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Prisons surpeuplées depuis les années 1960 Au début des années 1960, en

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pleine guerre d’Algérie, la population carcérale augmente à nouveau considérablement. En 1968, de nouvelles prisons sont construites dont la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, plus grande prison d’Europe223. Ces établissements récents favorisent le développement, sur le parc pénitentiaire français, de régimes de détention diversifiés dans lesquels les détenus sont placés selon leur comportement et leur évolution durant l’exécution de leur peine d’emprisonnement. Il s’avère que, depuis, l’Administration pénitentiaire est toujours dans une quête du meilleur régime de détention, lequel devrait pouvoir offrir des conditions de vie dignes aux prisonniers224. Dans l’ensemble, cette période est qualifiée d’« éclipse »225 par les spécialistes de la question pénitentiaire, car il y a peu d’évolutions remarquables226.

Au début des années 1970, le constat est désolant : les prisons sont surpeuplées et pour cette raison, elles sont difficilement gérables. Par conséquent, les conditions du sursis et de la semi-liberté sont plus souples. On y constate, en plus, une prison hermétique à l’entrée du droit227. À partir de 1971, l’augmentation des libérations dont les conditions d’octroi sont simplifiées et les permissions de sortie facilitent d’abord, la baisse de la population carcérale. Les régimes de détention sont assouplis, les réductions de peine sont instituées228. En 1972, le

221

COUVRAT (P.), « La politique criminelle pénitentiaire à l’image de l’expérience française depuis 1945 », RSC,

1985, p. 231 s., spéc. p. 234.

222

Le régime en milieu fermé correspond à celui qui a trait au régime appliqué au sein des établissements pénitentiaires.

223

Cf. DELTEIL (G.), Prisons : la marmite infernale, éd. Syros alternatives, 1990, p. 32 s.

224

Cf. BLONDIEAU (F.), « Les régimes de détention », Rev. pénit., 1995, pp. 192-196, spéc. p. 194. 225

Cf. not. COUVRAT (P.), « De la réforme Amor à nos jours » in BORRICAND (J.) (dir.), La réinsertion des

délinquants : Mythe ou réalité ?, op. cit., pp. 35-41, spéc. p. 38.

226

Remarquons cependant que la discipline pénitentiaire a connu de « profondes transformations ». Elle s’est vue assouplie : Cf. CÉRÉ (J.-P.), Droit disciplinaire en prison, op. cit., p. 24 s.

227

Cf. BÉRARD (J.), « Genèse et structure des conflits politiques sur les droits des détenus dans la France contemporaine », Dév. et soc., 2014, vol. 38, pp. 449-468 ; SALLE (G.), « Mai 68 a-t-il changé la prison française ? », Critique internationale, 2002/3, n° 16, pp. 183-195.

228

Cf. DUTHEILLET-LAMONTHÉZIE (B.), « Les modifications récentes du régime d’exécution des peines

JAP voit augmenter ses pouvoirs229 et est instaurée une commission d’application des peines auprès de chaque établissement. De plus, même si la question de l’amélioration des conditions de vie en détention semble relever de l’utopie, la volonté d’humaniser les prisons s’installe dans les esprits et l’idée de privilégier le reclassement des individus fait son chemin230. Ainsi, des centres de détention privilégiant la resocialisation des condamnés, notamment les centres de semi-liberté, sont instaurés. Toutefois, en parallèle, ce sont, en 1974, les violences et les évasions231 qui rythment l’univers carcéral dont l’organisation est vraisemblablement défectueuse. Des mutineries très graves, tant des détenus que du personnel, se succèdent au sein des établissements. Afin de faire preuve d’humanisme, le président de la République, Valéry GISCARD D’ESTAING, déclare alors, le 10 août 1974, en serrant la main à un détenu,

que la « prison doit être la privation de liberté et rien d’autre ». Il crée alors un secrétariat d’État à la condition pénitentiaire232 avec le souhait d’améliorer les conditions de détention. Quelques changements peuvent être retenus. Par exemple, le travail pénitentiaire n’est plus envisagé de la même manière : il « n’est plus considéré comme un élément afflictif de la peine mais comme un moyen de réinsertion »233. En 1975, on relève une décroissance du nombre de détenus en raison de l’existence des peines de substitution234. La réforme menée en 1975 par legarde des Sceaux, Jean LECANUET,permet la classification des établissements, aménage les conditions de détention et assouplit les mesures d’exécution des peines235. En contrepartie sont créés les quartiers de plus grande sécurité (dans les maisons d’arrêt) et les quartiers de sécurité renforcée (dans les maisons centrales). Entre 1978 et 1981, la tendance est plutôt à la

229

L. n° 72-1226 du 29 déc. 1972 simplifiant et complétant certaines dispositions relatives à la procédure pénale, aux peines et à leur exécution, JORF 30 déc. 1972. Sur les pouvoirs du JAP en matière pénitentiaire : Cf. MARC

(G.), « Le juge de l’application des peines et le traitement pénitentiaire », fascicule ENM, 1976.

