DU DROIT PÉNITENTIAIRE NATIONAL
P ARAGRAPHE 2 L E MODÈLE EUROPÉEN PRESCRIPTEUR D ’ OBLIGATIONS POSITIVES ET NÉGATIVES
79. Prise en charge médicale perfectible des détenus La protection de l’intégrité
physique des détenus concerne également la santé des détenus. « Pendant longtemps, la question de la santé en prison a pris l’allure d’une question de fait, en tout cas d’une carence d’un monde pénitentiaire qui ne concernait qu’assez indirectement le processus judiciaire »757. Désormais, il s’agit de prendre en compte la difficulté quant à la possibilité de leur fournir des
751
Sur les moments à hauts risques suicidaires : Cf. Rapport 2011 de l’Observatoire International des Prisons (OIP), op. cit., p. 234.
752
Cf. Circ. du 2 août 2011 relative à l’échange d’informations entre les services relevant du Ministère de la Justice et des Libertés visant à la prévention du suicide en milieu carcéral (BOMLJ 31 août 2011).
753
Cf. CEDH Renolde c. France, 16 oct. 2008, n° 5608/05 : préc. Confirmation de la jurisprudence : CEDH
Donler et De Clippel c. Belgique, 6 déc. 2011, n° 8595/06 : Rev. pénit., 2011, p. 917 s., chron.PÉCHILLON (E.). 754
Sur la question des troubles mentaux et des risques suicidaires, une décision des autorités belges, accordant l’euthanasie à un détenu atteint de troubles mentaux, a posé de nombreuses questions quant au respect des exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La Cour européenne a considéré que « si la Belgique autorise l’euthanasie depuis 2002, elle ne peut se réfugier derrière le respect de la loi nationale pour échapper à l’obligation conventionnelle d’offrir au requérant des conditions de détention compatibles avec le respect de la dignité humaine » : FALLON (D.), « Le prisonnier, l’euthanasie et la convention européenne des droits de l’homme », AJDA, 2015, p. 437 s.
755
DE GRAËVE (L.), « Le droit à la vie et l’administration pénitentiaire - Soumission du monde carcéral aux exigences du principe de prévention », RFDA, 2009, p. 947 s.
756
Il doit être « apprécié au regard de sa rigueur, de sa durée, de l’objectif poursuivi et de ses effets sur la personne concernée » : CÉRÉ (J.-P.), « La Cour européenne des droits de l’Homme et la protection des droits des
détenus », Rev. pénit., 2009, p. 367 s., spéc. p. 373. Cf. infra n° 90.
757
soins appropriés alors qu’ils sont privés de liberté. Si, la médecine carcérale est problématique758, elle ne doit surtout pas faire l’objet d’une suspension qui serait justifiée par la détention759.
La loi du 18 janvier 1994760 a permis une prise en charge sanitaire des détenus, quel que soit leur lieu d’incarcération. Tous les établissements pénitentiaires signent ainsi une convention avec un hôpital proche de la prison et aménagent en leur sein un lieu de santé. Cependant, malgré la reconnaissance du progrès effectué en la matière761, certains médecins dénoncent les problèmes dus à l’environnement carcéral762 dont certaines hypothèses peuvent être évoquées : un détenu épileptique qui se trouve sur un lit superposé avec le risque d’une chute grave, le manque de douches régulières, le manque de sport763, l’absence d’eau chaude dans les cellules, la configuration des locaux non adaptés à l’éventuel handicap764 des personnes détenues. La loi n’a pu empêcher la toxicomanie765, l’alcoolisme, la dépression et la pauvreté pénitentiaire qui, au-delà d’être de véritables risques pour le régime carcéral,
758
VASSEUR (V.), Médecin-chef à la prison de la Santé, op. cit., p. 47 s. (« La santé dans tous ses états ») ; TROUILLARD PERROT (M.), « La santé “carcéralisée” : gestion de soi et chronicité pénitentiaire », Nouvelle revue
de psychosociologie, 2007/2, n° 4, pp. 41-57.
