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pro-Pour mieux circonscrire les concepts sous-tendant la sémantique du préfixe pro-, nous

avons voulu examiner, aussi bien du point de vue syntaxique que sémantique, les types de

compléments avec lesquels ses dérivés peuvent entrer en combinaison. L'idée sous-jacente est

que le préfixe pro- introduit – à travers l' instruction sémantique qu'il véhicule – un certain

nombre de contraintes de sélection non seulement sur les verbes auxquels il peut s’appliquer,

mais aussi sur les compléments de lieu susceptibles d'accompagner les dérivés obtenus.

Du point de vue syntaxique, les 220 dérivés en pro- que nous avons pris en

considération s'emploient pour la plupart dans trois types de construction de phrase :

[SNAg pro-V SN],

[SNAg pro-V SNcible Prép SNsite] et

[SNcible pro-V Prép SNsite].

3.3.1 La structure transitive directe [SNAg pro-V SN]

Les dérivés construits avec pro- à partir des verbes dont l’action altère l’intégrité d’un

objet (classe 4, ex : kopati "creuser") et à partir des verbes de changement d'état (classe 5, ex :

kvasiti "mouiller") apparaissent dans la construction transitive directe [SNAg pro-V SN] :

[39] Prokopali su tunel za deset dana.

Pfx-creusés sont tunnel en dix jours-Acc

"Ils ont creusé (lit. trans-creusé) le tunnel en dix jours."

[40] Pacov je proglodao plafon.

rat est Pfx-rongé plafond-Acc

"Un rat a transpercé (lit. trans-rongé) le plafond (en le rongeant)".

Dans certains cas, l’agent du déplacement encodé par le SN sujet joue en même temps le rôle

de cible du fait de la progression qu’il effectue au fur et à mesure de la réalisation de l’action.

L’objet direct peut dénoter soit l’entité dont on altère l'intégrité (plafond, en [40]) soit l’entité

immatérielle (tunnel, en [39]) résultant de l’action désignée par le verbe.

La complexité syntactico-sémantique de ces verbes est une conséquence directe de

leur complexité morphologique ; alors que le préfixe pro-, par sa sémantique, met l’accent sur

le déplacement accompagné d’un changement vis-à-vis d'un cadre de référence, le verbe de

base souligne, grâce à son très grand degré de transitivité et ses propriétés sémantiques,

l’affectation du site (cf. Sarda 1999).

3.3.2 La structure causative [SNAg pro-V SNcible Prép SNsite]

Les verbes en pro- formés à partir des verbes causatifs de déplacement (classe 1.c, ex :

voditi "guider") s'emploient dans la structure [SNAg pro-V SNcible Prép SNsite]. Bien

que transitive, cette structure se distingue considérablement de la structure précédente par la

façon dont les rôles de cible, de site et d’agent de déplacement – composants sémantiques de

la notion de déplacement, sont encodées dans la syntaxe :

[41] Vodič je proveo turiste ispred opštine.

guide est Pfx-guidé touristes-Acc devant mairie

"Le guide est passé devant la mairie en guidant les touristes."

Les dérivés de ce type ont pratiquement gardé la structure agentive des verbes de base (ex :

guider) où le rôle de cible est assigné au SN objet direct, le rôle de site au SN complément de

la préposition et le rôle d'agent du déplacement au sujet de la phrase :

[42] Marie guide les touristes à travers la ville.

3.3.3 La structure transitive indirecte [SNcible pro-V Prép SNsite]

Tous les autres verbes en pro-, et ils constituent la grande majorité, fonctionnent dans

la construction transitive indirecte [SNcible pro-V Prép SNsite]. Il s'agit de dérivés en

pro- construits à partir de verbes de mouvement (classe 1 sauf d. – § 3.2 ci-dessus), de verbes

se référant à des phénomènes sonores (classe 2 – § 3.2 ci-dessus) et de verbes de perception

visuelle (classe 3 – § 3.2 ci-dessus). L’entité effectuant le déplacement est désignée par le SN

sujet et le SN-site se trouve dans la position de complément indirect.

