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B. Economie du sport professionnel

2. Les ligues professionnelles de sports collectifs : entre solidarité et concurrence

2.1. Ligues fermées et ligues ouvertes : deux organisations différentes pour les sports

2.1.2. Les ligues ouvertes

Les ligues européennes de sports collectifs professionnels sont majoritairement des ligues ouvertes. L’organisation de ces ligues fait une place plus importante à la concurrence. Ce phénomène s’est d’ailleurs amplifié suite à l’arrêt Bosman (1995) (cf. infra) qui a entraîné une dérégulation du marché des footballeurs professionnels qui s’est ensuite propagée aux autres sports collectifs. Si comme nous l’avons vu, les ligues fermées cherchent à maintenir un certain équilibre compétitif, dans les ligues ouvertes, un déséquilibre compétitif est entretenu par un déséquilibre financier important entre les clubs (Andreff, 2007, 2009). Les principales caractéristiques d’une ligue ouverte sont les suivantes :

- Une structure de gouvernance intègre dans une hiérarchie mondiale le championnat

professionnel de chaque pays où il est soumis à une fédération nationale. Pour les compétitions internationales, c’est la fédération qui sélectionnera les joueurs de

l’équipe nationale en utilisant les joueurs de son championnat professionnel106. Les

fédérations internationales ne reconnaissent qu’une seule fédération nationale par pays pour leurs compétitions. Les fédérations nationales ont donc une position de quasi-monopole sur la pratique professionnelle de leur discipline.

105 En se basant sur les travaux de Rottenberg (1956), Andreff (2009) explique de manière claire en quoi consiste le « principe d’invariance » en économie : « Rottenberg a soutenu que la clause de réserve ne modifie pas l’équilibre compétitif comparé à ce qu’il serait si le marché du travail était concurrentiel et les joueurs avaient la liberté de contracter. Il a contesté que, sur un marché du travail concurrentiel, les clubs riches en surenchérissant sur les clubs pauvres accapareraient les meilleurs joueurs de la ligue. Si un joueur peut être vendu à un autre club à un prix supérieur à ce qu’il rapporte à son club actuel, ce dernier acceptera de le vendre à ce prix, malgré la clause de réserve. Il s’ensuite que les joueurs se répartiront entre les clubs de façon à ce que chaque joueur opère dans le club qui en tire le plus fort rendement, résultat identique à celui auquel on parviendrait sur un marché libre du travail. La répartition du talent sportif est invariante par rapport à qui est titulaire des revenus créés par les joueurs. La seule différence est que, avec la clause de réserve, une partie du prix des services du joueur est payée au club qui vend son contrat, alors qu’en marché libre le joueur l’obtient en totalité. L’équilibre compétitif n’est pas affecté par la répartition initiale des droits de propriété sur les services des joueurs quand les clubs maximisent le profit : c’est le principe d’invariance. » (pp. 598-599).

106 Ou des championnats professionnels étrangers compte-tenu de la mobilité actuelle des joueurs. Si cela est particulièrement vrai pour les sports comme le football ou le basket-ball français, on notera toutefois que les internationaux français de hockey sur glace ne s’exportent que rarement à l’étranger.

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- Les ligues ouvertes fonctionnent selon un système de promotion/relégation. Ainsi, à

l’issue de chaque saison, des nouveaux clubs du niveau inférieur rejoignent le plus haut-niveau en lieu et place des équipes les moins bien classées. Ainsi, contrairement aux ligues fermées, la mobilité des équipes n’est pas géographique, mais verticale le long de la hiérarchie pyramidale mise en place par les fédérations et elle est liée aux performances sportives de chaque club. L’accès au championnat professionnel ne se fait donc pas sur la base de franchise. N’importe quel club partant de la plus basse division peut gravir les échelons lui permettant d’arriver dans le championnat professionnel. La plupart du temps, les clubs entrant dans les championnats professionnels doivent toutefois présenter des garantis financières pour pouvoir prendre part à la compétition. Ce système de promotion/relégation stabilise le nombre

d’équipe d’une saison sur l’autre107, cependant l’identité des promus et des relégués

change chaque année.

