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B. Economie du sport professionnel

4. Les effets de la construction européenne sur le sport professionnel

4.4. L’arrêt Bosman (1995)

En 1990, à la fin de son contrat de joueur professionnel avec l’équipe belge du Royal Football Club de Liège qui évoluait alors en première division, Jean-Marie Bosman se voit proposer par ce club une reconduction pour un an, mais au salaire minimum prévu par la réglementation fédérale. Alors que le joueur touchait 120 000 francs belges par mois avec son ancien contrat, la nouvelle proposition du club belge ramène sa rémunération mensuelle à 30 000 francs belges, soit le quart de ce qu’il gagnait auparavant. Bosman se retrouve alors face à un dilemme : soit il accepte de continuer à jouer avec ce faible salaire, soit il arrête le football professionnel. Ayant refusé de signer ce nouveau contrat, Bosman est finalement placé sur la liste des transferts du club belge. Cependant, compte-tenu des dispositions imposées par l’UEFA, un club souhaitant reprendre ce joueur avait l’obligation de payer une indemnité de transfert, même si celui-ci est en fin de contrat. Le montant de cette indemnité est notamment calculé en fonction de l’âge du joueur et de ses précédents revenus. Pour Bosman, l’indemnité se montait à 11 743 000 francs belges, une somme qu’aucun club n’était apparemment prêt à débourser pour ce joueur. Etant donné qu’aucune équipe n’avait manifesté le désir de s’attacher les services de Bosman dans ces conditions, le joueur a pris contact avec le club français de l’Union Sportive de Dunkerque qui évoluait alors en seconde division. Un contrat est alors conclu entre le club belge et le club français : Bosman153 sera

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Arrêt Donà, 14 juillet 1976.

152 Dans les sports collectifs professionnels européens, les fédérations/ligues limitaient dans leurs règlements le nombre d’étrangers qu’un club pouvait aligner dans sa composition d’équipe pour les rencontres. Ces règles étaient variables en fonction des pays et des disciplines. On assistait donc à de nombreuses naturalisations des joueurs étrangers, notamment en ce qui concerne le hockey sur glace français où de nombreux joueurs canadiens ne pouvant pas évoluer en NHL demandaient et obtenaient la nationalité française (ou la double nationalité) ce qui permettait aux clubs d’augmenter leur nombre d’étrangers sans dépasser les quotas imposés (cf. infra).

153 Le club français propose au joueur un salaire mensuel de 100 000 francs belges assorti d’une prime d’engagement de 900 000 francs belges.

102 prêté au club français pour une saison moyennant le versement d’une indemnité de 1 200 000

francs belges154. Ce contrat contient cependant une condition résolutoire : il sera caduc si

l’Union Royale Belge des Sociétés de Football Association (URBSFA) ne transmet pas le certificat de transfert à la Fédération Française de Football (FFF) avant le 2 août 1990. Ayant des doutes sur la solidité financière du club français, le club belge décide alors de ne pas demander à l’URBSFA d’envoyer le certificat de transfert à la FFF : le contrat reste donc sans effet. Le joueur décide alors d’engager des procédures judiciaires où il conteste la légalité des indemnités de transfert des joueurs en fin de contrat mais aussi celle des clauses de

nationalité155. Le 31 août 1990, le club belge décide de suspendre Bosman, ce qui l’empêchera

de jouer pendant toute la saison. Ayant épuisé tous les autres recours, le joueur va porter l’affaire devant la Cour de justice des Communautés européennes. Entre-temps, bien que la justice lui ait permis de jouer à nouveau au football en tant que professionnel, Késenne (2000) observe que Bosman sera « la victime d’un boycott mondial par les fédérations de football belge et internationale » (p. 95). Le 15 décembre 1995, après cinq années de combat juridique, la Cour de justice des Communautés européennes rend son verdict et donne raison à Bosman contre l’UEFA : elle déclare illégaux au regard du droit européen les quotas de joueurs communautaires et les indemnités de transfert des joueurs en fin de contrat. Si en ce qui concerne l’illégalité des quotas de joueurs communautaires, la Cour ne fait que reprendre la jurisprudence antérieure des arrêts Walrave et Donà, la vraie nouveauté de l’arrêt Bosman réside dans l’illégalité des indemnités de transfert des joueurs en fin de contrat.

