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Les conséquences de la législation européenne sur le sport professionnel

B. Economie du sport professionnel

5. Les conséquences de la législation européenne sur le sport professionnel

Comme nous venons de le voir, l’application et l’interprétation de la législation européenne a des conséquences importantes sur le sport professionnel. Compte-tenu des accords d’association et de coopération, l’impact et les conséquences de ces lois vont bien

au-delà de l’espace économique de l’Europe des 27165. Aussi, dans cette partie, nous allons

évoquer les principaux bouleversements introduits par la libre circulation des travailleurs et

par la libre circulation des services et des capitaux166.

5.1. Les conséquences de la libre circulation des travailleurs.

Comme nous l’avons vu, l’application et l’interprétation du droit européen a eu des conséquences importantes sur la libre circulation des joueurs professionnels qui ont été assimilés à des travailleurs au sens du Traité de Rome (Pautot, 2009 ; Miège, 2010). De plus, l’application dans les différents arrêts vus précédemment des articles prohibant la discrimination des travailleurs, en fonction de leur nationalité, dans l’espace européen a permis l’ouverture du marché du travail sportif aux joueurs professionnels des pays ayant un accord d’association ou de coopération avec l’Union Européenne. Cette libre circulation « étendue » a eu des conséquences importantes et soudaines sur le sport professionnel européen :

- L’interdiction des quotas, et la forte mobilité internationale des joueurs qui en découle,

a exacerbé le cosmopolitisme des clubs professionnels européens. Suite à l’arrêt Bosman et aux suivants, le réservoir potentiel de joueurs talentueux s’est élargi de

165 Au moment où nous écrivons ces lignes, l’Union Européenne est composée de 27 membres : France, Allemagne, Italie, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Danemark, Irlande, Royaume-Uni, Grèce, Espagne, Portugal, Autriche, Finlande, Suède, Chypre, Hongrie, Malte, Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Slovénie, Estonie, Lituanie, Lettonie, Bulgarie et Roumanie.

166 Cette partie propose une synthèse issue notamment des travaux suivants : Maguire & Stead (1998), Husting (1998), Szymanski (1999), Késenne (2000), Pautot (2000), Gouguet (2005), Pautot (2009).

108 manière importante. Cela a profité aux clubs (et aux championnats) les plus riches qui ont pu attirer à la fois les meilleurs joueurs européens mais également ceux des pays

ayant signé des accords d’association ou de coopération. L’internationalisation167 de

certains championnats à l’instar de l’Angleterre ou de l’Espagne en ce qui concerne le football, s’est traduite par des migrations massives des meilleurs joueurs d’autres championnats qui ont vu leur niveau moyen baisser (e.g., Maguire & Stead, 1998). Par exemple, Késenne (2000) note que suite à l’arrêt Bosman, « un petit pays comme la Belgique a subi un exode de tous ses joueurs stars vers des pays de football plus importants en Europe » (p. 97). En même temps, l’ensemble des pays européens ont également connu un afflux de joueurs aux faibles rémunérations en provenance des

pays de l’Est et d’Afrique168 (Cornelissen, 2007), ce qui a eu pour corollaire de réduire

encore les opportunités d’emploi pour les joueurs nationaux. L’accroissement de la mobilité internationale des joueurs a renforcé la segmentation du marché du travail entre les vedettes et les autres joueurs que nous avions évoquée précédemment, mais elle a également porté atteinte aux efforts de formation des joueurs au sein des grands clubs (Gouguet & Primaut, 2003 ; Andreff, 2007). Ainsi, on a constaté une

internationalisation des championnats professionnels européens avec des

championnats importateurs et des championnats exportateurs (e.g., Stead & Maguire, 1998 ; Stead & Maguire, 2000). L’abolition des règles de quotas ont donc permis à certains clubs professionnels de s’offrir un nombre important de vedettes internationales (e.g., Magee & Sugden, 2002). Cette tendance au cosmopolitisme trouve une illustration parlante dans les résultats de Pautot (2009) qui constate que parmi les dix clubs ayant disputé la finale de la « Champions League » depuis 2004, sept clubs ont présenté entre 57,14 % et 85,72 % de joueurs étrangers (cf. Tableau 14). De même, le Tableau 15 montre que le nombre de joueurs étrangers a significativement augmenté dans les principaux championnats européens.

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Nous préférerons le concept d’ « internationalisation » plutôt que celui de « globalisation ». En effet, ce dernier est biaisé dans le sens où il ne parvient pas à saisir les différentes manières par lesquelles le fonctionnement du marché du travail sportif est socialement incorporé. Le lecteur voulant approfondir les différences entre ces deux concepts se reportera utilement à l’article de McGovern (2002).

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L’Union européenne a aussi signé l’accord de Cotonou le 23 juin 2000 (accord révisé le 25 juin 2005), qui est un accord de partenariat avec 76 pays appartenant à l’Afrique, aux Caraïbes et à la zone Pacifique. Cet accord pose également le principe d’interdiction de la discrimination en raison de la nationalité en ce qui concerne les conditions de travail. Aussi, un joueur ressortissant de ces Etats et qui serait titulaire d’un titre de séjour et d’un contrat de travail peut venir travailler sans discrimination dans l’un des Etats membre de l’Union Européenne.