759
Cf. LAMBERT (P.), « Le sort des détenus au regard des droits de l’homme et du droit supranational », chron. préc., spéc. p. 299 s.
760
L. n° 94-43 du 18 janv. 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale, JORF 19 janv. 1994. Cf. BERGOIGNAN-ESPER (C.), « La santé en prison : quelle législation ? », RDSS, 2009, p. 497 s.
761
DANET (J.), « La notion d’état de santé et la détention en Europe », chron. préc., p. 49 s. ; BEAUPÈRE (P.), « La santé en détention », Rev. pénit., 2005, p. 63 s. ; Par exemple, pour les détenus diabétiques : « Le matériel a aussi évolué : les produits se trouvent dans des stylos auto-piqueurs ce qui évite la présence de seringues dans la détention ».
762
CEDH Kudla c. Pologne, 26 oct. 2000, n° 30210/96 : D. actu., 5 déc. 2006, obs. GIRAULT (C.) ; D. actu., 14 févr. 2011, obs. PRIOU-ALIBERT (L.) « Condamnation de la France pour conditions de détention contraires à l’article 3 de la Convention EDH » ;Les grands arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme, éd. PUF,
7e éd., coll. Thémis droit, 2015, p. 168 s., obs. MILANO (L.) et p. 459 s., obs. ANDRIANTSIMBAZOVINA (J.) ; CEDH Price c. Royaume-Uni, 26 oct. 2000, n° 33394/96 ; CEDH Matencio c. France, 15 janv. 2004, req. n° 58749/00 : préc. ; CEDH Farbtuhs c. Lettonie, 2 déc. 2004, n° 4672/02 ; CEDH Mouisel c. France, 2 déc. 2004, n° 67263/01 : préc.
763
Cf. SABATIER (J.-P.), « Sport et exécution de la peine », Rev. pénit., 1995, pp. 220-222 ; FERRI (T.) et BRKIĆ
(D.), La condition pénitentiaire. Essai sur le traitement corporel de la délinquance, op. cit., p. 127 s. ; GRAS (L.), « Carrières sportives en milieu carcéral : l’apprentissage d’un nouveau rapport à soi », Sociétés contemporaines, 2003/1, n° 49-50, pp. 191-213.
764
« En théorie, un détenu auxiliaire de vie nous est affecté » (Témoignage d’un détenu incarcéré à la maison d’arrêt de Fresnes en janvier 2010 retranscrit dans le Rapport 2011 de l’Observatoire International des Prisons (OIP), op. cit., p. 173). La France a été récemment condamnée pour non-respect de l’article 3 de la Conv. EDH dans une affaire où le détenu, souffrant d’un grave handicap, n’avait pas reçu de soins de rééducation en kinésithérapie pendant plusieurs mois et accédait notamment aux douches uniquement avec l’aide de son codétenu : Cf. CEDH Helhal c. France, 19 févr. 2015, n° 10401/12 : D. actu., 2 mars 2015, obs.LÉNA (M.) ; Gaz.
Pal., 16 avr. 2015, n° 106, p. 12 s.,note ROBERT (A.-G.) ; AJ Pénal, 2015, p. 219 s. et D., 2015, p. 1122 s. et Rev.
pénit., 2015, p. 378 s. obs. CÉRÉ (J.-P.). Le Contrôleur général a alerté plusieurs fois de la situation médicale des
détenus. Par exemple sur la kinésithérapie : Cf. CGLPL, Rapport annuel d’activité 2012, op. cit., p. 233 s.
765
constituent des dangers pour la santé publique766 . Par ailleurs, il s’agit de noter l’indispensable travail à effectuer sur les détenus concernant l’éducation pour une santé meilleure dans les établissements pénitentiaires. Les initiatives d’éducation à la santé et à la vie courante à leur arrivée en prison sont cependant trop insuffisantes notamment chez les jeunes détenus767.