La Cour précise donc que « [compte tenu des] objectifs de la Communauté, l’exercice des sports relève du droit communautaire dans la mesure où il constitue une activité économique […]. Tel est le cas de l’activité des joueurs de football, dès lors qu’ils exercent

une activité salariée ou effectuent des prestations de service rémunérées »156. Partant de-là et

en s’appuyant sur l’arrêt Walrave, la Cour précise que le Traité de Rome s’applique également aux règlementations privées concernant le travail salarié : « il importe de rappeler que, comme la Cour l’a dit pour droit dans l’arrêt Walrave, précité, point 17, [l’article 48 du Traité de Rome] ne régit pas seulement l’action des autorités publiques, mais s’étend également aux règlementations d’une autre nature visant à régler, de façon collective, le

154 Le club belge propose également au club français une option irrévocable sur le transfert définitif du joueur pour un montant supplémentaire de 4 800 000 francs belges.

155 Les clauses de nationalité figuraient dans les règlements de l’UEFA ainsi que dans ceux de la plupart des fédérations nationales de football en Europe. Ces clauses imposaient la règle du « 3 + 2 » aux équipes : pour chaque rencontre officielle, un club ne pouvait pas aligner plus de trois joueurs ressortissant d’autres Etats membres auxquels pouvaient se rajouter deux joueurs étrangers assimilés en raison de leur période d’activité dans l’Etat membre d’accueil (i.e., plus de cinq ans de pratique professionnelle dans l’Etat du club).

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103 travail salarié. […] Dès lors, il y a lieu de conclure que l’article 48 du Traité s’applique à des règles édictées par des associations sportives telles que l’URBSFA, la FIFA ou l’UEFA qui déterminent les conditions d’exercice d’une activité salariée pour des sportifs

professionnels »157.

Cette précision étant faite, la Cour conclut que les règles relatives aux transferts des joueurs en fin de contrat sont une entrave à la libre circulation des travailleurs, ce qui est prohibé par le Traité de Rome : « Ainsi que la Cour l’a constaté à maintes reprises, la libre circulation des travailleurs constitue un des principe fondamentaux de la Communauté. […] Dès lors qu’elles prévoient qu’un joueur professionnel de football ne peut exercer son activité au sein d’un nouveau club établi dans un autre Etat membre si ce club n’a pas payé à l’ancien l’indemnité de transfert dont le montant a été convenu par les deux clubs ou déterminé conformément aux règlements des associations sportives, lesdites règles constituent une

entrave à la libre circulation des travailleurs »158. Il conviendra cependant de prendre note de

l’observation de Pautot (2009) qui remarque que ce principe de libre circulation « ne s’applique pas au cas d’un joueur qui serait transféré d’un club à l’autre à l’intérieur de l’Etat membre dont il est le ressortissant » (p. 46).

En ce qui concerne les clauses de nationalité qui imposent des quotas de joueurs étrangers, la Cour se base sur l’arrêt Donà pour rappeler que de telles pratiques constituent des discriminations qui sont interdites par le Traité de Rome (cf. supra) : « […] la libre circulation des travailleurs implique l’abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les conditions de travail. […] Le même principe s’oppose à ce que les clauses contenues dans les règlements des associations sportives limitent le droit des ressortissants d’autres Etats membres de participer, en tant que joueurs professionnels à des rencontres de football. […] A cet égard, la circonstance que les clauses ne concernent pas l’emploi de ces joueurs, qui n’est pas limité, mais la possibilité pour leurs clubs de les aligner lors d’un match officiel, est indifférente. Dans la mesure où la participation à ces rencontres constitue l’objet essentiel de l’activité d’un joueur professionnel, il est évident qu’une règle qui la limite

restreint également les possibilités d’emploi du joueur concerné »159. Compte-tenu de ce

jugement, un club professionnel d’un pays européen peut, s’il le décide, aligner dans son

157 Arrêt Bosman, 15 décembre 1995.

158 Arrêt Bosman, 15 décembre 1995.

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104 championnat national professionnel une équipe qui ne serait composée que de joueurs communautaires appartenant à plusieurs autres Etats membres.