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Pour Andreff169 (2001, 2007), la « mondialisation libérale du marché du travail

sportif » a un coût social élevé en ce qui concerne « l’exode des muscles »170 des

athlètes mineurs (ou tout juste majeurs) en provenance des pays du Tiers Monde. L’auteur (2007) affirme que ces migrations contribuent à détruire la « substance sportive » des pays en développement en détournant vers l’étranger les plus talentueux, c’est à dire « l’infime minorité qui a eu la chance de bénéficier des rares entraîneurs et des rares équipements sportifs disponibles dans leurs pays d’origine » (p. 14). Tshimanga Bakadiababu (2001) constate en effet que pendant les années 1990, un nombre grandissant de joueurs de moins de 16 ans ont été transférés vers des clubs européens sans signer de contrat de travail et si leur essai avec le groupe professionnel n’était pas probant, ils se retrouvaient laissés à eux-mêmes, sans source de revenu ni assistance. Cette tendance semble s’être accentuée après l’arrêt Bosman (Andreff, 2007).

- La mise en application immédiate de l’arrêt Bosman a entraîné des problèmes de

transition d’ordre économique. En effet, beaucoup de clubs avaient incorporé la valeur de transfert en fin de contrat de leurs joueurs comme un actif et avaient utilisé cet actif comme garantie auprès des établissements bancaires pour leurs emprunts (Késenne, 2000). Or, la suppression des indemnités de transfert des joueurs en fin de contrat (introduite par l’arrêt Bosman) a fait que, du jour au lendemain, la valeur de transfert de fin de contrat de ces joueurs a chuté à zéro. La solidité financière des clubs auprès des établissements bancaires a donc été sérieusement entamée, compte-tenu qu’ils présentaient dorénavant des garanties bien moins conséquentes. D’autres clubs ont également perdu beaucoup d’argent en investissant dans des nouveaux joueurs juste avant l’arrêt Bosman. En effet, le coût de transfert payé pour ces joueurs n’a pas forcément été recouvré lorsqu’ils ont quitté le club à la fin de leur contrat compte-tenu de la disparition des indemnités de transfert des joueurs en fin de contrat. Les clubs devaient donc essayer de revendre ces joueurs avant l’échéance de leurs contrats pour

169 L’auteur est particulièrement engagé sur ce point. S’inspirant de la taxe Tobin qui visait à ponctionner les revenus du capital , il a proposé de mettre en place une taxe « Coubertobin » (Andreff, 2004). Cette taxe a quatre objectifs : (a) couvrir au moins le coût de formation et d’entraînement, qu’a subi le pays en développement d’origine, de tout joueur transféré à l’étranger ; (b) être une incitation négative à transférer un joueur d’un pays en développement d’autant plus forte que le joueur est jeune à la date du transfert ; (c) ralentir l’exode des muscles vers le marché professionnel des pays développés ; et (d) procurer des revenus permettant d’abonder un fond de développement des sports dans le pays en développement d’origine. La taxation de 1% pour les joueurs majeurs augmente en dessous de l’âge de 18 ans en étant progressivement majorée à mesure que l’âge baisse au moment du transfert.

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110 pouvoir prétendre à des indemnités de transfert leur permettant de ne pas faire une forte moins-value sur l’ensemble de l’opération. On peut se questionner sur l’absence d’une période de transition qui aurait permis aux clubs professionnels de gérer au mieux cette nouvelle donne économique. Késenne (2000) explique « qu’à la fois les avocats de Bosman et l’avocat général H.O. Lenz étaient en faveur d’une période de transition […]. C’est uniquement le lobbying politique éhonté des associations de football nationales et européenne qui a choqué la Cour européenne et l’ont rendu si intransigeante » (p. 97).

- Compte-tenu du point abordé précédemment, une autre conséquence de la libre

circulation des joueurs est l’allongement de la durée des contrats. En effet, tant que le contrat d’un joueur n’est pas arrivé à échéance, un club est autorisé à le « vendre » à un autre club et touchera des indemnités de transfert, sous réserve que les droits du

joueurs ne soient pas enfreins171. L’investissement dans de jeunes joueurs se calcule

donc en fonction de leurs futures performances, mais aussi de leur futur potentiel économique en termes d’indemnités de transfert.

- L’arrêt Bosman a entraîné une dérégulation du marché qui s’est traduite entre autres

par une augmentation significative du salaire des joueurs, notamment en ce qui concerne les joueurs vedettes. La fin de l’exploitation monopolistique des joueurs (notamment via les indemnités de transfert de fin de contrat) a permis aux athlètes de faire jouer la concurrence. En effet, la législation européenne a rendu impossible pour les clubs d’obliger les joueurs en fin de contrat à rester si ces derniers estiment être sous-payés, de sorte que le monopsone discriminatoire de l’exploitation individuelle des joueurs a pris fin. D’autres raisons expliquent également l’augmentation du salaire des joueurs, notamment le fait que les revenus issus des droits télévisuels et du merchandising sont en augmentation et qu’ils sont en partie dépensés pour le salaire des joueurs (Késenne, 2000). La dérégulation du marché des joueurs et la spirale inflationniste des salaires qui en découle ont toutefois été mal gérées par de nombreux clubs professionnels européens et dans de nombreuses disciplines. On a ainsi assisté à de multiples crises financières dans le sport professionnel qui se traduisaient par de grandes difficultés budgétaires voire par des dépôts de bilan. Bien qu’étant le sport véhiculant les plus importants flux d’argent en Europe, le football ne fut pas exempt de cette crise financière. Ainsi, les clubs des « grands » championnats, comme l’Italie

