• Aucun résultat trouvé

Prescriptions européennes « Les sociétés et les coutumes diffèrent, les pouvoirs

Dans le document La réforme pénitentiaire (Page 61-65)

et les lois changent, mais les droits de l’homme libre ou privé de liberté resteront les mêmes, [...], leur promotion et protection, doivent être une des questions prioritaires de la Communauté internationale »339.

La promotion des droits de l’homme peut être largement perçue au prisme des différentes prescriptions internationales340 mais surtout européennes. Le respect des droits de l’homme est donc à l’origine de nombreuses initiatives de telle sorte qu’un auteur estime que « cela donne parfois une impression de confusion »341. En effet, à l’échelle européenne, le cadre du Conseil de l’Europe342 et celui de l’Union européenne343 se côtoient pour former la sphère juridique des droits de l’homme. Notons cependant, qu’à ce stade, les prochains

335

Cf. FRIER (P.-L.) et PETIT (J.), Droit administratif, éd. Montchrestien, 9e éd., coll. Domat Droit public, 2014, p. 553 s.

336

CE 4 janv. 1918, recueil des arrêts du CE, p. 9 s.

337

CLAEYS (A.), L’évolution de la protection juridictionnelle de l’administré au moyen du recours pour excès de

pouvoir, Th., Université de Poitiers, 2005, p. 648 s.

338

Reconnaissance de droits aux individus incarcérés, augmentation des recours, entrée progressive du droit en prison, entrée des avocats à la commission de discipline, création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, etc. Sur les travers de l’entrée du droit en prison (témoignages) : Cf. ROSTAING (C.), « Processus de judiciarisation carcérale : le droit en prison, une ressource pour les acteurs ? », Droit et soc., 2007/3, n° 67, pp. 577-595.

339

EL TARI (K.), Les sources internationales du droit pénitentiaire, Th., Université de Poitiers, 2004, p. 390.

340

Par exemple, la Convention de l’Organisation des Nations Unies contre la torture du 18 décembre 2002 (entrée en vigueur le 22 juin 2006) permet la visite régulière des lieux de privation de liberté par dix experts indépendants. De plus, le protocole facultatif de la Convention impose la mise en place de mécanismes nationaux de prévention chargés de contrôler la situation des personnes privées de liberté (ratifié par la France le 28 juillet 2008). Cf.DUROCHÉ (J.-P.) et PÉDRON (P.), Droit pénitentiaire, op. cit., p. 63 s.

341

RENUCCI (J.-F.), Traité de droit européen des droits de l’Homme, éd. LGDJ, 2e éd., coll. Traité, 2012, p. 11.

342

Cf. SCALIA (D.), Droit international de la détention. Des droits des prisonniers aux devoirs des États, LGDJ, 2015, p. 36 s.

343

Ibid., p. 47 s. Le droit de l’Union européenne est doté également d’un livre vert sur l’application de la législation en matière de justice pénale dans le domaine de la détention.

développements seront uniquement consacrés au droit européen issu du Conseil de l’Europe344 dont la dimension d’harmonisation et non d’unification nous semble plus juste345.

Le « droit européen »346 visé par cette étude est très influent puisqu’il s’impose aux autorités étatiques qui ont ratifié les textes se référant de près ou de loin aux règles, aux droits et garanties à respecter dans le monde carcéral. Puisque « la tendance actuelle des systèmes européens doit se rapprocher d’une nouvelle légitimation de la peine privative de liberté »347, celle-ci doit être organisée selon les commandes prescrites par le droit européen. À ce propos, un auteur précise qu’« il est évident que le droit européen doit jouer un rôle important, car si le droit national l’emporte systématiquement, on ne voit pas pourquoi l’on aurait créé un droit européen »348. Pour autant, si l’Europe peut être considérée comme un « laboratoire d’expérimentation, notamment sur le plan des droits de l’homme et de la nécessité de réinventer un droit commun »349, il n’est pas question d’unification350 dès lors que les États conservent leur souveraineté dans ce domaine.

