• Aucun résultat trouvé

Le rôle de l'accusatif dans l'expression des rapports spatiaux en serbo-croate

2.1 La structure [ kroz + SN-Accusatif]

2.1.1 Le rôle de l'accusatif dans l'expression des rapports spatiaux en serbo-croate

Sur l'ensemble des sept cas qui existent en serbo-croate, seuls les cinq cas obliques (le

Génitif, le Datif, l'Accusatif, l'Instrumental et le Locatif) participent à l'expression des

rapports spatiaux. La sémantique de ces marqueurs a fait l'objet de diverses études parmi

lesquelles nous citerons surtout (Ivić 1954, 1957, 1995 ; Batistić 1972 ; Piper 1977-78, 1997).

Un SN à l'Accusatif désignant l'entité-site peut se construire avec un verbe soit de

façon directe comme en [1]:

[1] Marko prelazi ulicu.

Marc traverse rue-Acc

"Marc traverse la rue."

soit de façon indirecte au moyen d'une préposition comme en [2] :

[2] Marko je ušao u kuću / kroz prozor.

Marc est entré dans maison-Acc / par fenêtre-Acc

"Marc est entré dans la maison / par la fenêtre."

Nous nous focaliserons ici sur les constructions transitives indirectes [2].

2.1.1.1 Deux valeurs sémantiques de l'Accusatif dans les structures locatives indirectes

(Ivić 1957)

Selon (Ivić 1957 : 152-154, 1995 : 207-208), il faut distinguer deux types de

complément prépositionnel de lieu avec le SN à l'Accusatif : "Les constructions qui expriment

le lieu où l'action prend fin (le but) constituent une première catégorie grammaticale, celles

qui désignent le lieu du déroulement de l'action dans son intégralité en constituent une autre"

(Ivić 1957 : 153). Ces deux valeurs sémantiques distinctes de l'Accusatif mises en évidence

par M. Ivić sont illustrées respectivement par les exemples [3] vs [4] :

[3] Stavio sam knjigu na sto / u torbu.

mis suis livre-Acc sur table-Acc / dans sac-Acc

"J'ai mis le livre sur la table / dans le sac."

[4] Tri dana smo putovali kroz Jugoslaviju.

trois jours sommes voyagés à travers Yougoslavie-Acc

"Nous avons voyagé à travers la Yougoslavie pendant trois jours."

Pour mettre en relief cette distinction sémantique très importante, l'auteur propose les termes

"accusatif1" pour l'accusatif de but et "accusatif2" pour l'accusatif désignant "le lieu du

déroulement de l'action dans son intégralité".

Accusatif1

Un test linguistique fiable permettant d'établir (et de vérifier le bien-fondé de) cette

opposition est que l'accusatif1 (l'accusatif de but) apparaît soit avec les prépositions u "dans",

na "sur" et o "accrocher à" qui peuvent également introduire des SN au Locatif, soit avec les

prépositions nad "au dessus de", pod "au dessous de", medju "parmi" et pred "devant" qui

peuvent également introduire des SN à l'Instrumental. Toutes ces prépositions en combinaison

avec l'accusatif de but expriment des procès téliques (qui impliquent, donc, un changement

par rapport à un cadre de référence) et plus particulièrement permettent de déterminer la

localisation de la cible dans la phase finale du déplacement (cf. [5]a. et [6]a.) .

[5] a. Marko trči u dvorište.

Marc court dans cour-Acc

"Marc court dans la cour." (la cour est le site final (anticipé) du déplacement)

b. Marko trči u dvorištu.

Marc court dans cour-Loc

"Marc court dans la cour." (le déplacement est limité à une même entité – à la cour)

[6] a. Petar se nadneo nad izvor.

Pierre s'est penché au dessus de fontaine-Acc

"Pierre s'est penché au dessus de la fontaine."

b. Grane vise nad izvorom.

branches pendent au dessus de fontaine-Ins

"Les branches pendent au dessus de la fontaine."

En revanche, en combinaison avec des SN au locatif [5]b. ou à l'instrumental [6]b., les

mêmes prépositions rendent compte des rapports spatiaux n'impliquant pas de changement

vis-à-vis d'un cadre de référence. Dans ce dernier cas, il peut s'agir de situations dynamiques

(changement d'emplacement) [5]b. ou statiques [6]b.

Ajoutons que c'est grâce à cette capacité de certaines prépositions à se combiner soit

avec l'accusatif de but, soit avec un autre cas (en général, avec le locatif ou l'instrumental) que

le serbo-croate parvient à distinguer rigoureusement des procès impliquant un changement par

rapport à un cadre de référence et ceux qui restent limités à une même entité.

Accusatif2

En revanche, l'accusatif2, qui permet d'identifier, selon Ivić (1957), "le lieu du

déroulement de l'action dans son intégralité", apparaît avec trois prépositions – kroz

travers/par", niz "en aval" et uz "en amont" – qui, à la différence des prépositions u, na, o etc.,

entrent en combinaison uniquement avec des SN à l'accusatif. On remarque que les

prépositions qui se combinent avec l'accusatif2 sont bien celles qui traduisent en serbo-croate

par et à travers exprimant le parcours. Ce n'est donc pas l'accusatif1 (de but) mais l'accusatif2

qui nous intéresse ici.

