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Rôle de la société civile dans le processus de Réformation « Qu’est-ce que

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punir dans une société démocratique ? Chaque peine prononcée par un juge, au nom du peuple français, est une réponse particulière à cette question, réponse qui peut prendre des formes différentes, pour des faits identiques, selon les époques et les préoccupations de la société française »284. La France est, en effet, une démocratie d’opinion, dans laquelle le rôle de l’opinion publique est exacerbé.

Tout d’abord, d’une manière générale, les changements opérés sur le droit de la prison démontrent que le temps politique est bien trop souvent calqué sur le temps médiatique des journalistes qui relayent les attentes des électeurs composant la société civile. Le législateur, homme politique, qui profite trop souvent de l’émotion qui peut être ressentie, est donc responsable des difficultés liées aux différentes tentatives de changement. Un auteur évoque la « boulimie législative » 285 qui conduit le législateur tantôt vers la fermeté de l’emprisonnement, tantôt vers la souplesse des aménagements de peine286, conférant deux visages à cette spirale réformatrice du droit pénitentiaire. « La prison d’aujourd’hui n’est que le reflet des attentes de la société envers elle et des moyens qu’elle lui donne pour accomplir

284

Conférence de consensus, Pour une nouvelle politique publique de prévention de la récidive, Rapport du jury de consensus remis au Premier ministre, Paris, le 20 févr. 2013, p. 10.

285

LECERF (J.-R.), « Ouvertures » in BOUSSARD (S.) (dir.), Les droits de la personne détenue après la loi

pénitentiaire du 24 novembre 2009, op. cit., p. 13.

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Droit comparé - On vise ici l’ensemble des aménagements de peine : ceux qui assouplissent l’application des peines et ceux qui assouplissent le prononcé potentiel d’une peine privative de liberté (aménagement ab initio). La France a une vision beaucoup plus large de ces aménagements de peine. Pour comparaison, en Allemagne, le

Lockerung des Vollzuges (qui se traduit par « assouplissement de l’application des peines »), n’inclut que les

mesures qui suivent l’incarcération. C’est ce que l’on nommera la seule « liberté avant l’expiration de la peine » (COUVRAT (P.), « Les libertés des détenus » in Territoires et libertés, Mélanges en hommage au doyen Yves MADIOT, éd. Bruylant, 2000, p. 272). En France, la souplesse des aménagements de peine est, d’ailleurs,

favorisée par la juridictionnalisation de leurs procédures : Cf. GARÇON (E.), « Les incohérences dans la juridictionnalisation au stade de l’exécution des sanctions pénales » in MALABAT (V.), DE LAMY (B.) et GIACOPELLI (M.) (dir.), La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, Opinio doctorum, éd. Dalloz,

2009, coll. Thèmes et commentaires, p. 312 s. ; PONCELA (P.), « Le chantier du droit de l’exécution des peines est ouvert. Quelques remarques sur la loi du 15 juin 2000 », RSC, 2000, p. 887 s. ; FAUCHER (P.), « La juridictionnalisation de l’application des peines : une révolution tranquille », Rev. pénit., 2001, p. 215 s. ; HERZOG-EVANS (M.), « Juridictionnalisation de l’application des peines : le bilan », Rev. pénit., Numéro spécial

2007, p. 173 s. ; BONFILS (P.), « Rapport de synthèse - Le droit de l’exécution des peines : une jurisprudence en

ses missions »287. Autrement dit, le rôle de la société civile est considérable et puisqu’elle semble bâtir la prison, l’opprobre ne doit pas être exclusivement jeté sur l’institution pénitentiaire quant à la protection des individus. En effet, l’Administration pénitentiaire, seule, ne peut remplir ce rôle car sa vocation première est une mission de garde, autorisant certains, d’ailleurs, à dire que la prison ne serait qu’une « garderie sécuritaire »288 et ainsi douter de sa capacité d’accompagnement de la personne détenue pour l’avenir289.