Dans son aspect normatif, le droit européen de la détention rassemble principalement la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales351, la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants352, les règles pénitentiaires353 ainsi que tout texte officiel européen ou tout travail effectué par des comités ou conseils se rapportant à la matière

344

Cette étude fait essentiellement le choix de se concentrer sur les influences et les apports du Conseil de l’Europe en matière pénitentiaire. Toutefois, l’analyse soulève aussi que la charte de l’Union européenne peut être une source en la matière, car la Convention du Conseil de l’Europe et la charte « convergent évidemment amplement » (DELARUE (J.-M.) propos recueillis par F. FOURMENT, « Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et les conditions de détention », Gaz. Pal., 9 févr. 2013, n° 40, p. 26 s.). Par ailleurs, on soulèvera que la Convention européenne, largement inspirée de la Déclaration du 26 août 1789, correspond à un standard commun qui a toujours plus ou moins existé dans notre droit, puisque la France, à l’initiative de cette déclaration, est considérée comme le pays des droits de l’Homme, montrant alors la voie à ses homologues.

345

L’unification impose des règles à respecter. L’harmonisation instaure des standards à respecter.

346

Toutefois, il est important de préciser que le droit européen même ainsi nommé fait partie du droit dit interne car il est applicable devant les juridictions internes.

347

BELDA (B.), Les droits de l’Homme des personnes privées de liberté. Contribution à l’étude du pouvoir

normatif de la Cour européenne des droits de l’homme, Th., éd. Bruylant, coll. Droit de la Convention

européenne des droits de l’homme, 2010, p. 295 s.

348

PRADEL (J.), « Droit pénal européen et droits pénaux nationaux », Rev. pénit., 2015, pp. 9-28, spéc. p. 10. 349

RENUCCI (J.-F.), Traité de droit européen des droits de l’Homme, op. cit., p. 9.

350

Les sources ne cherchent pas à uniformiser mais à légitimer des normes de référence : Cf. SCALIA (D.), Droit

international de la détention. Des droits des prisonniers aux devoirs des États, LGDJ, 2015, p. 435 s.

351 Cf. infra nos 39 s. 352 Cf. infra nos 46 s. 353 Cf. infra nos 53 s.

pénitentiaire. Cet ensemble qui connaît la suprématie d’un droit supranational354, incite clairement à la réforme et stimule d’ailleurs en grande partie les évolutions du droit interne. Qu’ils soient obligatoires (la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales) ou qu’ils manquent de force contraignante (les règles pénitentiaires européennes), ces textes ont un effet de fondamentalisation sur notre droit pénitentiaire national.

Dans ses aspects fonctionnels et jurisprudentiels, outre l’intervention non- juridictionnelle du Comité européen pour la prévention de la torture, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) « contribue pleinement à donner plus de portée aux concepts de démocratie et d’État de droit, ainsi qu’à l’édification d’un ordre public européen des droits de l’Homme »355, même détenu. Bien que certains personnels pénitentiaires se sentent ainsi dépossédés de leur autorité356, chaque État membre doit pouvoir permettre à la personne détenue de présenter un recours devant un organe juridictionnel interne dans la situation où elle se trouverait victime d’un non-respect de ses droits. Quoi qu’il en soit, la Convention européenne « suscite une nette attraction sur le droit pénitentiaire français » 357 et l’activité croissante de la CEDH dans des arrêts concernant la prison oblige à cette situation. À ce titre, des auteurs évoquent l’exercice par le juge européen d’un « panoptisme inversé »358. Poussés par ce « libéralisme d’inspiration européenne »359, les États se doivent d’être de bons élèves sous peine de condamnation. Toutefois, le juge européen n’est pas un ennemi mais plutôt un allié360, dès lors que les droits de l’homme peuvent aussi représenter des « ressources »361 pour le droit pénitentiaire national. En effet, on sait que, d’une manière générale, la

354

Cf. infra nos 60 s.

355

DOURNEAU-JOSETTE (P.), « Les conditions de détention et la CEDH : les droits fondamentaux à l’assaut des prisons », Gaz. Pal., 9 févr. 2013, n° 40, p. 5 s. Un auteur évoque la constitution d’« un pluralisme juridique ordonné » : DELMAS-MARTY (M.),Vers un droit commun de l’humanité, éd. Textuel, coll. conversations pour

demain, 1996, p. 225.

356

Cf. DE GALEMBERT (C.), « “La prière qui n’existe pas...”. Sociologie d’une mise à l’épreuve du droit

disciplinaire en maison centrale », Droit et soc., 2014/2, n° 87, pp. 349-374 ; CASADAMONT (G.), « Notes pour une sociologie du rapport surveillant(s)/détenu(s) », RSC, 1991, p. 58 s.

