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B. L’analyse des organisations

1. La sociologie des organisations

1.1. L’acteur

Pour Crozier et Friedberg (1977), la compréhension des phénomènes sociaux s’opère nécessairement par la compréhension du comportement des individus. L’analyse organisationnelle ne peut donc faire l’économie d’une réflexion sur les acteurs qui génèrent cette action.

La sociologie des organisations (Crozier & Friedberg, 1977 ; Friedberg, 1993), combinant une analyse systémique, une analyse stratégique et une prise en compte de l’environnement, part du principe que les individus appartenant à une organisation sont des acteurs dotés d’une capacité d’action. Ainsi, au travers de ses comportements, l’acteur est actif et sa conduite est l’expression d’une liberté, aussi faible soit-elle. Crozier et Friedberg (1977) notent que la conduite humaine « traduit un choix à travers lequel l’acteur se saisit des opportunités qui s’offrent à lui dans le cadre des contraintes qui sont les siennes. Elle n’est

157 donc jamais entièrement prévisible » (p. 45). Dans cette perspective, même la passivité est considérée comme une forme d’action. Cette capacité d’action, dont est doté un acteur appartenant à une organisation, repose sur quatre postulats principaux.

- Tout d’abord, il faut considérer l’organisation, que ce soit une fédération ou un club

professionnel, comme un construit humain contingent, de par les multiples formes qu’elle peut prendre. Dans ce cadre, bien qu’elle puisse en subir les contraintes et les influences, l’organisation ne dépend pas exclusivement de son environnement. Elle doit être vue comme le résultat de l’action des acteurs.

- En second lieu, chaque organisation possède des objectifs qui lui sont propres.

Cependant, les objectifs personnels des acteurs qui en font partie ne sont pas forcement identiques à ceux poursuivis par l’organisation. Le besoin qu’ont les acteurs d’obtenir la coopération des autres acteurs de la structure pour atteindre leurs buts personnels, limite toutefois l’écart entre leurs objectifs propres et ceux de l’organisation.

- Ensuite, les acteurs de la structure doivent être considérés comme étant relativement

« libres ». Ils ne sont jamais enfermés dans un rôle spécifique et ne sont pas le produit d’un quelconque déterminisme. Aucune des règles formelles de l’organisation ne peut annihiler totalement leur capacité d’action. Ce postulat fait que la sociologie des organisations se démarque radicalement des perspectives plus déterministes.

- Enfin, pour chercher à atteindre ses objectifs personnels, l’acteur va utiliser tous les

éléments qui sont à sa disposition, que ce soit sur le plan systémique, sur le plan stratégique ou en lien avec l’environnement. Toutefois, même si l’acteur est calculateur et stratégique, il ne possède qu’une rationalité limitée étant donné qu’il ne dispose jamais de l’ensemble des informations et qu’il a donc de grandes difficultés à évaluer les conséquences de ses choix sur le moyen/long terme. Ce dernier point – essentiel – mérite d’être développé un peu plus.

1.1.1. La rationalité limitée des acteurs.

Les travaux de Simon (1955, 1956, 1957) et de March et Simon (1958) montrent que l’analyse du comportement des acteurs ne peut se faire sur la base des différences relevées par rapport à un modèle rationnel car personne n’est capable de suivre un modèle d’une rationalité absolue. En effet, un tel modèle – utopique – supposerait que :

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- L’acteur dispose de toutes les informations dont il a besoin pour prendre une décision,

mais également d’une capacité cognitive illimitée pour traiter l’intégralité de celles-ci.

- L’acteur ait une idée précise de ses préférences qui seraient alors considérées comme

établies une fois pour toute, stables, cohérentes et surtout hiérarchisées.

- L’acteur soit capable d’avoir un raisonnement synoptique lui permettant d’examiner,

de manières simultanées et comparatives, toutes les solutions possibles qui s’offrent à lui, de façon à en prévoir les futures conséquences et ainsi optimiser son choix de la meilleure solution en fonction de ses préférences personnelles.

Des études (e.g., Cohen & March, 1974 ; March, 1978 ; Elster, 1986), auxquelles il convient également d’ajouter les travaux cités précédemment, ont montré qu’un tel modèle n’existait pas étant donné que les choix des acteurs se font toujours sous contrainte et que la rationalité humaine est limitée par trois contraintes essentielles :

- L’information dont dispose un acteur est toujours incomplète. Aussi, ce dernier ne

peut examiner qu’un nombre réduit d’options avant de prendre ses décisions.

- Aucun acteur n’est capable d’optimiser ses solutions. En effet, compte-tenu du point

évoqué précédemment, la solution retenue est seulement la meilleure parmi celles qui ont été examinées et non la meilleure dans l’absolu. Partant de là, l’acteur optera pour la première solution qui lui semblera satisfaisant en répondant à ses critères de rationalité.

- Les préférences d’un acteur ne sont jamais claires, cohérentes et univoques mais ont

plutôt tendance à être multiples, floues et ambiguës. Elles peuvent être postérieures aux décisions et ne sont pas stables mais adaptatives.

Ceci étant posé, on constate que le comportement des acteurs au sein d’une organisation est nécessairement contingent : sa rationalité et sa « liberté » vont être fonction des conditions matérielles, structurelles et humaines du contexte dans lequel il s’insère. Il est donc nécessaire lors de l’analyse de faire le lien entre les conduites de l’acteur et le contexte

dans lequel il évolue239.

239 En effet, la reconnaissance de la rationalité limitée de l’acteur interdit d’opposer, dans une organisation, l’irrationalité des exécutants à la rationalité du sommet car, pris dans le contexte de l’organisation, tous les comportements deviennent rationnels, notamment à cause du fonctionnement informel de celle-ci (cf. infra).

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1.1.2. La stratégie

Crozier et Friedberg (1977) définissent la stratégie comme le « fondement inféré ex post des régularités de comportement observées empiriquement » (p. 57). Cette définition permet de voir tout l’intérêt de ce concept : on peut l’appliquer à la fois aux comportements « rationnels » comme à ceux qui sembleraient plus « irrationnels ». Partant de là, le comportement des acteurs doit être vu comme la matérialisation d’une stratégie rationnelle ayant pour objectif d’accroître ses gains grâce à sa participation à l’organisation. La stratégie doit se concevoir sous deux aspects, à la fois complémentaires et contradictoires, qui varient dans le temps et l’espace en fonction de la situation dans laquelle se trouve un acteur (Crozier & Friedberg, 1977) :

- Un aspect offensif quand l’acteur profitent des opportunités qui lui permettent

d’améliorer sa situation dans l’organisation.

- Un aspect défensif quand l’acteur tente de se prémunir des contraintes que les autres

acteurs tentent de lui imposer.

Aussi, les attitudes des acteurs renvoient « aux stratégies qu’ils ont adoptées ou vont adopter. Elles peuvent donc être utilisées comme des révélateurs de ces stratégies » (p. 470).