230

Cf. SEYLER (M), « La banalisation pénitentiaire ou le vœu d’une réforme impossible », Dév. et soc., 1980,

vol. 4, n° 2, pp. 131-147, spéc. p. 138 s.

231

À propos des différentes formes d’évasion (évasion simple, évasion aggravée) : Cf. CÉRÉ (J.-P.),« Prison », n° 344 s., Rép. pén., avr. 2015. En 2014, il y a eu 25 évasions contre 18 en 2013 (Source : Les chiffres-clés de

l’Administration pénitentiaire au 1er janv. 2015, Ministère de la Justice).

232

Ce secrétariat est confié à Hélène DORLHAC DE BORNE du 8 juin 1974 au 25 août 1976. Ce secrétariat n’existe

plus aujourd’hui. Elle a écrit un témoignage de son expérience en tant que secrétaire d’État pour les prisons. Elle y décrit l’archaïsme et l’inadaptation des prisons : Cf. DORLHAC DE BORNE (H.), Changer la prison, éd. Plon, coll. Tribune libre, 1984.

233

VIMONT (J.-C.), La prison - À l’ombre des hauts murs, op. cit., p. 85. Toutefois, ce n’est qu’en 1987 que le travail n’est plus obligatoire en prison. Ce retard, pour le déclarer ainsi, démontre tout de même les effets positifs du travail obligatoire sur certains détenus.

234

L. n° 75-624 du 11 juill. 1975 modifiant et complétant certaines dispositions de droit pénal, JORF 13 juill. 1975.

235

réduction des pouvoirs du JAP et à l’instauration des mesures de sûreté236, lesquelles sont étendues trois ans après237 : la période est donc moins libérale.

Robert BADINTER, désigné garde des Sceaux sous la présidence de François MITTERRAND en 1981, poursuit l’œuvre d’humanisation, mais va bien plus loin, considérant, comme un auteur, que « l’humanisme pénitentiaire est compatible avec le bon ordre et la sûreté des prisons »238. Outre l’abolition de la peine de mort239, ce garde des Sceaux s’est, en effet, investi en faveur de l’amélioration des conditions de vie des détenus, permettant ainsi de nombreuses évolutions : le décloisonnement de la prison française240, l’organisation de formations professionnelles, d’activités culturelles, éducatives ou d’enseignement, la suppression des dispositifs de séparations dans les parloirs, l’assouplissement des conditions de vie dans le quartier disciplinaire, l’accès aux télévisions241 dans les cellules (etc.). Du point de vue du renforcement de la sécurité, si les quartiers de sécurité renforcée sont supprimés en 1982, reste toujours la catégorie des détenus particulièrement signalés créée en 1967242. Néanmoins, la politique pénale, imposant toujours plus d’humanisation des prisons (suppression du costume pénitentiaire, etc.), fragilise la confiance du personnel pénitentiaire quant à l’intérêt de leur mission et encourage des mouvements de grève de leur part.

En outre, en 1985, parce que la délinquance augmente, que les moyens de poursuite sont davantage élaborés et que les décisions s’avèrent peut-être plus sévères qu’auparavant, la France fait face à un nouveau surpeuplement carcéral, limitant alors grandement le processus d’humanisation qui semble remporter un succès mitigé. À partir de 1986, l’État tente de pallier cette problématique par un programme de construction de nouvelles prisons (programme Albin CHALANDON, etc.243), d’autant qu’un an plus tard, le législateur affirme

236

L. n° 78-1097 du 22 nov. 1978 modifiant certaines dispositions du Code de procédure pénale, JORF 23 nov. 1978.

237

L. n° 81-82 du 2 févr. 1981 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, JORF 3 févr. 1981.

238

LÉAUTÉ (J.), Les prisons, op. cit., p. 11.

