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Incitation au changement du droit national Chaque année, la CEDH publie des

Dans le document La réforme pénitentiaire (Page 119-123)

DU DROIT PÉNITENTIAIRE NATIONAL

S ECTION 1 L’ HARMONISATION RECHERCHÉE DES DROITS NATIONAUX EUROPÉENS

72. Incitation au changement du droit national Chaque année, la CEDH publie des

statistiques sur les violations commises par les États. Ces dernières sont inscrites dans un tableau dans lequel on retrouvera le nombre de violations par État et par article665. On remarquera alors que la France, communément appelée le pays des droits de l’homme pour son œuvre en la matière, n’est pas toujours le pays des droits de tous les hommes. Par exemple, en 2011, cinq violations de l’article 3 de la Conv. EDH sur l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants666 et dix atteintes à l’article 6 de la Convention européenne concernant le droit à un procès équitable peuvent être relevées. Parmi ces violations, il est très important de noter que pour certaines, les intéressés sont souvent des détenus667. Depuis, les statistiques ont évolué car on remarquera que pour l’année 2014, une violation de l’article 3 et deux violations de l’article 6 ont été condamnées par la CEDH668.

Concrètement, à la suite de l’arrêt de condamnation, il s’agit parfois de constater que si la règle contentieuse à l’origine d’une décision des autorités nationales est censurée par le

662

LAZAUD (F.), L’exécution par la France des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, Tome 1, op.

cit., p. 44. 663 Ibid., p. 39. 664 Ibid., p. 210. 665

Par ex. pour l’année 2011 : Cf. URL : http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/884BB081-2A43-47EA-B00E- C56046255F5C/0/TABLEAU_VIOLATIONS_FR_2011.pdf.

666

ROBERT (J.) et DUFFAR (J.), Droits de l’homme et libertés fondamentales, éd. Montchrestien, 8e éd., 2009, p. 387 s. ; LETTERON (R.), Libertés publiques, éd. Dalloz, coll. Précis Dalloz, 9e éd., 2012, p. 312 s. ; RENUCCI

(J.-F.), Traité de droit européen des droits de l’homme, op. cit., p. 118 s. et 139 s.

667

Sur l’adaptation de l’art. 3 de la Conv. EDH à la situation des détenus : cf. MATHIEU (G.), Les droits des

personnes incarcérées dans les pays de la Communauté européenne, Th., op. cit., p. 86.

668

juge européen, elle peut être toujours appliquée en droit français669, la CEDH n’ayant pas le pouvoir de supprimer une norme nationale. Elle rend seulement des arrêts pour l’avenir à caractère déclaratoire. L’État encourt alors potentiellement d’autres sanctions s’il ne met pas en œuvre des outils permettant de pallier les futures situations litigieuses. « Poussé dans ses conséquences extrêmes, ce caractère implique aussi, pour le passé, que les violations constatées par les arrêts durent depuis le jour où l’État en cause a été lié par la Convention ou le protocole applicable et, pour l’avenir que l’État condamné doit rester livré à lui-même pour définir le contenu des réformes de nature à mettre son droit interne en conformité avec les exigences de la CEDH »670.

A priori, ce n’est donc pas l’intervention des juges de Strasbourg qui forcera le

législateur français à changer la loi671. Un auteur évoque, avec raison, un risque d’insécurité juridique672 dans le cas où le juge français devrait absolument mettre à l’écart une règle censurée par la CEDH alors même que celle-ci est toujours valide dans l’ordre juridique français.

Cependant, comme il a été dit précédemment673, selon l’article 46§2 de la Convention européenne, le Comité des Ministres est chargé de surveiller l’exécution obligatoire des arrêts de la CEDH674. « Cette complémentarité est un gage d’efficacité, l’organe judiciaire ayant le pouvoir de rendre des décisions, tandis que l’organe politique en contrôle l’exécution »675. Il a, d’ailleurs, déjà affirmé qu’il attachait une « très grande importance à la pleine et diligente exécution »676 des arrêts rendus par la CEDH. En outre, si, pour le Comité, c’est à l’État condamné de prendre, seul, la décision d’empêcher une nouvelle violation par la mise en place de mesures concrètes, la jurisprudence de la CEDH guide l’État dans la prise de

669

Cf. LAZAUD (F.), L’exécution par la France des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, Tome 1,

op. cit., p. 224.

670

MARGUÉNAUD (J.-P.), La Cour européenne des droits de l’homme, éd. Dalloz, 6e éd., coll. Connaissance du

droit, 2012, p. 164.

671

Sur la présence de signes de désintérêt à l’égard des jugements européens : LAZAUD (F.), L’exécution par la

France des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, Tome 1, op. cit., pp. 239-244.

672

Ibid., p. 226 s.

673

Cf. supra n° 69.

674

Cf. RENUCCI (J.-F.), « Droit européen des droits de l’homme. Mesures générales et/ou individuelles : l’ingérence de la Cour européenne des droits de l’homme (année 2010) », D., 2011, p. 193 s. ; BLAY-

GRABARCZYK (K.), AFROUKH (M.) et SCHAHMANECHE (A.), « Le contrôle de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme », RFDA, 2014, p. 935 s.