L’examen de la combinatoire des dérivés en pro- avec différentes prépositions

spatiales ne fait qu’accentuer certaines propriétés des notions de progression et de découpage

d’un segment qui sont censées sous-tendre la sémantique de pro-. Parmi les compléments de

lieu susceptibles d’accompagner les verbes dérivés par pro-, nous pouvons faire une première

distinction entre les compléments exprimant la localisation externe [43] et ceux qui décrivent

une relation de localisation interne [44].

[43] Pas je protrčao ispred /iza /pored kuće.

chien est Pfx-couru devant /derrière /près de maison-Gén

"Le chien est passé devant/derrière/près de la maison en courant."

[44] Vojska je prodefilovala preko glavnog trga /kroz grad.

armée est Pfx-défilée par principal place-Gén /à travers ville-Acc

"L’armée a défilé par la place centrale/à travers la ville."

Du point de vue cognitif, cela correspond au fait que le cadre de référence par rapport

auquel une entité en mouvement est provisoirement localisée peut être situé soit sur la

trajectoire même empruntée par la cible (localisation interne - [44]), soit en dehors de sa

trajectoire (localisation externe - [43]).

Compléments de localisation externe

Pour ce qui est de la localisation externe, les dérivés en pro- sélectionnent

principalement des compléments locatifs introduits par les prépositions ispred+SN-Gén

"devant" (ex : [43]), iza+SN-Gén "derrière", pored+SN-Gén "à côté de" (ex : [43]), etc. Dans

tous ces cas, le site peut être conceptualisé comme un point qui découpe le parcours de la

cible en deux portions (cf. schéma 1 ci-dessus) ce qui permet un changement par rapport à ce

cadre de référence. A l'opposé, les verbes construits par pro- ne sont pas compatibles, par

exemple, avec des compléments locatifs de localisation externe en duž+SN-Gén "le long de"

et en oko+SN-Gén "autour de". Ces compléments décrivent des configurations spatiales

"étendues/non-bornées" qu'il est impossible d'envisager comme un simple point par rapport

auquel s'effectue un changement de cadre de référence.

[45] *Marko je protrčao duž reke / oko kuće.

Marc est Pfx-couru le long de rivière-Gén / autour de maison-Gén

"Marc est passé le long de la rivière / autour de la maison en courant."

Les dérivés en pro- n'acceptent pas non plus les compléments désignant des sites

initiaux ou finaux du déplacement. Loin de pouvoir jouer le rôle des repères médians

permettant le découpage d'un segment, les sites initiaux et finaux introduiraient simplement

des bornes sur l'ensemble du parcours effectué par la cible, d'où l'inacceptabilité des exemples

[46]-[48].

[46] *Prošli smo iz Beograda.

passés sommes de Belgrade-Gén

*"Nous sommes passés de Belgrade."

[47] *Prošli smo u kuhinju.

passés sommes dans cuisine-Acc

(*)

"Nous sommes passés dans la cuisine

11

."

[48] *Prošli smo iz sobe u kuhinju.

passés sommes de chambre-Gén dans cuisine-Acc

(*)

"Nous sommes passés de la chambre dans la cuisine."

Si le concept de découpage d'un segment permet la présence de bornes définissant une portion

à l’intérieur du parcours lui-même, la notion de progression s'oppose à l'existence des bornes

portant sur le début ou sur la fin de l'ensemble du déplacement. Le déplacement exprimé au

11

Dans les exemples [47] et [48], on utiliserait en serbo-croate le verbe preći, construit sur la base du préfixe

pre- qui indique le passage d'un côté à l'autre ou, d'une façon plus générale, le passage d'un endroit à un autre.

Par rapport au français, le verbe preći couvre les emplois spatiaux du verbe traverser (ex : Marc a traversé la

rue. "Marko je prešao ulicu.") et une partie des emplois du verbe passer où le site est le lieu final du déplacement

(ex : Ils sont passés dans le salon. "Oni su prešli u dnevnu sobu.").

moyen des dérivés en pro- est de caractère continu d'où l'impossibilité de l'envisager, dans sa

totalité, avec un début et/ou avec une fin.

