DU DROIT PÉNITENTIAIRE NATIONAL
P ARAGRAPHE 2 L E MODÈLE EUROPÉEN PRESCRIPTEUR D ’ OBLIGATIONS POSITIVES ET NÉGATIVES
80. Détention et maladie mentale Si certains sont hospitalisés d’office en raison
d’affections psychiatriques sévères nécessitant le soutien et l’accompagnement de professionnels évoluant dans des établissements spécialisés en psychiatrie, d’autres n’ont pas cette opportunité de bénéficier de soins plus appropriés à leur santé mentale777. Effectivement, beaucoup sont privés de leur liberté, non pas dans des hôpitaux adaptés à leur pathologie mais bien dans des établissements pénitentiaires en application notamment de l’article 122-1 du Code pénal (altération du discernement)778. Dans ces conditions de « pénalisation »779 de la
773
CÉRÉ (J.-P.), « Exigences européennes en matière de prise en charge médicale des détenus », AJ Pénal, 2011,
p. 129 s. ; En ce sens : Cf. not. CEDH Lovinenko c. Ukraine, 14 oct. 2010, n° 13448/07 (traitement inhumain et dégradant en raison d’une surveillance inadéquate d’une tuberculose et de traitement pour le SIDA et d’une détention dans une cellule froide et humide) ; CEDH Petrea c. Roumanie, 29 avr. 2008, n° 4792/03 (absence de traitement médical par un médecin extérieur à la prison pour un détenu souffrant d’une insuffisance veineuse et de troubles psychiques graves alors qu’il était enfermé dans un dortoir) ; CEDH Kupczak c. Pologne, 25 janv. 2011, n° 2627/09 (détenu paraplégique souffrant de douleurs chroniques sévères mais quand même incarcéré pendant plus de deux ans en étant privé de médicaments anti-douleurs appropriés) et CEDH Budanov c. Russie, 9 janv. 2014, n° 66583/11 : D., 2014, p. 1235 s., obs. CÉRÉ (J.-P.).
774
Cf. Rapport 2011 de l’Observatoire International des Prisons (OIP), op. cit., p. 161 s.
775
Le personnel surveillant et le personnel d’insertion sont aussi amenés à inscrire des informations dans ce document. À ce propos, le Contrôleur général soulève qu’« il est difficile de dire quel va être le devenir de cette quantité d’informations ainsi recueillie : les questions clés relatives à l’absence d’enregistrement de certaines données, à leur effacement au terme d’un certain délai, à leur communication à la personne sur laquelle elles sont recueillies ne sont pas clairement tranchées, alors que le législateur ne cesse d’encourager à la prise en considération de tels éléments » : CGLPL, Rapport annuel d’activité 2010, op. cit., p. 18 et 148 s. et CGLPL,
Rapport annuel d’activité 2011, op. cit., p. 216 s.
776
Le secret médical est également limité lorsqu’il y a, par exemple, la distribution des médicaments : les rendez-vous réguliers des détenus qui ont des maladies infectieuses sont facilement identifiables, car ils repartent de leur consultation avec un sachet volumineux de médicaments. Cela ne facilite en rien le respect complet du secret médical : CGLPL, Rapport annuel d’activité 2010, op. cit., p. 115.
777
Cf. MATHIEU (G.), Les droits des personnes incarcérées dans les pays de la Communauté européenne, Th.,
op. cit., p. 101 s.
778
C. pén., art. 122-1 : « [...] La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. Si est encourue une peine privative de liberté, celle-ci est réduite du tiers ou, en cas de crime puni de la réclusion
maladie mentale, la présence des troubles psychiatriques, sans cesse en augmentation780 en prison, est largement due au fonctionnement de la justice781. La prison semblant pourtant inadaptée à recevoir les malades souffrant de troubles mentaux782, en devient le lieu principal d’accueil783. La CEDH a, d’ailleurs, déjà considéré que l’article 5 de la Convention européenne était bafoué dans le cas du maintien en détention d’un individu souffrant de troubles mentaux784.
Avant leur incarcération, certaines personnes ont connu des séjours hospitaliers dans des établissements785 et la pratique à déplorer, est celle qui consiste alors à prononcer tout de même des peines d’emprisonnement786 à leur encontre « dans la mesure où existent désormais des services de psychiatrie pénitentiaire »787. Ainsi, l’Observatoire International des Prisons788
criminelle ou de la détention criminelle à perpétuité, est ramenée à trente ans. La juridiction peut toutefois, par une décision spécialement motivée en matière correctionnelle, décider de ne pas appliquer cette diminution de peine [...] ». Cf. PAULET (C.), « Thématique des soins en prison et hors les murs », Contribution écrite à la
conférence de consensus sur la prévention de la récidive des 13 et 14 févr. 2013, p. 12 s. Cf. infra n° 473.
