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A. Du Canada vers la France : sociogenèse, diffusion, professionnalisation et

1. Genèse du hockey sur glace

1.6. Quelques éléments de réflexion supplémentaires

Dans le cadre de ce travail doctoral et dans le but d’apporter une contribution à ce débat, on a mené des recherches archivistiques dans les différents supports écrits (e.g. livres, périodiques, revues scientifiques) ayant été produits au Canada (notamment au Québec) et en Angleterre au cours du dix-neuvième siècle. On constate effectivement que les précédentes recherches n’ont mis à jour que peu de témoignages écrits concernant ce sport au cours de cette période. Les résultats de ces investigations se sont révélés fructueux et permettent d’enrichir significativement les discussions sur la sociogenèse du hockey sur glace.

44 National Post, 19 septembre 2006.

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55 Jusqu’à présent, et exception faite des articles parus dans The Gazette, le manuel d’Arthur Farrell (1899) était considéré comme la première contribution significative concernant le hockey sur glace. Dans ce précieux témoignage, l’auteur aborde tour à tour les origines et le développement du hockey, les principes du jeu, la préparation physique des joueurs, les qualités à déployer, les dangers liés à la pratique, les spécificités des différents postes, les fondamentaux collectifs et individuels, l’arbitrage et les différentes règles à respecter. Malheureusement, le chapitre traitant des origines de cette pratique n’apporte pas d’éclairage à propos de son lieu de naissance : l’auteur se limite à faire une recension des anciens jeux traditionnels desquels pourrait dériver le hockey sur glace.

Les recherches menées ont permis de mettre à jour plusieurs témoignages antérieurs à l’ouvrage de Farrell (1899).

Tout d’abord, Oxley (1895) consacre huit pages de son ouvrage à présenter les principes et les règles essentielles du hockey sur glace. Pour lui, cette pratique « partant de Montréal s’est développée à Halifax et St John à l’est, et à Ottawa et Toronto à l’ouest » (p. 341). Dans un roman de Machar (1893), l’héroïne se fait expliquer ce qu’est le golf par un ami. Ce dernier fait un parallèle avec le « hockey » qu’il appelle aussi « shinty ». On trouve également une étude de Davis (1886) où ce dernier compare des jeux indiens avec le hockey. Dans un article sur les personnes voyageant dans l’Arctique, Markham (1875) rapporte que pendant l’hiver « les garçons jouent au hockey » (p.182). On notera que cette publication est contemporaine de l’article de The Gazette décrivant la partie de hockey s’étant jouée à la patinoire Victoria de Montréal.

Ensuite, Robertson (1897), dans un article comparant la pratique féminine du hockey sur gazon et du hockey sur glace, mentionne la présence d’équipes féminines dans la ville de Toronto ainsi que dans plusieurs villes de l’Ontario.

Enfin, la découverte la plus intéressante est sans conteste l’article écrit par Lawrence

(1857) dans la revue médicale scientifique The Medical Chronicle. Sir William Lawrence46

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William Lawrence est né le 16 juillet 1783 à Cirencester (Royaume-Uni). Après des études à Elmore il devient assistant du Dr. John Abernethy à l’hôpital londonien St. Bartholomew en 1801. Il obtient une rapide

reconnaissance auprès de ses pairs en remportant, en 1806, le Prix Jacksonian pour un essai traitant de la meilleure façon de soigner les hernies. Douze ans plus tard, le 13 mars 1813, il devient assistant chirurgien dans cette même institution. En 1824, il obtient un poste de chirurgien titulaire à St Bartholomew. Au bout de cinq ans, il succède à Abernethy en tant que maître de conférences en chirurgie. Il devient alors un personnage très influent du monde médical britannique. Il fut notamment l’un des pères fondateurs de l’ophtalmologie au Royaume-Uni et publie en 1833 un traité reconnu sur les maladies de l’œil. Fort de sa solide réputation, il devient le chirurgien officiel de la Reine en 1858 avant d’être anobli baronnet le 30 avril 1867. Il meurt le 5

56 fut un chirurgien réputé et influent travaillant au renommé Hôpital St. Bartholomew de Londres (Moore, 1918).

Dans cet article, Lawrence rapporte l’histoire d’un « curieux cas ». Au cours de l’hiver 1850 on lui amène un patient qui dit s’être blessé en jouant sur la glace à un jeu appelé « hockey », jeu dont le docteur – de son propre aveu – ne connaît pas la nature exacte mais où il s’agit de « taper fort dans une balle ou de taper fort dans une balle dure », cette dernière ayant frappé le « pauvre jeune homme » au tibia. Ce garçon raconte à Lawrence que « sur le coup il n’a rien senti et que ça ne l’a pas empêché de continuer à jouer ». Cependant au cours de la partie, il « reçoit malheureusement un second coup, mais avec le bâton de « hockey »

cette fois, exactement au même endroit »47.

Ce témoignage est intéressant à double titre. D’une part car il rapporte l’existence d’un jeu se pratiquant sur glace avec une « balle » et un « bâton » appelé « hockey » dès 1850, soit vingt-cinq ans avant l’article publié dans The Gazette. D’autre part parce que ce jeu à lieu au Royaume-Uni – et non au Canada – le patient étant originaire de Brighton (Lawrence, 1857, p. 465). Faut-il voir ici un des jeux traditionnels britanniques de balles et bâtons (i.e. shinny, hurley, ricket), se jouant sur glace, rapportés par Gruneau & Whitson (1993, p. 31-33) ? Il est vrai que le récit de Lawrence (1857) ne mentionne pas précisément comment se déroule le jeu, notamment s’il se pratique avec des patins. Cependant, il convient de relever l’utilisation spécifique du terme « hockey » pour un jeu se pratiquant sur la glace aux alentours de 1850 en Angleterre.

Comme on vient de le voir plus haut, la controverse sur la date et le lieu de naissance du hockey sur glace est compliquée à trancher. La difficulté vient surtout des problèmes liés à la définition de cette pratique qui se transforment en véritables enjeux de lutte. Le hockey sur glace ayant une place importante dans le projet identitaire des Canadiens (Gruneau & Whitson, 1993 ; Nixon, 1976 ; Robidoux, 2002), notamment au Québec (Augustin & Poirier, 2000 ; Bélanger, 1996 ; Poirier, 2007), pouvoir se prévaloir de la genèse de ce sport représente un fort potentiel symbolique. Les quelques recherches archivistiques effectuées dans le cadre de ce travail doctoral permettent d’enrichir modestement ce débat passionné en

juillet de la même année après avoir été subitement frappé de paralysie et avoir perdu l’usage du langage. Le lecteur intéressé par Sir William Lawrence pourra se reporter à l’ouvrage de Moore (1918) ainsi qu’aux articles de Mudford (1968) et de Wells (1971).

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57 mettant à jour de nouveaux documents, notamment le témoignage de Lawrence (1857) qui peut éventuellement ouvrir de nouvelles perspectives d’investigations.