675

RENUCCI (J.-F.), « Le mécanisme européen de protection des droits de l’Homme : le temps des réformes » in

Le droit pénal à l’aube du troisième millénaire, op. cit., pp. 253-270.

676

COMITÉ DES MINISTRES, Réponse à la Recommandation 1477 (2000) de l’Assemblée parlementaire, 779e

conscience de la perfectibilité de son droit et des efforts qui peuvent donc être accomplis à cette occasion677. Toutefois, le Comité peut se montrer plus exigeant, d’autant plus dans le cas des arrêts condamnant des violations graves678. À ce titre, le Comité signalera parfois à l’État que la mesure adoptée par l’autorité législative, après l’intervention de l’arrêt de condamnation, peut s’avérer insuffisante679. Un auteur fait remarquer qu’il serait judicieux qu’avant cela, la Cour de Strasbourg délivre à chaque fois à l’État « quelques indications sur le contenu des réformes qu’il dev(rait) entreprendre »680. À ce propos, on notera tout l’intérêt des arrêts dits « pilotes »681, rendus en vertu de l’article 61 du règlement de la Cour et qui ont pour objet de résoudre à l’avance des affaires « clones »682 relevant d’un même problème juridique683 « structurel »684 ou « systémique »685.

677

Cf. MARGUÉNAUD (J.-P.), La Cour européenne des droits de l’homme, op. cit., p. 168.

678

Cf. Résolution intérimaire Res DH (2002) 98 du 10 juill. 2002, bull. inf. n° 57, p. 20.

679

Si l’État demeure dans sa position, le Protocole additionnel à la Conv. EDH n° 14 prévoit la possibilité pour le Comité des Ministres de former un recours en manquement : Cf. RENUCCI (J.-F.), « Le Protocole n° 14

amendant le système de contrôle de la Convention européenne des droits de l’homme », Gaz. Pal., 13 juill. 2010, n° 194, p. 15 s.

680

MARGUÉNAUD (J.-P.), La Cour européenne des droits de l’homme, op. cit., p. 166. 681

Procédure utilisée la première fois dans un arrêt CEDH Broniowski c. Pologne du 22 juin 2004 (n° 31443/96 :

Les grands arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme, éd. PUF, 7e éd., coll. Thémis droit, 2015, p. 855 s., obs. ANDRIANTSIMBAZOVINA (J.)). Cf. MARGUÉNAUD (J.-P.), La Cour européenne des droits de l’homme,

op. cit., p. 166 s. ; RENUCCI (J.-F.), Traité de droit européen des droits de l’homme, op. cit., p. 1059 s. ; LAZAUD

(F.), « L’objectivisation du contentieux européen des droits de l’homme », Revue de la recherche juridique, Droit prospectif, 2005-2, p. 913 s.

682

MARGUÉNAUD (J.-P.), La Cour européenne des droits de l’homme, op. cit., p. 166.

683

Droit comparé - Concernant le problème récurrent du surpeuplement carcéral, par exemple en Italie, où la situation apparaît très préoccupante aux yeux du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe (RAIMBOURG (D.),

Encellulement individuel. Faire de la prison un outil de justice, Rapport de mission n° 2388, Assemblée

nationale, nov. 2014, p. 29 s. et 37 s.) : CEDH Torreggiani et a. c. Italie, 8 janv. 2013, n° 435117/09 : D. actu., 24 janv. 2013, obs. LÉNA (M.) ; Gaz. Pal., 12 mars 2013, n° 71, p. 16 s. noteSENNA (E.) ; AJ Pénal, 2013, p. 361

s. obs. PÉCHILLON (E.) ; L’essentiel droit de la famille et des personnes, 15 févr. 2013, n° 2, p. 6 s., obs. LARRALDE (J.-M.) ; D., 2013, p. 1304 s., obs. CÉRÉ (J.-P.). Depuis, l’Italie a mis en place un plan d’action basé sur pas moins de trois lois en l’espace de quelques mois : L. n° 94 du 9 août 2013 prévoyant un accès facilité au bénéfice de la réduction de peine pour bonne conduite (« liberazione anticipata ») et aux mesures alternatives à la détention, ainsi qu’une application élargie de la détention à domicile ; L. n° 10 du 21 févr. 2014 prévoyant l’élargissement de l’utilisation du bracelet électronique, la détention à domicile pour les peines ou les parties de peine restant à purger inférieures à 18 mois, des réductions de peine plus importantes pour les personnes ayant participé avec succès aux activités de réinsertion durant la période 2010-2015, et l’instauration d’une réclamation de type juridictionnel devant le magistrat de l’application des peines pour dénoncer des conditions matérielles de détention ; L. n° 67 du 28 avr. 2014 modifiant le système des sanctions pour les délits mineurs. En particulier, elle prévoit la suspension du procès et la mise à l’épreuve pour les personnes accusées de délits passibles de quatre ans de prison au maximum, la détention à domicile comme peine principale, applicable directement par le juge, et l’utilisation élargie des travaux d’intérêt public et portant sur la dépénalisation de l’immigration clandestine ; L. n° 79 du 16 mai 2014 a réintroduit dans le système italien la distinction, aux fins du système de sanctions, entre les conduites illicites liées aux drogues légères et celles liées aux drogues dures).