357

CÉRÉ (J.-P.), « Le système pénitentiaire français » in CÉRÉ (J.-P.) et JAPIASSÙ (C. E. A.) (dir.), Les systèmes

pénitentiaires dans le monde, éd. Dalloz, 2e éd., coll. Thèmes et commentaires, 2011, p. 165 s., spéc. p. 166.

358

CLIQUENNOIS (G.), CARTUYVEIS (Y.) et CHAMPETIER (B.), « Le contrôle judiciaire européen de la prison : les droits de l’homme au fondement d’un panoptisme inversé ? », Dév. et soc., 2014/4, vol. 38, pp. 491-519.

359

KOERING-JOULIN (R.), « Des implications répressives du droit au respect de la vie privée de l’article 8 de la

Conv. EDH », RSC, 1986, p. 721 s., spéc. p. 746.

360

Cf. TULKENS (F.), « Les prisons en Europe. Les développements récents de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme », Dév. et soc., 2014/4, vol. 38, pp. 425-448, spéc. p. 445.

361

BERNARD (M.-J.), L’administration pénitentiaire française et l’article 3 de la Convention européenne des

droits de l’homme. Étude du processus de « réception administrative » de la norme supranationale, Th.,

jurisprudence362 rendue « tend à prendre, en présence d’un texte de droit pour le moins obscur, force de droit »363. Dans le domaine strictement pénitentiaire, c’est le cas : la convention est loin d’être explicite sur le sort des personnes privées de liberté364. Le juge de Strasbourg remplit donc un rôle d’interprète auprès des autorités nationales et tire de la convention une protection catégorielle365 destinée au respect des droits des individus incarcérés. Cette étude choisira plusieurs domaines pour lesquels l’activité de la Cour européenne est particulièrement importante et représentative des problématiques récurrentes rencontrées par le système pénitentiaire interne notamment en matière de santé des personnes détenues ou encore de traitement tenant à la sécurité carcérale.

Liées à une certaine fragilité normative et donc à une application du texte parfois inadaptée aux conditions carcérales, les (trop nombreuses et régulières) condamnations de la France par la CEDH sont d’ailleurs la preuve d’une normativité pénitentiaire défectueuse, qui s’échine à appréhender la « complexité statutaire du détenu homme et sujet »366. « En faisant sienne la jurisprudence européenne et en se montrant plus soucieux des conditions de détention, le juge interne favorise une prise de conscience collective et incite l’État à rechercher plus activement une solution globale au problème des conditions de détention inadéquates. En cela, l’avancée est déjà substantielle »367. Perçue comme « un horizon indispensable »368, l’Europe conduit donc le droit français à faire d’elle un réel atout. Il est, d’ailleurs, difficile de faire autrement car si les textes du Conseil de l’Europe ne sont pas toujours « juridiquement contraignants comme l’est une directive de l’Union européenne, [...] ils le sont politiquement et moralement »369, influençant alors logiquement la construction de notre droit de la prison dans un sens certain d’humanisation du système carcéral. Par sa vision

362

Cela est le cas non seulement pour la jurisprudence européenne mais aussi nationale. Concernant le domaine strictement pénitentiaire : Cf. ERRERA (R.), « Les juges et la prison : les raisons et les conséquences de leur intervention », Les cahiers de la justice, 2013/4, p. 7 s.

363

PIERRAT (E.), Antimanuel de droit, éd. Bréal, 2007, p. 168.

364

Cf. infra n° 41.

365

Cf. infra nos 41, 196, 364, 472 s.

366

BELDA (B.), Les droits de l’Homme des personnes privées de liberté. Contribution à l’étude du pouvoir

normatif de la Cour européenne des droits de l’homme, Th., op. cit., p. 28.

367

ROBERT (A.-G.), « Conditions de détention : lorsque les juges nationaux prennent le relais de la Cour européenne des droits de l’Homme », Dr. pén., n° 10, oct. 2013, étude 15.

368

TOURNIER (P.-V.), « Prévenir la récidive ? Commencer par appliquer les recommandations qui font consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe sur les mesures et sanctions pénales », Contribution écrite à la

conférence de consensus sur la prévention de la récidive des 13 et 14 févr. 2013, p. 1.

369

symboliquement370 juridico-humaniste, la loi pénitentiaire fait par exemple partie de ces différentes évolutions371.

25. Rôle du droit européen et de la loi pénitentiaire dans l’hybridation

Dans le document La réforme pénitentiaire (Page 61-65)

Outline

Documents relatifs