779
HENNION-JACQUET (P.), « Dignité et détention des personnes souffrant de troubles mentaux : et si la justice s’arrêtait aux portes des prisons ? », RDSS, 2009, p. 509 s.
780
Plus de 20 % des détenus seraient atteints de troubles psychotiques. Source : Étude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues, réalisée par CEMKA-EVAL pour le Ministère de la Santé et le Ministère de la Justice, janv. 2006. V. aussi : DE BEAUREPAIRE (C.), « La vulnérabilité sociale et psychique des détenus et sortants de prison », Revue du MAUSS, 2012/2, n° 40, pp. 125-146.
781
Cf. BRAHMY (B.), « Psychiatrie et prison », Études, éd. SER, 2005/6 (Tome 402), pp. 751-760.
782
En ce sens : Cf. not. CEDH, G. c. France, 5e sect., 23 févr. 2012, n° 27244/09 : condamnation de la France pour le maintien d’un détenu schizophrène dans un établissement pénitentiaire inadapté à l’incarcération des malades mentaux (violation de l’article 3 de la Convention européenne) : préc. Pour des critiques apportées aux dispositifs sanitaire et psychiatrique en prison : Cf. SENON (J.-L.), « Psychiatrie et prison : toujours dans le
champ de l’actualité », Annales Médico Psychologiques 162, 2004, pp. 646-652.
783
Cf. BARBIER (G.), DEMONTÈS (C.), LECERF (J.-R.) et MICHEL (J.-P.), Prison et troubles mentaux : Comment
remédier aux dérives du système français ?, Rapport d’information n° 434 (2009-2010) fait au nom de la
commission des lois et de la commission des affaires sociales, 5 mai 2010 ; SENON (J.-L.) et MANEANERA (C.),
« Troubles mentaux et prison », AJ Pénal, 2007, p. 155 s.
784
En ce sens : Cf. not. CEDH Nelissen c. Pays-Bas, 5 avr. 2011, n° 6051/07 : D. actu., 20 avr. 2011, obs. BACHELET (O.) et CEDH L. B. c. Belgique, 2 oct. 2012, n° 22831/08 : RDSS, 2013, p. 245 s. note MARGAINE
(C.).
785
Sur les 20 % des détenus atteints de troubles psychotiques, 16 % auraient déjà connu l’hospitalisation dans un établissement pénitentiaire. Cf. Étude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues, réalisée par CEMKA-EVAL pour le Ministère de la Santé et le Ministère de la Justice, janv. 2006.
786
Une Circ. interministérielle du Ministère des Affaires sociales et du Ministère de la Justice du 30 déc. 2012 a, d’ailleurs, incité à prendre en charge les problèmes de santé des personnes sortant de prison. Effectivement, bien souvent les effets des maladies mentales sont davantage exacerbés à la sortie de la prison.
787
GOUJON (G.) et GAUTIER (C.), Les délinquants dangereux atteints de troubles psychiatriques : comment
concilier la protection de la société et une meilleure prise en charge médicale ?, Rapport d’information sur les
mesures de sûreté concernant les personnes dangereuses, Sénat, juin 2006, p. 23.
788
Sur un écrit du fondateur de l’OIP, évoquant la création de cette organisation : Cf. BOLZE et AL., « Si le droit devait changer la prison, ça se saurait depuis longtemps ! », Dév. et soc., 2014/2, n° 87, pp. 395-410. Sur une enquête menée par l’observatoire auprès des praticiens du droit entrant en prison : Cf. PORTMANN (A.), « Procédure disciplinaire dans les établissements pénitentiaires : l’OIP enquête auprès des avocats », D. actu., 7 oct. 2014.
dénonce les conditions carcérales des détenus qui n’ont pas leur place en prison mais dans d’autres établissements plus spécialisés, en raison de leur maladie mentale. Il relève que l’exigence de célérité judiciaire est fautive (décision de justice prise à la hâte en comparution immédiate789 et sans expertise psychiatrique pourtant nécessaire) et peut amener à des situations carcérales difficilement gérables pour un personnel pénitentiaire de surveillance insuffisamment formé car non soignant.
D’une manière générale, la prison semble représenter un foyer de développement des troubles mentaux. Les conditions d’incarcération jouent un rôle plus ou moins négatif sur les personnalités les plus fragiles. « On observe ainsi des décompensations psychiatriques sur le mode de bouffées délirantes aiguës chez des sujets qui n’avaient jamais été repérés comme malades mentaux à l’extérieur »790. En 1939, une étude comparative791 entre différents pays européens avait déjà démontré que « plus il y avait de lits en psychiatrie, moins il y avait de personnes en prison et qu’inversement, moins il y avait de lits psychiatriques, plus il y avait d’individus en détention. Autrement dit, plus on psychiatrise moins on criminalise et vice versa »792.