684

RENUCCI (J.-F.), FRICERO (N.) et STRICKLER (Y.), « L’arrêt pilote : le pragmatisme au service des droits de

l’homme », D., 2013, p. 201 s.

685

Finalement, le recours individuel d’un détenu pourra faire procéder à des réformes législatives dans l’État condamné. L’intérêt686 de ce dernier est, d’ailleurs, de faire face à ce problème de violation et donc de prendre des mesures générales afin d’éviter la multiplication de plaintes687 et le renouvellement de condamnations688. L’idée est aussi que ce dernier doit toujours se montrer très attentif aux arrêts rendus par la CEDH dans des affaires qui ne le concernent pas directement689. En effet, la Cour de Strasbourg a très tôt affirmé que « ses arrêts servent non seulement à trancher les cas dont elle est saisie, mais plus largement à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention, et à contribuer de la sorte au respect, par les États, des engagements qu’ils ont assumés en leur qualité de Parties contractantes »690. Affirmer ceci correspond à appliquer l’article 32 de la Convention européenne691 selon lequel les arrêts de la Cour seraient dotés de l’autorité interprétative692 de la chose jugée et non plus simplement relative. C’est pourquoi la Cour fait parfois appel au pouvoir normatif des États membres en leur indiquant la nécessité de créer des mesures législatives nationales dans la matière concernée. Elle aura donc enjoint, par exemple, que « compte tenu de l’importance des répercussions d’une détention en cellule disciplinaire, un recours effectif permettant au détenu de contester aussi bien la forme que le fond, et donc les motifs d’une telle mesure devant une instance juridictionnelle est indispensable »693. Ici, les

686

« Même s’il n’est pas tenu de modifier la règle générale lui ayant valu une condamnation dont l’écho a été fortement amplifié par les médias, l’État a en effet le plus grand intérêt à procéder aux réformes qui s’imposent rationnellement s’il ne veut pas provoquer une pluie de requêtes individuelles susceptibles de lui attirer de nouvelles humiliations strasbourgeoises diplomatiquement et politiquement embarrassantes » : MARGUÉNAUD

(J.-P.), La Cour européenne des droits de l’homme, op. cit., p. 168.

687

Cf. LAZAUD (F.), L’exécution par la France des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, Tome 1,

op. cit., pp. 248-251 s.

688

Ibid., pp. 251-254 s.

689

La France a, d’ailleurs, tiré les conséquences des jurisprudences Salduz (CEDH 27 nov. 2008, n° 36391/02 :

Les grands arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme, éd. PUF, 7e éd., coll. Thémis droit, 2015, p. 426 s., obs. GOUTTENOIRE (A.)) et Dayanan (CEDH 13 oct. 2009, n° 7377/03 : D., 2009, p. 2897 s., RENUCCI

(J.-F.), AJ Pénal, 2010, p. 27 s., obs. SAAS (C.)) rendues par la CEDH contre la Turquie, en réformant le régime

de la garde à vue dans une loi n° 2011-392 du 14 avr. 2011 (JORF 15 avr. 2011) instaurant alors la présence de l’avocat dès la garde à vue.

690

CEDH Irlande c. Royaume-Uni, 18 janv. 1978, n° 5310/71. Cet arrêt précise aussi que le mauvais traitement ne doit pas atteindre un certain seuil de gravité qui « dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que du sexe, de l’âge, de l’état de santé de la victime, […] » (§ 162) ; Cf. LAMBERT (P.), « Le sort des détenus au regard des droits de l’homme et du droit supranational », RTDH, 1998, p. 291 s.

691

La CEDH est « l’interprète officiel de la Convention EDH » : Cf. RENUCCI (J.-F.), « Les frontières du pouvoir d’interprétation des juges européens », JCP G., n° 11, 14 mars 2007, act. 120.

692

Un auteur évoque l’« interprétation créative » de la Cour européenne des droits de l’Homme : DE LAMY (B.), « La Cour européenne des droits de l’homme, protectrice des droits fondamentaux », Dr. pén., n° 9, sept. 2011, étude 12.

693

termes employés par la CEDH sont clairement choisis afin de sommer l’État, au nom des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de prendre des mesures permettant de faire évoluer le droit français en faveur de ce qu’elle protège. Par voie de conséquence, « […] on peut déduire que la Cour européenne mène une politique jurisprudentielle délibérée de pression mise sur les États membres, relayée par les recommandations faites par le Conseil de l’Europe en matière de règles pénitentiaires européennes »694.

73. Modifications effectives du droit français à la suite d’un arrêt de

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