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111 (Baroncelli & Lago, 2006), l’Angleterre (Buraimo, Simmons & Szymanski, 2006), et l’Espagne (Ascari & Gagnepain, 2006), ou ceux des championnats plus « modestes » comme le Portugal (Pestana Barros, 2006), l’Ecosse (Morrow, 2006) ou la Belgique (Dejonghe & Vandeweghe, 2006), ont tous eu à faire face à une crise économique engendrée par la libéralisation du marché des joueurs. Le cas du championnat français semble plus nuancé : certains montrant qu’il est l’exception qui confirme la règle (Gouguet & Primault, 2006), d’autres montrant qu’il subit bel et bien une crise économique (Andreff, 2007b) à l’instar des autres championnats européens.

Tableau 14. Pourcentage de joueurs étrangers dans les clubs finalistes de la Ligue des Champions (2004-2008).

Club finaliste Etrangers ayant disputé la finale

FC Porto 2004 (vainqueur) 28,58 % de joueurs étrangers

Milan AC 2007 (vainqueur) 35,72 % de joueurs étrangers

AS Monaco 2004 (finaliste) 50 % de joueurs étrangers

Manchester United 2008 (vainqueur) 57,14 % de joueurs étrangers

Milan AC 2005 (finaliste) 71,43 % de joueurs étrangers

FC Barcelone 2006 (vainqueur) 71,43 % de joueurs étrangers

Liverpool FC 2007 (finaliste) 71,43 % de joueurs étrangers

Chelsea FC 2008 (finaliste) 71,43 % de joueurs étrangers

Liverpool FC 2005 (vainqueur) 85,72 % de joueurs étrangers

Arsenal 2006 (finaliste) 85,72 % de joueurs étrangers

Source : Pautot (2009), p. 68.

Tableau 15. Part des joueurs étranger dans le football professionnel, avant et après l’application de l’arrêt

Bosman (en %). Championnats de division 1 1995-96 1998-99 2003-04 France 18 22 38 Italie 17 33 31 Angleterre 34 37 61 Allemagne 27 39 59 Espagne 29 40 37

Source : Bourg et Gouguet (2005), p. 35.

5.2. Les conséquences de la libre circulation des services et des capitaux.

Bien que la littérature ne se soit pas beaucoup penchée sur ce sujet, la libre circulation des services et des capitaux a également eu un impact sur le sport professionnel. Si le récent ouvrage de Pautot (2009) les aborde de manière exhaustive, nous retiendrons surtout les deux points suivants :

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- Avec la directive européenne « Télévision sans frontières » du 30 septembre 1997,

l’Union Européenne impose aux Etats membres la confection d’une liste d’évènements sportifs d’importance majeure sur lesquels les cessions de droits sont limitées : aucune chaîne à accès limité ne pourra en détenir l’exclusivité. Cette directive vise à favoriser l’accès à l’information sportive afin que la majorité des personnes ne soit pas privée de la possibilité de suivre les grands événements sportifs

sur une chaîne de télévision publique. En France, un décret172 fixe une liste de 21

événements sportifs majeurs pour lesquels aucune chaîne privée ne pourra détenir l’exclusivité. Cette liste concerne les Jeux Olympiques, le football, le rugby, le tennis, le cyclisme, la Formule 1, le basket-ball, le handball et l’athlétisme. On constate – sans surprise – que le hockey sur glace ne fait pas partie de ladite liste. Pour ces évènements, le décret précise diverses modalités concernant les diffusions intégrales ou non, en direct ou en différé. Compte-tenu de la véritable manne financière rapportée par la vente et l’exploitation des droits télévisuels et des audiences de plus en plus élevées (cf. infra) on comprend l’intérêt que portent les chaînes de télévisions – publiques et privées – à obtenir l’exclusivité des grands évènements sportifs. Ces nouvelles dispositions européennes entraînent une redistribution significative des cartes en ce qui concerne le marché des droits télévisuels sportifs.

- Concernant la libre circulation des capitaux, l’Union européenne a contraint certains

pays (dont la France) à modifier leur législation par rapport à l’appel public à

l’épargne des clubs sportifs. En effet, dans plusieurs pays, la loi173 interdisait aux

sociétés sportives de recourir publiquement à l’épargne (notamment par l’introduction en bourse des clubs professionnels) ce qui était une violation à la libre circulation des

capitaux prévue par le Traité de Rome174. Ainsi, en ce qui concerne la France, les

sociétés anonymes à objet sportif peuvent maintenant faire un appel public à l’épargne

depuis décembre 2006175.