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A. Professionnalisation et profession: définitions, dynamiques et résistances

6. Les facteurs influençant la professionnalisation et la performance du sport

6.3. L’équilibre compétitif

Comme nous l’avons mentionné précédemment, en ce qui concerne les sports collectifs professionnels, le processus de production du spectacle sportif est spécifique (Quirk & El Hodiri, 1974). En effet, pour qu’un match puisse avoir lieu, il faut l’intervention conjointe de deux clubs qui seront partenaires dans la production du spectacle mais

233 Cette distribution déséquilibrée a déjà été observée dans de nombreux sports tels que le hockey sur glace (e.g., Côté, Macdonald, Baker & Abernethy, 2006 ; Delorme, Boiché & Raspaud, 2009), le football (e.g., Musch & Hay, 1999 ; Pérez Jiménez & Pain, 2008 ; Delorme, Boiché & Raspaud, 2010a) ou bien encore le tennis (e.g., Edgar & O’Donoghue, 2005). On l’a également détectée au niveau « jeune élite » dans un nombre conséquent de pratiques comme le football (e.g., Helsen, Van Winckel & Williams, 2005), le hockey sur glace (e.g., Barnsley & Thompson, 1988 ; Sherar, Baxter-Jones, Faulkner & Russell, 2007), la natation (e.g., Baxter-Jones, 1995) ou le volley-ball (e.g., Grondin, Deshaies & Nault, 1984).

154 concurrents sur le plan sportif pour remporter la rencontre et, dans une optique à plus long terme, le championnat. Le spectacle sportif vendu résulte donc d’une « production jointe » entre les protagonistes (Flynn & Gilbert, 2001). Très tôt, à partir du modèle des ligues fermées nord-américaines, Rottenberg (1956) relève que l’incertitude du résultat dépend des forces sportives qui s’affrontent et que les spectateurs sont attirés par des rencontres opposant des équipes de forces égales. En effet, Szymanski (2001b) note que, sans un niveau minimum

d’équilibre compétitif, les spectateurs ne sont pas intéressés par une compétition234. Partant de

là, on observe deux mécanismes qui semblent jouer sur l’affluence et qu’il faut bien distinguer l’un de l’autre (Forrest & Simmons, 2002) :

- L’équilibre compétitif. L’idée de ce mécanisme est que l’affluence pour la ligue

professionnelle sera maximale si le championnat est équilibré entre des équipes très proches quant à leur probabilité de remporter chaque rencontre. Le rôle de la ligue est donc de promouvoir et de maintenir l’équilibre compétitif à l’aide de certaines régulations (cf. supra) afin d’obtenir les recettes les plus élevées possibles.

- L’incertitude du résultat. L’idée de ce mécanisme est que plus l’issue d’une rencontre

est incertaine, plus l’intérêt des spectateurs sera important. Aussi, le niveau des profits espérés est fortement corrélé à l’imprédictibilité du résultat (Peel & Thomas, 1988, 1992).

On constate que l’équilibre compétitif est un des thèmes les plus traités en économie du sport (Sanderson & Siegfried, 2003). Dans une ligue fermée, plusieurs travaux ont mis en évidence le lien entre celui-ci et l’affluence (e.g., Knowles, Sherony & Haupert, 1992 ; Butler, 1995 ; Schmidt & Berri, 2001) et l’audience télévisée (e.g., Forrest, Beaumont, Goddard & Simmons, 2005). Il a été montré que les différents mécanismes de régulation existants dans ces ligues ont un impact positif sur l’équilibre compétitif, à savoir la draft (Butler, 1995 ; La Croix & Kawaura, 1999 ; Booth, 2005), le plafonnement des salaires (Késenne, 2000c ;

Booth, 2005) et le partage des recettes235 (Késenne, 2000b). Certains facteurs vont avoir un

impact, positif ou négatif, sur l’équilibre compétitif : les objectifs des propriétaires de clubs (Horowitz, 1997 ; Fort & Quirk, 2004), les décisions institutionnelles (Sanderson & Siegfried, 2003), le nombre d’équipes (Booth, 2005), la localisation des équipes (Booth, 2005) et le système de points pour le classement (Haugen, 2008) ou encore les droits de retransmission

234 Nous ne pouvons résister à citer l’auteur qui à ce propos remarque que « this may be a peculiarly modern phenomenon reflecting ethical sensitives – the Romans, for instance, appear to have enjoyed the unbalanced contest between lions and Christians » (p. F69).

235 Ce dernier point est actuellement discuté dans la littérature. En effet, dans un papier théorique, Chang et Sanders (2009) montrent que le partage des recettes augmente la variance du pourcentage de victoires attendu et réduit l’équilibre compétitif d’une ligue.

155 (Bennett & Fitzel, 1995 ; Palomino & Sákovics, 2004 ; Cavagnac & Gouguet, 2008). D’autres facteurs ont une influence strictement négative sur l’équilibre compétitif. C’est par exemple le cas du maintien des principes de l’amateurisme dans le championnat universitaire américain (Eckard, 1998). De même, Hadley, Ciecka et Krautmann (2005) montrent que, suite à la grève des joueurs professionnels de base-ball américains en 1994, on constate une détérioration

importante de l’équilibre compétitif qui a persisté sur plusieurs saisons236.

Pour les ligues ouvertes, qui disposent de moins de systèmes de régulations (voire d’aucun) que les ligues fermées, la donne est différente. Ainsi, en se basant sur l’étude de la première division anglaise de football, Szymanski (2001b) remarque que l’équilibre compétitif reste stable malgré une augmentation des inégalités financières entre les clubs. Ce faisant, il contredit Késenne (2000b) qui dans un papier théorique (i.e., ne se basant pas sur des données empiriques) suggérait de mettre en place un système de partage des recettes dans

les ligues ouvertes afin de préserver l’équilibre compétitif suite à l’Arrêt Bosman237. Ces

résultats apparemment contradictoires cristallisent un des enjeux majeurs de la littérature scientifique consacrée à l’équilibre compétitif, à savoir comment le mesurer de manière

précise238. Indépendamment des controverses sur la manière de mesurer l’équilibre compétitif,

Buzzacchi, Szymanski et Valletti (2003) observent que dans une ligue ouverte, les clubs les plus puissants financièrement parlant n’ont pas (ou peu) d’intérêts à partager les recettes avec les clubs plus modestes. En effet, si dans une ligue fermée chaque équipe est assurée de participer au championnat professionnel, ce n’est pas le cas dans les ligues ouvertes où les équipes les moins bien classées à la fin de la saison sont reléguées en division inférieure. Partant de là, les clubs dominants n’ont effectivement pas/peu d’intérêts à partager leurs recettes. Au-delà de toutes ces considérations, un niveau raisonnable d’équilibre compétitif est toutefois nécessaire pour produire une réelle incertitude du résultat et générer de l’intérêt autour du spectacle sportif proposé (Dobson & Goddard, 2001, 2004 ; Szymanski, 2001b).

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Les auteurs n’avancent toutefois pas d’explication concernant cette détérioration de l’équilibre compétitif.

237 L’auteur justifiera à nouveau sa position en montrant que suivant le système de partage des recettes mis en place, on pouvait effectivement obtenir un effet positif sur l’équilibre compétitif dans les ligues ouvertes (Késenne, 2001).

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