Les peines sont en grande majorité courtes768, ce qui ne favorise pas l’installation d’un traitement thérapeutique régulier pour ceux qui en ont besoin. De plus, avant même son commencement, le traitement est souvent voué à l’échec en raison d’une absence de suivi hors détention. En outre, « une des différences avec le dehors réside dans l’absence de choix du praticien (en prison), qui est une des clés de voûte du système de soins du dehors »769.
Par ailleurs, il faut reconnaître que les établissements pénitentiaires sont inégaux devant la possibilité de faire face aux problèmes sanitaires pour des raisons qui se résument parfois aux manques de moyens et d’effectifs. La principale difficulté se présente au sujet des maladies chroniques qui sont très souvent mal soignées comme, par exemple, le diabète770. De plus, il faut constater qu’au sein de la population concernée, de nombreuses personnes sont âgées771. Ces dernières souffrent souvent d’invalidités lourdes, mais ne bénéficient pas pour autant de soins adaptés772. Or, « une absence de surveillance et de traitement médical corrélée
766
Cf. HENNION-JACQUET (P.), « Soigner et punir : l’improbable conciliation entre santé et prison », op. cit., p.
259 s.
767
Cf. DELARUE (J.-M.), « La protection de la santé dans les lieux de privation de liberté », Gaz. Pal., 16 janv. 2010, n° 16, p. 10 s.
768
Plus de la moitié des peines fermes prononcées pour délit sont inférieures à 6 mois. Source : Ministère de la Justice, Prévention de la récidive et individualisation des peines, Chiffres-clés, juin 2014.
769
Ibid.
770
Ibid. (Une plaie sur une jambe qui ne sera pas tout de suite soignée pourra s’aggraver et amener à l’amputation totale ou partielle de ce membre lors d’une extraction hospitalière beaucoup trop tardive).
771
CEDH Papon c. France, 7 juin 2001, n° 54210/00 : préc. ; RENUCCI (J.-F.), Traité de droit européen des
droits de l’homme, op. cit., p. 142 s.
772
Droit comparé - La France ne prévoit pas d’âge limite de détention mais la loi pénitentiaire pose des conditions possibles à l’octroi de la libération conditionnelle si l’individu a plus de soixante-dix ans (Cf. Art. 82 L. pénitentiaire modifiant l’art. 729 du C. pr. pén.). En Suisse, il faut noter que le Conseil fédéral peut édicter des dispositions concernant l’exécution des peines et des mesures prononcées à l’encontre des personnes malades, infirmes où âgées (art. 387 du C. pén. suisse). Toutefois, ces dispositions sont prises après consultation des cantons, la loi ne fixant pas précisément la limite d’âge de détention. En France, l’état de santé peut être pris en considération pour l’octroi de la libération conditionnelle. C’est aussi le cas en Espagne, en Italie (il s’agit cependant ici d’une assignation à domicile ou dans un établissement de soins comme au Danemark) et au Royaume-Uni. En Allemagne, il est possible d’obtenir une suspension de l’exécution de sa peine. En Belgique, la situation est plus sévère : ni grâce ni libération conditionnelle n’est octroyée sur le fondement de l’état de santé d’une personne âgée. Cf. SÉNAT, La libération des détenus âgés, Les documents de travail du Sénat, Série Législation comparée, n° LC 98, nov. 2001.
à des conditions de détention préjudiciables à la guérison du sujet ne peut que conduire à une violation de l’article 3 »773.
Enfin, en pratique, on observera que le paramètre sécurité étant évidemment fortement marqué en prison, le secret médical est bien souvent bafoué par les agents pénitentiaires : d’une part en raison de leur présence lors des examens médicaux ou lors des commissions pluridisciplinaires uniques774 et d’autre part, en raison de leur connaissance du cahier électronique de liaison exigeant au personnel soignant775 de produire une fiche sur le profil médical du détenu776. Ainsi, quand il est mis en œuvre, ce droit à la santé du détenu est fortement limité.