Compléments de localisation interne

Les compléments de localisation interne se combinant avec les dérivés en pro- sont

introduits, en général, par les prépositions kroz+SN-Acc "à travers, par", preko+SN-Gén "par,

traverser", niz+SN-Acc "en aval", uz+SN-Acc "en amont". Tous ces compléments mettent

l'accent sur le fait que, dans son déplacement continu, la cible parcourt (et ne passe pas en

dehors de) l'entité-site désignée par le SN complément de la préposition. Mentionnons tout de

suite que ces prépositions seront décrites plus en détail dans le chapitre 6. Le cadre de

référence par rapport auquel est évaluée la position de la cible et qui découpe l'espace en deux

portions peut correspondre soit à l'entité-site entière, comme en [49] et [50], soit à un repère

implicite (en général, le locuteur) se situant à l'intérieur du site [51]. Dans ce dernier cas, le

site (la ville) n'est pas nécessairement parcouru d'un bout à l'autre.

[49] U povratku smo prošli preko Srbije.

dans retour-Loc sommes passés par Serbie-Gén

"Au retour, nous sommes passés par la Serbie."

[50] Provukao se kroz živu ogradu.

Pfx-traîné s'est à travers haie-Acc

"Il s'est faufilé à travers la haie."

[51] Petar je projahao kroz grad.

Pierre est Pfx-chevauché à travers ville-Acc

"Pierre est passé à cheval à travers la ville."

Des SN à l'Instrumental sans préposition servent très souvent de complément aux

dérivés en pro- :

[52] Auto je projurio našom ulicom.

voiture est Pfx-foncé notre-Ins rue-Ins

"Une voiture est passée dans la rue à toute allure."

Les entités dénotées par les SN à l'Instrumental sont conceptualisées comme non bornées ce

qui correspond effectivement à la représentation d'un déplacement continu suggéré par la

sémantique de pro-. Pour ce qui est du découpage d'un segment du parcours, il se fait

probablement par rapport à une région délimitée par le champ visuel d'un observateur externe

au site (souvent le locuteur). Il s'ensuit donc que la détermination de la localisation de la cible

se fait non seulement par rapport au site explicité (la rue), mais aussi par rapport à un

troisième élément présent dans la situation (cf. aussi l'exemple [51] ci-dessus). Selon A.

Borillo (1998 : 19),

"la localisation d'une cible par rapport à un site peut être déterminée également à

partir des coordonnées d'un troisième intervenant, l'observateur qui, se proposant de

décrire le fait spatial, crée une situation d'énonciation dans laquelle il se donne le rôle

de locuteur. La relation spatiale qu'il établit entre la cible et le site le place dans la

situation où il doit prendre en compte sa propre position dans l'espace. Il fixe, à partir

de sa personne et de la place qu'il occupe, la localisation d'entités en général dans un

espace limité par son champ de vision, et ce faisant, il joue en quelque sorte un rôle de

polarisateur."

Cette capacité de l'énonciateur de se manifester implicitement (sans se désigner) dans une

description spatiale (en tant que cadre de référence) est encore plus nette dans la phrase [53] :

[53] Neko je protrčao.

qq'un est Pfx-couru

"Quelqu’un est passé en courant."

La présence même du préfixe pro- révèle que le rapport spatial entre la cible et le site est

provisoire (changement vis-à-vis d'un cadre de référence) et qu'il y a donc un repère (portion

médiane) susceptible de découper l'espace parcouru par la cible en deux portions (portions

AVANT et APRES). Ce repère ne peut être que la position de l'énonciateur même.

Il s'ensuit que les restrictions de sélection qu'impose le préfixe pro- sur les

compléments de lieu susceptibles d'accompagner les verbes qu'il permet de former, découlent

directement des concepts de progression et de découpage d'un segment de l'ensemble du

parcours effectué par la cible.