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B. Economie du sport professionnel

2. Les ligues professionnelles de sports collectifs : entre solidarité et concurrence

2.1. Ligues fermées et ligues ouvertes : deux organisations différentes pour les sports

2.1.1. Les ligues fermées

C’est la forme adoptée par les quatre ligues majeures92 nord-américaines de sports collectifs.

Bien que plus rares, et contrairement à une idée reçue qui opposent de manière binaire le modèle nord-américain des ligues fermées et le modèle européen des ligues ouvertes, certains

89 Certains sports n’ont pas de ligue professionnelle. Le secteur du haut-niveau est donc géré directement par la fédération. En ayant cette précision à l’esprit, et par commodité pour le lecteur en évitant ainsi de nombreuses redondances, nous nous limiterons à écrire « ligue professionnelle » qui devra être entendu comme « ligue professionnelle et/ou fédération ».

90 Le concept d’équilibre compétitif sera discuté plus loin dans le manuscrit.

91

Comme nous l’avons déjà mentionné, il peut s’agir d’un championnat organisé par une fédération et non par une ligue professionnelle. Cette différence ne changera cependant en rien les observations qui vont être faites dans cette partie concernant le fonctionnement des ligues/championnats ouvert(e)s.

92 La Major League Baseball (MLB), la National Football League (NFL), la National Basketball Association (NBA) et la National Hockey League (NHL).

78 sports collectifs européens sont organisés en ligues fermées, à l’instar du basket-ball professionnel masculin lituanien (Cingiène, 2000). Les ligues fermées sont généralement administrées par un commissaire (commissioner) qui représente les propriétaires de clubs. Les principales caractéristiques d’une ligue fermée sont les suivantes :

- C’est une organisation indépendante qui rassemble des clubs membres. On dit qu’elle

est fermée à cause de la franchise qui est le droit d’entrée93 que chaque propriétaire de

club doit payer pour intégrer la ligue. Tout nouveau candidat doit convaincre au moins 75 % des membres que son entrée augmentera les revenus de la ligue. L’admission dans une ligue repose donc sur des critères économiques et non sportifs. Contrairement aux ligues ouvertes, il n’y a pas de sortie par relégation dans une ligue inférieure à l’issue de la saison. Le nombre important de clubs dans chaque ligue génère un nombre important de matchs sans enjeux et impose la mise en place de phase finale (i.e., les playoffs) pour maintenir une incertitude sur l’équipe qui remportera la saison.

- Le nombre et l’identité (i.e., le nom et l’ensemble du merchandising qui lui est

associé) des franchises sont fixes d’une saison sur l’autre. La mise en vente d’une « franchise d’expansion » est le seul moyen d’entrée sur ce marché, sous réserve de la cooptation par les autres membres évoquée dans le point précédent.

- Chaque club à l’exclusivité absolue d’une zone urbaine où il est le seul à pouvoir

organiser des matchs de la ligue. Contrairement aux ligues ouvertes, il a donc le

monopole de son spectacle sportif sur le marché local94. Si ce marché local ne génère

pas suffisamment de revenus, le club peut se délocaliser95 dans une autre ville qui sera

plus rentable, sous réserve de l’accord de la ligue. Dans une ligue fermée, la mobilitée des clubs est donc géographique et vise à maximiser les profits par la recherche de zones de chalandises plus importantes et plus lucratives.

- La ligue s’assure un pouvoir de monopsone sur le marché du travail sportif en

imposant des restrictions au recrutement et à la mobilité des joueurs. Ainsi, les nouveaux joueurs, qu’ils proviennent des structures universitaires nord-américaines ou de l’étranger, sont obligés de passer par la « draft » pour intégrer la ligue (cf. point

93 Andreff (2009) rapporte que le montant de la franchise était, en 2004, de 158 millions de dollars en NHL, de 326 millions de dollars en NBA, de 376 millions de dollars en MLB et de 897 millions de dollars en NFL.

94 Dans de nombreuses capitales européennes, et notamment en ce qui concerne le football, plusieurs clubs d’une même ligue professionnelle cohabitent. Dans ce domaine, la France fait figure d’exception.

95 Andreff (2009) comptabilise 48 délocalisations pour les quatre ligues majeures nord-américaines de leur création à 2005 : 7 en NFL, 9 en NHL, 12 en MLB et 20 en NBA.

79 suivant). Les nouveaux entrants ne peuvent donc pas choisir le club dans lequel ils évolueront au sein de la ligue.

- Les clubs ont un droit à l’embauche qui est limité et régulé par la « draft »96. Chaque

nouvel entrant doit s’inscrire à la « draft » qui a lieu à l’issue de chaque saison. Puis, le club classé en dernier à la fin de la saison choisit en premier un joueur de la liste, puis c’est au tour de l’avant dernier et ainsi de suite. Le vainqueur de la saison choisit donc en dernier. Il y a ensuite un nouveau tour de « draft » jusqu’à épuisement de la liste. Ce mode de fonctionnement peut induire des stratégies de la part des clubs qui ne sont plus en course pour les phases finales et qui vont perdre volontairement des matchs de manière à être moins bien classé et donc vont améliorer leur place pour le choix des meilleurs joueurs pour la saison suivante (Kahane, 2006). Les tours de « draft » sont également une monnaie d’échange qui est utilisée par les propriétaires de clubs lors des transferts de joueurs97. En plus de la « draft » qui sert à réguler qualitativement le recrutement des joueurs, les clubs sont également limités quantitativement au niveau de leur composition d’équipe où le nombre de joueurs est

plafonné. Ces mécanismes servent à conserver l’équilibre compétitif de la ligue98.