- Le fonctionnement des ligues ouvertes avec leur système de promotion/relégation

réalise un rééquilibrage automatique des forces en présences en reléguant les clubs les plus faibles pour les remplacer par les clubs les plus forts de la division inférieure. Pour Andreff (2009), c’est un système qui fonctionne comme un « mécanisme incitatif ». En effet, les clubs doivent déployer des efforts importants pour éviter d’être relégués en division inférieure ou pour être récompensés par un titre, une accession au niveau supérieur ou une qualification pour un championnat européen. Aussi, l’auteur

relève qu’il y a beaucoup plus de matchs « à gros enjeu »108 dans les ligues ouvertes

que dans les ligues fermées. Cela est vrai dans le sens où une promotion, une accession aux championnats européens ou une relégation ont un impact important sur les revenus financiers que peut espérer un club.

- Dans les ligues ouvertes, il n’existe pas d’exclusivité territoriale ou de monopoles

locaux. En effet, comme nous l’avons noté précédemment, dans de nombreuses capitales européennes, et notamment en ce qui concerne le football, plusieurs clubs d’une même ligue professionnelle peuvent cohabiter sur une même aire géographique. En Europe, la France est une des rares exceptions à cette règle (Ravenel, 1998).

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Hormis quand les instances de la ligue professionnelle ou de la fédération décident d’augmenter ou de réduire le nombre d’équipe du championnat professionnel.

108 On notera toutefois qu’en fin de saison dans les ligues ouvertes, les matchs des équipes qui forment le « ventre mou » du championnat (i.e., qui ne jouent pas le titre et/ou une accession au niveau européen et qui ont déjà assuré mathématiquement leur maintien) n’ont plus qu’un faible enjeu.

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- Si la mobilité des joueurs était fortement contrainte auparavant109, l’arrêt Bosman

(1995) a supprimé toute restriction au libre choix des joueurs sur le marché du travail (cf. infra). Cet arrêt a également rend caduques les quotas de joueurs nationaux que devait respecter chaque club pour pouvoir prendre part au championnat professionnel. Contrairement aux ligues fermées, il n’y a pas donc de « draft » pour l’entrée des nouveaux joueurs. On note également que les échanges de joueurs sont rares, la majorité des transferts se faisant contre de l’argent.

- Suite à l’arrêt Bosman, les ligues ouvertes ont subi une dérégulation du marché du

travail qui a entraîné une forte mobilité des joueurs au sein d’une même ligue et entre les ligues. Le corollaire à cette dérégulation fut une importante inflation du salaire des joueurs et des montants de transferts. Contrairement aux ligues fermées nord-américaines et à leur exemption anti-trust, les ligues ouvertes européennes ont peu de succès dans leur tentatives d’échapper à la politique de concurrence prônée par l’Union Européenne (Andreff, 2009).

- Contrairement aux ligues nord-américaines, les processus de négociations collectives

sont beaucoup moins développés, notamment à cause du taux de syndicalisation des joueurs qui reste faible (Bourg & Gouguet, 2005). Si des salaires minimums sont garantis, dans la majeure partie des cas, on ne relève cependant pas de plafonnement salarial (Andreff, 2009).

- A l’inverse des ligues fermées, il n’y a pas d’interdiction concernant l’introduction des

clubs en bourse110. Les clubs indépendants sur le plan financier et responsables de

l’exécution de leur budget. Cette indépendance financière nécessite toutefois d’adopter des formes juridiques particulières qui seront développées infra.