239

L. n° 81-908 du 9 oct. 1981 portant abolition de la peine de mort, JORF 10 oct. 1981.

240

Cf. MOUNAUD (P.), « La modernisation du service public pénitentiaire », Rev. pénit., 2008, pp. 821-826, spéc.

p. 822 s.

241

Cf. FAVARD (J.), « La télévision dans les prisons », RSC, 1986, p. 903 s. ; COURT (C.), « L’usage du numérique en milieu carcéral », RSC, 2015, p. 693 s.

242

Note (abrogée) du 12 juill. 1967 instituant un répertoire des détenus particulièrement signalés ; Circ. (abrogée) de la Direction de l’Administration pénitentiaire du 18 déc. 2007 d’application de l’instruction ministérielle relative au répertoire des détenus particulièrement signalés (NOR : JUSK0740099C). Circ. du 15 oct. 2012 relative à l’instruction ministérielle relative au répertoire des détenus particulièrement signalés (NOR : JUSD1236970C).

243

que le service public244 pénitentiaire participe notamment à l’exécution des décisions pénales, dans une loi du 22 juin 1987245. En aucune manière, la prison en tant que peine n’est menacée246. En 2002, apparaîtront également des établissements pénitentiaires pour mineurs, preuve que les gouvernants considèrent que la peine de prison est admissible bien avant la majorité247.

En conséquence, si l’on constate certaines avancées en matière d’humanisation, elles restent timides (par exemple, en matière de santé, grâce à l’introduction des services de soins en prison). L’amélioration de l’univers carcéral est davantage tournée vers la lutte contre la surpopulation carcérale, traduction d’une recherche contre « l’obsolescence de notre système pénal »248 notamment en matière délictuelle249. Ainsi, les « acquis humanitaires »250 sont conservés, mais ce sont les problèmes réels qui doivent être résolus. Par conséquent, plusieurs nouveautés interviennent : par exemple, le juge des libertés et de la détention décide désormais de l’opportunité de l’emprisonnement provisoire. On recourt aussi au bracelet électronique251. Malgré ces différentes mesures, il paraît difficile de juguler le problème de la surpopulation pénale. Depuis 2001, l’ensemble des personnes écrouées détenues (prévenus et

244

L’Administration pénitentiaire peut être considérée comme remplissant une mission de service public. Le service public est l’organisme administratif qui remplit une mission « destinée à satisfaire un besoin d’intérêt général » (V° « Service public » in CORNU (G.), Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, op. cit., pp. 958-959). V. aussi : LOUVARIS (A.), Droit administratif, éd. PUF, 1ère éd., coll. Licence, 2011, p. 129 s. ; WALINE (J.), Droit administratif, éd. Dalloz, 25e éd., coll. Précis, 2014, p. 373 s. ; FRIER (P.-L.), Précis de droit

administratif, éd. Montchrestien, 6e éd., coll. Domat Droit public, 2010, p. 185 s. ; MORAND-DEVILLER (J.),

Droit administratif, éd. Montchrestien Lextenso éditions, coll. Cours, 2011, p. 451 s. ; GONOD (P.) (dir.),

MELLERAY (F.) (dir.)etYOLKA (P.), Traité de droit administratif, Tome 2, éd. Dalloz, coll. Traités Dalloz, 2011, p. 46 s. ;TRUCHET (D.), Droit administratif, éd. PUF, 6e éd., coll. Thémis droit, 2015, p. 317 s. ; CHRÉTIEN (P.), CHIFFLOT (N.) et TOURBE (M.), Droit administratif, éd. Dalloz, coll. Sirey Université, 14e éd., 2014, p. 591 s. ;

Cf. infra nos 154, 254 s. et 498.

245

L. n° 87-432 du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire, JORF 23 juin 1987.

246

De plus, les retouches de l’action disciplinaire favorables aux détenus témoignent de la naissance de la prison contemporaine dont le point d’ancrage semble être la jurisprudence Marie du 17 février 1995 : Cf. infra n° 150.

247

L. n° 2002-1138 du 9 sept. 2002 d’orientation et de programmation pour la justice (JORF 10 sept. 2002). Cf. GIACOPELLI (M.), « Les dispositions procédurales de la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 applicables aux mineurs et majeurs délinquants : continuité ou rupture ? », JCP G., n° 23, 4 juin 2003, I, 139. Ils ne seront opérationnels qu’à partir de 2007. Cf. infra nos 210 s.