- La limitation, voire l’interdiction pour la NFL et la MLB, des transactions

d’achat-vente des joueurs en argent participent également à la faible mobilité de ces derniers. Comme nous l’avons vu précédemment, les transferts sont principalement des échanges de joueurs, parfois accompagnés de tours de « draft ». Dans ce cadre, Szymanski (2004) observe que la concurrence pour un même joueur est quasiment nulle.

- Une négociation collective entre les propriétaires de clubs et les syndicats de joueurs

permet de fixer les conditions de travail et de salaires des joueurs. Ainsi, un salaire minimal est garanti à chaque joueur (Késenne, 2000c). Certaines ligues ont également négocié un plafonnement de la masse salariale de chaque club. Ce plafonnement permet de se prémunir de l’inflation du salaire des joueurs et donc d’éviter qu’un club riche concentre tous les meilleurs joueurs, ce qui pourrait être néfaste à l’équilibre

96 La « draft » fut instituée en 1936 en NFL, en 1963 en NHL, en 1965 en MLB et en 1984 en NBA.

97 Ainsi, un club bien classé peut échanger avec un club mal classé un joueur de très bonne qualité contre un joueur d’une moins bonne qualité assorti d’un tour de draft. Ainsi, au moment de la draft, le club bien classé pourra quand même être dans les premiers à effectuer son choix et donc sélectionnera un joueur de meilleure qualité. Les tours de draft peuvent donc servir à équilibrer les échanges de joueurs.

98 Dans un pays ultra libéral comme les Etats-Unis, ce mode d’embauche peut sembler étonnant pour ne pas dire illégal. Nous reviendrons sur ce point un peu plus loin dans le manuscrit.

80

compétitif de la ligue99. Andreff (2009) observe toutefois que cela est également un

moyen pour les ligues de préserver leur rente de monopsone depuis l’abandon de la

« clause de réserve »100.

- Au niveau national101, les droits de retransmissions télévisuels sont vendus

collectivement puis redistribués aux clubs. C’est grâce au Sports Broadcasting Act (1961) que les ligues professionnelles bénéficient d’une exemption de la loi anti-trust et possèdent donc un monopole sur ce produit. La redistribution des revenus concerne également les droits d’entrée102 (entre les locaux et les visiteurs) et le merchandising (redistribution collective par la ligue). Les ligues justifient ces collusions économiques par l’obligation de maintenir un équilibre compétitif nécessaire à leur viabilité.

- La majorité des clubs ne sont pas côtés en bourse103. Cela permet d’éviter l’entrée

indésirable d’un nouveau venu via les différents mécanismes boursiers.

Comme nous venons de le voir, une ligue est donc un cartel de clubs qui maximise son profit joint et qui le repartit entre ses clubs. Ce fonctionnement est une exception légale à la loi anti-trust en vigueur au Etats-Unis. Ainsi, une majorité d’économistes s’accorde à dire que l’objectif des clubs est la maximisation du profit étant donné qu’aucune équipe ne risque la relégation (Fort, 2003a). Aussi, quand un club n’est plus dans la course au titre, cet objectif financier l’emporte sur l’objectif sportif. En fait, la seule menace concurrentielle que peut subir une ligue fermée serait la création d’une ligue majeure rivale dans la même discipline. Ce scénario s’est déjà produit par le passé : soit les ligues rivales ont disparu ; soit elles ont fusionné avec la ligue déjà en place (Andreff, 2007).

De nombreux économistes américains déplorent le fait que les ligues professionnelles

soient exemptées de la loi anti-trust104 : ils contestent leur efficacité économique et ne voient

dans leurs règles constitutives qu’une manière de capturer des rentes et de protéger la valeur

99 Nous reviendrons plus loin sur ce point.

100

Par le passé, à l’instar de ce qui se passait dans le football européen, une « clause de réserve » interdisait au joueur de changer de club sans l’accord du propriétaire du club où il avait signé son premier contrat de travail. Cette clause fut attaquée au titre de la loi anti-trust en 1922 mais la Cour Suprême rejeta cet argument au motif que le sport est une exhibition et non un commerce (Andreff, 2007). Après plusieurs conflits entre les

propriétaires et les joueurs, cette clause fut abandonnée au cours des années 1970.

101 Au niveau local, les droits de retransmissions télévisuels ne sont pas redistribués.

102 Le pourcentage de partage diffère en fonction des ligues.

103 Seule la NFL l’interdit formellement à ses franchises (Andreff, 2009).

104

Cela ne semble apparemment pas toujours avoir été le cas. Ainsi, quelques années auparavant, Andreff (2007) notait que « la majorité des économistes américains sont partisans du maintien des ligues fermées. » (p. 6), tout en précisant que « cependant, l’un des plus influent d’entre eux (Noll, 2002), après avoir étudié les résultats obtenus par le système de promotion-relégation dans le football anglais, suggère qu’il gagnerait à être implanté en Amérique du Nord. » (p. 6).

81 des franchises (Andreff, 2009). Pour eux, le maintien de l’équilibre compétitif, qui est à l’origine de cette exception, ne serait qu’un argument des propriétaires pour abaisser les

salaires compte-tenu du « principe d’invariance »105 (e.g., Fort & Quirk, 1995 ; Vrooman,

1995 ; Surdam, 2006).