L’État entretient ce rôle de la société civile puisqu’il ouvre ses portes aux citoyens visiteurs des prisons, prévoit des journées du patrimoine à la prison de la Santé en rénovation290, organise une période de visite durant l’été 2015 pour célébrer les neuf cents ans de l’abbaye de Clairvaux transformée au début du XIXe siècle en prison291, etc. L’image que la prison renvoie serait alors l’unique affaire des citoyens passionnés par les œuvres filmographiques portant sur la prison292 ou encore les articles de presse des journalistes (etc.)293. L’histoire se répète puisque cette façon moderne de maintenir l’intérêt pour la peine de prison ressemble fort à la mise en scène de l’exécution que connaissait la société des châtiments corporels294. Or, cela n’est pas suffisant : la société civile est clairement dans une méconnaissance certaine de la prison et de sa place politique. En effet, tout citoyen y imprime une multitude de fantasmes emmagasinés depuis l’enfance, liés au noir, à la claustration, à l’enfermement, lesquels influencent l’imaginaire populaire sur ce que peut être la prison : un

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MOREL D’ARLEUX (J.), « Les régimes de détention et la question de l’individualisation du parcours de détention » in BOUSSARD (S.) (dir.), Les droits de la personne détenue après la loi pénitentiaire du 24 novembre

2009, op. cit., p. 180.

288

VERNIER (D.), Peines perdues. Faut-il supprimer les prisons ?, éd. Fayard, 2002, p. 20.

289

Cf. DARBÉDA (P.), « La prison a-t-elle encore un avenir ? » in Mélanges en l’honneur du professeur Jacques-

Henri ROBERT, éd. LexisNexis, 2012, pp. 155-167, spéc. p. 160.

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La prison de la Santé est fermée depuis le 21 juill. 2014 pour des travaux de rénovation, lesquels doivent se poursuivre jusqu’en 2019. Les journées du patrimoine permettant la visite de la prison de la Santé partiellement fermée ont eu lieu le 20 et le 21 sept. 2014. Ainsi, 2000 visiteurs ont pu découvrir cette prison (Cf. Site Ministère de la Justice, « Journées européennes du patrimoine », Prison et réinsertion, 1er oct. 2014). Concernant les patrimoines carcéraux, d’autres questions actuelles se posent : les anciennes prisons datant du début du XXe siècle entreront-elles dans la mémoire collective pour devenir des monuments historiques ? À ce sujet et en période de crise, le grand public semble réticent : Cf. SOPPELSA (C.), « Architecture pénitentiaire. Mémoire historique : l’ambivalence des représentations », Sociétés et représentations, 2010/2, n° 30, pp. 83-96.

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La période de visite se déroulait du 3 juillet au 30 septembre 2015. Elle permettait aux visiteurs de découvrir la période historique de Clairvaux. Seuls les bâtiments historiques étaient concernés dans cette visite. Cf. Site Ministère de la Justice, « Exposition “La pénitentiaire de Clairvaux” », Prison et réinsertion, 15 juill. 2015.

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Les citoyens sont intrigués par la prison. Le film franco-italien « Le prophète » (2010) réalisé par Jacques AUDIARD est une illustration de cette situation, car il a remporté pas moins de dix-huit prix.

293

Cf. DIRECTION DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE, À l’ombre du savoir. Connaissances et représentations

des Français sur la prison, étude réalisée par le Genepi, éd. Ministère de la Justice, coll. Travaux et documents,

n° 52, 1998, p. 48 s.

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lieu de viols dans les douches et où l’on déplore les nombreux suicides, etc.295. La société se figure ainsi des représentations et se persuade parfois que la prison déshumanise, désintègre l’Homme dans son humanité, et qu’elle n’aurait donc que des conséquences négatives. Pourtant, la prison, lieu par nature plutôt secret, n’est pas pour autant mieux connue lorsque les citoyens sont dans l’imaginaire296 et développent alors parfois une opinion tronquée, « loin des préoccupations des pouvoirs publics et de l’ensemble des intervenants en prison, et de leurs efforts sur l’insertion socio-économique des détenus »297.

Alors que l’individu n’a pas respecté le contrat social298 auquel il a adhéré, la société civile a parfois tendance à porter un intérêt plus important à la question de l’humanisation des prisons. Toutefois, elle peut aussi se tourner vers des volontés plus sécuritaires, ce qui influe nécessairement sur la portée future et la crédibilité de la norme pénitentiaire. Selon la pensée d’Alexis DE TOCQUEVILLE, dans la mesure où la prison demeure un lieu de punition, certaines

décisions politiques, favorables (ou non) à la condition de la personne détenue, peuvent parfois paraître démagogues299 car elles ne serviraient qu’à flatter les aspirations changeantes de l’opinion publique. C’est cette manière d’observer la prison et ses conséquences sur l’homme qui accentue et confirme, d’ailleurs, la grandeur de l’opposition entre deux tendances que doit satisfaire le droit pénitentiaire.

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