248

PENAUD (B.), « La surpopulation carcérale n’est pas une fatalité », Gaz. Pal., 15 mai 2014, n° 135, p. 5 s. 249

La surpopulation carcérale est perçue comme une fatalité alors que sont annoncés des moyens de combattre ce fléau (systématisation des aménagements de peine, diversification des établissements pénitentiaires, etc.). Cf. SENNA (E.), « Des moyens de combattre le fléau de la surpopulation carcérale », Gaz. Pal., 20 sept. 2012, n° 264,

p. 7 s. ; DEVRESSE (M.-S.), « La gestion de la surpopulation pénitentiaire : perspectives politiques, administratives et juridictionnelles », Droit et soc., 2013/2, n° 84, pp. 339-358.

250

COUVRAT (P.), « De la réforme Amor à nos jours » in BORRICAND (J.) (dir.), La réinsertion des délinquants :

Mythe ou réalité ?, op. cit., pp. 35-41, spéc. p. 39.

251

L. n° 2002-1138 du 9 sept. 2002 d’orientation et de programmation pour la justice (JORF 10 sept. 2002). Cf. VIMONT (J.-C.), La prison - À l’ombre des hauts murs, op. cit., p. 92.

condamnés écroués) a fortement augmenté252 sans que les autorités ne réussissent vraiment à réduire ou stabiliser leur taux de détention253. Leur nombre est passé de 48 216 en 2001254 à 66 818 en décembre 2015255. En outre, on sait clairement que « la mise en place d’un numerus

clausus dont le fonctionnement mécanique comportera toujours une dose de libération à

l’aveugle pourrait être mal interprétée par la population. On doit pouvoir parvenir à garantir l’individualisation des mesures qui seront mises en œuvre pour remédier aux conséquences néfastes du surpeuplement carcéral »256. En ces circonstances, les parlementaires se tournent d’abord vers les conditions de détention jugées, à l’heure actuelle, humiliantes pour la République française257, poussant la doctrine à noter, encore récemment, que « la condition pénitentiaire, en France, est l’une des plus dures d’Europe »258 et que « […] nul ne peut ignorer que les conditions de vie des détenus, en France, restent trop souvent placées sous le signe de la violence et de l’arbitraire »259. Ces dernières années, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté260 a utilisé quatre fois la procédure d’urgence261 en raison des conditions indignes de détention : au sein des centres pénitentiaires de Nouméa le 6 décembre 2011 et de Marseille le 12 novembre 2012, du quartier pour mineurs de la maison d’arrêt de Villeneuve-Lès-Maguelone le 23 avril 2014 et de la maison d’arrêt de Strasbourg le 13 mai 2015.

252

Selon un auteur, cela témoigne de plusieurs éléments : « les efforts des parquets et des juridictions pour traiter toutes les affaires poursuivables, la stabilité de certains paramètres sociaux relatifs aux délinquants mais aussi aux types de police proactive [...] » : DANET (J.),« Bref commentaire de l’annuaire statistique 2009-2010 en matière pénale », AJ Pénal, 2011, p. 122 s.

253

Cette observation est particulièrement marquante pour beaucoup de pays fortement touchés par la crise économique : Cf. LÉNA (M.), « Les prisons d’Europe face à la crise économique », AJ Pénal, 2015, p. 112 s. 254

Source : BÉRARD (J.) et CHANTRAINE (G.), 80 000 détenus en 2017 ? Réforme et dérive de l’institution

pénitentiaire, éd. Amsterdam, 2008.

255

Source : Statistique mensuelle des personnes écrouées et détenues en France, situation au 1er déc. 2015,

Ministère de la Justice.

256

SENNA (E.), « Le manque durable d’espace vital en cellule est un traitement inhumain et dégradant », Gaz.

Pal., 12 mars 2013, n° 71, p. 16 s.

257

Cf. infra nos 77 s.

258

HEYMANN-DOAT (A.) et CALVES (G.), Libertés publiques et droits de l’homme, éd. LGDJ, 9e éd., coll. Systèmes, 2008, p. 273. 259 Ibid., p. 274. 260 Cf. infra nos 133 s. 261

En vertu de l’art. 9 de la loi 2007-1545 du 30 oct. 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

En conséquence, cette interrogation d’un auteur apparaît légitime et actuelle : « l’enseignement est que l’Histoire se répète, [...] aurons-nous la force au XXIe siècle de trouver une solution, une réponse différente de celle du XVIIIe siècle ? »262.

16. Conditions inhumaines de détention. À la fin du XXe siècle, un auteur estime

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