- Hormis quelques sports phares, comme le football ou le rugby en France, peu de

championnats professionnels bénéficient d’une couverture télévisuelle significative et

régulière sur les chaînes publiques111. Quand c’est le cas, on constate généralement

que les droits de retransmission sont vendus collectivement avec une redistribution entre les clubs (Andreff, 2007). N’ayant pas les avantages des ligues américaines concernant l’exemption anti-trust, de nombreuses ligues professionnelles ont été

109 Ainsi, en ce qui concerne le football français, on constate l’existence d’un contrat à vie jusqu’en 1968, puis d’un système de réservation avec transfert des joueurs en fin de contrat (Faure & Suaud, 1999).

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La France est le dernier pays européen à avoir levé l’interdiction de cotation des clubs en bourse (Aglietta, Andreff & Drut, 2008). Cependant, au moment où nous écrivons ces lignes, seul le club de l’Olympique Lyonnais a franchi le pas en entrant en bourse via la holding OL Groupe.

111 Ces pratiques sportives peu médiatiques doivent même souvent participer aux frais de retransmission pour espérer avoir quelques matchs télévisés, à l’instar du hockey sur glace.

84 attaquées par des clubs qui voulaient obtenir la propriété individuelle de leurs droits télévisuels (Szymanski, 2001 ; Andreff, 2009). A l’heure où nous écrivons ces lignes, c’est notamment le cas pour les championnats professionnels de football espagnol, grec et portugais. Dans les autres ligues, on ne constate pas de distribution égale des droits télévisuels négociés collectivement : la répartition est pondérée en fonction des performances sportives et de la notoriété de chaque club (Andreff & Bourg, 2006). Enfin, on ne trouve généralement pas de partage des revenus liés aux entrées payantes ni de redistribution collective de ceux générés par le merchandising.

Contrairement aux ligues fermées dont l’objectif est la maximisation des profits, les clubs évoluant dans les ligues ouvertes et visant une montée (ou cherchant à éviter une relégation) ont un objectif de maximisation des victoires sportives sous contrainte d’équilibre budgétaire (e.g., Noll, 2002 ; Noll, 2004 ; Andreff, 2007). Ainsi, l’incitation à investir en talents sportifs est beaucoup plus forte que dans les ligues fermées et elle serait même infinie si la contrainte budgétaire n’existait pas (Andreff, 2009). Cela se traduit notamment par un surinvestissement en termes de joueurs : il y a un nombre plus important de remplaçants dans les clubs des ligues ouvertes que dans les clubs des ligues fermées qui sont, comme nous l’avons mentionné précédemment, soumis à des quotas quantitatifs.

Le système promotion/relégation additionné à l’impératif de maximisation des victoires contraint les clubs des ligues ouvertes à ce que Sanderson (2002) appelle une « course à l’armement ». Chaque club tente de recruter les meilleurs joueurs pour dominer ses adversaires qui eux-mêmes sont forcés de surenchérir. Chacun cherchant à maximiser les victoires, la demande en talent sportif de chaque club est excessive et les entraîne dans une spirale inflationniste, que ce soit au niveau du salaire des joueurs ou des indemnités de transfert. Or Rosen (1986) montre que les investissements en recrutements supplémentaires sont inefficaces quand un club tente par tous les moyens permis de prendre un ascendant significatif sur ses adversaires car cela les oblige à adopter le même comportement pour rester concurrentiels. Le principal problème de cette spirale inflationniste, c’est qu’il n’y aura que quelques clubs qui bénéficieront vraiment de cette stratégie : ceux accédant au niveau

supérieur et ceux se qualifiant pour les compétitions européennes112. Or tous les autres clubs

seront touchés par cette hausse généralisée des coûts, d’autant qu’elle n’est pas freinée par la

112 En ce qui concerne le football notamment, la participation aux compétitions européennes est très lucrative, que ce soit au niveau des droits télévisuels, mais aussi, dans une moindre mesure, au niveau des entrées payantes et du merchandising.

85 maximisation du profit (comme c’est le cas dans les ligues fermées), ce qui risque fortement de se traduire par des déficits financiers importants et, en dernier ressort, par des dépôts de

bilan en chaîne113.

2.2. Ligues fermées nord-américaines et ligues ouvertes européennes : sont-elles si