2.1.1.2 Le rôle de l'Accusatif2 dans la sémantique du déplacement

(Ivić 1957 : 154) souligne que la propriété sémantique essentielle de l'accusatif2

réside dans son caractère clairement dynamique puisqu'il insiste sur le parcours même d'un

lieu qu'effectue la cible au cours de son déplacement. En plus, l'accusatif2 est "le cas par

lequel on apporte des précisions sur la manière dont on parcourt l'espace (notions "kroz" à

travers, "niz" du haut vers le bas, "uz" du bas vers le haut)" contrairement à l'instrumental qui

exprime également "le lieu du déroulement de l'action dans son intégralité" mais qui est

neutre vis-à-vis de la façon de parcourir une entité (ex : ide putem "il marche sur la route").

Nous pensons, cependant, que ce n'est pas vraiment l'accusatif2 qui précise par son

contenu sémantique la manière de parcourir le site. En effet, il serait plus juste de dire que

l'accusatif2 exige qu'un autre élément dans la phrase, en général une préposition, apporte des

précisions sur la façon de parcourir l'espace. Il semble ainsi que chacune des trois prépositions

susceptibles d'introduire l'accusatif2 (kroz, niz, uz) reflète une manière particulière de

parcourir le site. Dans ce cas, les précisions sur la manière dont on parcourt le site viendraient

plutôt des prépositions kroz, niz et uz et non pas de l'accusatif2. Celui-ci semble neutre par

rapport à la façon dont on parcourt le site, ce qui lui permet justement d'accompagner trois

prépositions différentes dont chacune rend compte d'un parcours spécifique.

L'accusatif2, pour sa part, permet la focalisation sur la phase médiane du déplacement,

c'est-à-dire qu'il intervient dans les descriptions spatiales pour déterminer – en combinaison

avec certaines prépositions précises – la localisation d'une cible mobile PENDANT le

déplacement et non à la phase initiale ou finale du déplacement. Cette capacité de l'accusatif2

à saisir le déplacement dans sa portion médiane est confirmée par deux faits.

– D'abord, l'accusatif2 se combine toujours avec les prépositions qui sont clairement de

polarité médiane et qui expriment donc le parcours : kroz "à travers/par", niz "en aval" et uz

"en amont".

– Ensuite, il nous semble que la préposition na "sur/à" exprime deux rapports spatiaux

différents selon qu'elle se combine avec l'accusatif1 (de but) [7], ou avec l'accusatif2 [8] :

[7] Stavi knjigu na sto. / Popeo se na stenu.

mets livre-Acc sur table-Acc

1

/ monté s'est sur rocher-Acc

1

"Mets le livre sur la table" / "Il est monté sur le rocher."

[8] Ušao je na vrata. / Krv mu curi na nos / na ranu.

entré est sur porte-Acc

2

/ sang lui coule sur nez-Acc

2

/ sur plaie-Acc

2

Associée à un SN à l'accusatif1 (cf. [7]), le complément de lieu en na "sur/à" introduit le site

final du déplacement, alors qu'en combinaison avec l'accusatif2 (cf. [8]), la préposition na

"sur/à" exprime une relation spatiale où la cible est localisée par rapport au site durant la

phase médiane du déplacement, i.e. durant la phase du parcours. Ainsi, dans l'exemple [8], il

est clair que les noms vrata, nos, rana à l'accusatif2 introduits par la préposition na ne

désignent pas l'entité où le déplacement prend fin, mais un lieu de passage, i.e. un lieu

intermédiaire du déplacement.

Le caractère médian de la relation exprimée par na en [8] découle directement de la

combinaison de cette préposition avec l'accusatif2 qui possède la capacité de saisir le

déplacement dans sa portion médiane. Par conséquent, le fonctionnement de la préposition na

ne fait qu'accentuer la pertinence de l'opposition accusatif1/accusatif2 qui semble

correspondre, en fait, à l'opposition accusatif de polarité finale/accusatif de polarité médiane.

Si nous admettons que l'apport sémantique de l'accusatif2 dans l'expression du

déplacement réside dans sa capacité à déterminer la localisation de la cible pendant la phase

du parcours, il n'y a plus besoin de considérer que le déplacement décrit au moyen de

l'accusatif2 se déroule nécessairement en parcourant du début à la fin l'entité dénotée par le

SN à l'accusatif2, comme le propose (Ivić 1957). Nous estimons, en fait, que l'accusatif2 (ainsi

que les prépositions qui l'introduisent) est indifférent à cette contrainte et que le déroulement

des procès qu'il permet d'exprimer peut s'étendre sur plusieurs entités connectées au site

médian, comme cela apparaît dans les exemples [9] et [10] :

[9] Dunav protiče kroz Beograd.

Danube coule à travers Belgrade-Acc

2

"Le Danube coule à travers Belgrade."

[10] Sjurio se niz stepenice sa desetog sprata.

lancé se du haut vers le bas escaliers-Acc de dixième-Gén étage-Gén

"Il a dévalé l'escalier sur dix étages."

Cependant, même si les constructions avec les SN à l'accusatif2 rendent compte

parfois des procès mettant en jeu plusieurs entités, comme en [9] et [10], grâce à l'accusatif2,

ces compléments prépositionnels se focalisent toujours sur la seule portion médiane du

déplacement. En bref, le SN à l'accusatif2 désigne toujours un site médian, que le déplacement

soit limité ou non au seul site médian.