurs de ce marché national et se traduisant notamment par une forte inflation des salaires. Cette inflation salariale, combinée au prix élevé des indemnités de transfert, a fini par être incompatible avec la contrainte budgétaire des clubs professionnels, cette dernière étant déterminée par les sources de financement limitées du modèle SSSL (cf.

supra). Ce point de rupture va entraîner une crise économique qui traversera, à de rares

exceptions près, l’ensemble des sports professionnels collectifs européens (cf. supra). Comme nous l’avons vu précédemment, dans le modèle SSSL la solution pour faire face aux déficits

193 C’est le rôle joué par le « salary cap » en Amérique du nord (cf. supra).

194

123

financiers est d’augmenter le nombre de rencontres195 afin de générer plus de revenus. Or on

atteint là l’épuisement du modèle SSSL. En effet, si les rencontres sont trop fréquentes, la qualité moyenne du spectacle sportif va diminuer entraînant une diminution de l’intérêt des spectateurs et donc une baisse des recettes. Ce cercle vicieux touchera également les sponsors qui ne voudront plus investir dans un spectacle sportif de qualité moyenne. En ce qui

concerne les subventions, troisième pilier du modèle SSSL, leur élasticité est limitée196 et

elles ne peuvent donc pas se substituer aux autres sources de financement du modèle.

L’application de la législation européenne au secteur sportif a entraîné une dérégulation du marché des joueurs professionnels qui a provoquée une crise du modèle SSSL. Pour Andreff et Staudohar (2000) la sortie d’un modèle SSSL arrivé à épuisement nécessite d’une part de suivre un plan d’assainissement financier rigoureux (e.g., interdiction d’acquérir de nouveaux joueurs, rétrogradation automatique des clubs en faillite financière) et d’autre part d’avoir un recours accru à de nouvelles sources de financement, précisément celles du modèle MMMMG. Andreff (2000) montre que c’est ce qui s’est passé avec le football professionnel européen au cours des années 1990 avec un apport d’argent frais en provenance des sources de financement MMMM.

On constate toutefois que peu de disciplines sportives peuvent facilement muter du modèle SSSL vers le modèle MMMMG, ne serait-ce qu’au niveau de la source de financement liée aux droits de retransmission télévisuels. En effet, les médias focalisent leur attention sur quelques disciplines sportives et délaissent la majorité des autres les privant d’une manne financière importante (cf. supra). Partant de là, beaucoup de championnats professionnels de sports collectifs s’appuient encore sur une structure de financement proche du modèle SSSL ou sur une structure de financement « hybride » se situant entre le modèle

SSSL et le modèle MMMMG197.

Si Andreff (2000) prédit que le modèle de financement MMMMG va s’inscrire dans la durée au niveau des championnats professionnels européens, Andreff et Staudohar (2000) pointent certaines de ses dérives. Tout d’abord, c’est un modèle de financement qui favorise la domination des clubs riches. L’absence de mécanisme de régulation du marché des joueurs fait que ces clubs concentrent les joueurs les plus talentueux créant un championnat à deux

195 On peut par exemple créer une nouvelle compétition comme une Coupe ou alors augmenter le nombre d’équipes évoluant dans le championnat professionnel.

196 Elles ne sont pas non plus systématiques.

197 C’est le cas par exemple des clubs professionnels qui, bien qu’étant basés sur un modèle SSSL avec un apport financier important de la part des spectateurs et des sponsors, ont cherché à diversifier leurs sources de revenus en faisant appel au merchandising et en confiant la gestion financière du club à des managers.

124 vitesses198 ce qui est néfaste en terme d’équilibre compétitif (cf. infra et supra). Ensuite, ce modèle donne une importance prépondérante aux financements issus des droits télévisuels et placent les diffuseurs dans une position où ils disposent d’un contrôle significatif sur les compétitions sportives. Ils peuvent imposer des modifications, qui touchent parfois à la logique interne même de l’activité, pour rendre une discipline plus « télévisuelle » et/ou plus « vendable » en jouant par exemple sur les durées de jeu (e.g., apparition des tie-breaks au tennis ; apparition des « temps-morts TV » au basket-ball). Conscientes de cette nouvelle donne, certaines disciplines sportives, pas ou peu médiatisées, ont changé leurs règles pour devenir plus spectaculaire et/ou plus adaptée à une retransmission télévisuelle. Enfin, certains auteurs (e.g., Watrin, 1998 ; Andreff & Staudohar, 2000) pensent que le modèle MMMMG, notamment en ce qui concerne le football professionnel européen, a amplifié les phénomènes

de corruption199 et de dopage200 (cf. infra).