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3.1 Versant spatial du concept de trajet : par et les entités spatiales

3.1.1 Catégorisation des entités spatiales dans la langue

Cinq principales catégories d'entités spatiales ont été dégagées à partir de l'observation

de différents marqueurs spatiaux appartenant essentiellement au domaine de l'espace statique :

les "lieux", les "portions d'espace", les "objets", les "entités mixtes" et les "substances". Nous

allons d'abord reprendre les définitions de ces classes d'entités spatiales telles qu'elles sont

proposées dans les travaux cités ci-dessus. Dans un second temps, nous essaierons d'observer

Les portions d'espace sont des entités immatérielles qui, pour exister, doivent être

associées à une ou plusieurs entité(s) matérielle(s). Pour désigner les portions d'espace, le

français fait appel à différents types d'expression. On peut, par exemple, référer à ces entités

immatérielles par des noms comme le trou (dans la haie), l'ouverture, les fentes (des volets),

la fenêtre ouverte,etc., ou par des expressions complexes comme l'espace entre la maison et

le garage, etc. On remarque sur la base de ces quelques exemples que la manifestation

linguistique même des portions d'espace met très souvent au premier plan le fait que celles-ci

dépendent d'autres entités matérielles, non seulement pour leur localisation mais aussi pour

leur existence (cf. Vandeloise 1995 : 136).

Les entités considérées comme lieux possèdent deux propriétés majeures : elles sont

fixes dans un cadre de référence donné et déterminent une portion d'espace par rapport à leur

partie matérielle (cf. L'oiseau vole dans le pré). Autrement dit, un lieu est une entité à la fois

matérielle et immatérielle. La fixité des lieux fait que leur position est considérée, en général,

comme connue par les interlocuteurs. C'est ce que montre C. Vandeloise (1988) en étudiant

des emplois spatiaux de la préposition à. En effet, dans la mesure où les sites introduits par à

(dans son usage spécifié) doivent pouvoir remplir une fonction de localisation, cette

préposition ne peut s'associer qu'à des SN se référant à des entités dont la position est bien

spécifiée : "La spécification de la position du site, c'est-à-dire la précision avec laquelle elle

est localisée dans le savoir partagé des locuteurs, joue un rôle essentiel dans la distribution de

la préposition à." (Vandeloise 1988 : 126).

Puisque l'article indéfini indique l'absence de spécification du site, la préposition à se

combine difficilement avec les noms accompagnés de un, une, des (ex : *Pierre est à une

maison). En revanche, les noms propres de lieu semblent être des sites idéaux pour à (ex :

Pierre est à Paris). Etant donné qu'ils occupent des positions stables et bien connues par

rapport au cadre de référence terrestre, les lieux géographiques désignés par des noms propres

(ex : Canada,Paris, etc.) peuvent être considérés comme des lieux spécifiés par excellence.

Par ailleurs, les lieux géographiques déterminent bien des portions d'espace, ce qui est

révélé par la possibilité de recourir à une construction de type l'oiseau vole dans le pré.

L'emploi de la préposition dans indique qu'en plus de la partie matérielle, les lieux possèdent

une portion d'espace contenante nous permettant d'y localiser une cible qui n'est pas en

contact avec la partie matérielle du site.

La notion de lieu ne se limite pourtant pas aux seuls lieux géographiques. Ainsi, les

entités dénotées par les Noms de Localisation Interne (NLI) (ex : le bord du tapis, le fond du

jardin, le haut de la bouteille) répondent à la définition proposée pour saisir la notion de lieu.

En effet, les NLI découpent des parties de nature à la fois matérielle et immatérielle dont la

position est connue et stable par rapport à l'entité-tout. Le caractère immatériel des entités

désignées par les NLI apparaît dans les constructions comme le haut de la porte est sale ou la

mouche est au bord du tapis qui montrent que la portion à laquelle se réfère le NLI peut

s'étendre en dehors de la matérialité de l'entité-tout, la mouche pouvant ne pas être en contact

avec le tapis (cf. Aurnague 2000 : 15). A la différence des lieux géographiques dont la

position est évaluée par rapport au cadre de référence terrestre, les entités désignées par les

NLI sont considérées par rapport au cadre de référence correspondant à l'entité-tout dans son

ensemble. Il suffit de connaître la forme normale d'un bâtiment et surtout le contenu

sémantique (clairement localisateur) du NLI haut pour localiser le haut du bâtiment. Les

entités désignées par les NLI sont à distinguer des entités désignées par les Noms de

composant (le pied de la table, le volant de la voiture, le clavier de l'ordinateur). Ceux-ci

dénotent des parties aux limites et aux fonctions clairement définies qui ont une certaine

autonomie référentielle par rapport au tout, mais auxquelles n'est associée aucune portion

d'espace.

La catégorie des objets inclut des entités qui violent au moins l'une des contraintes

sous-tendant la notion de lieu. En général, il s'agit d'entités dont la position n'est pas fixe.

Cette absence de fixité concerne principalement les entités pouvant être déplacées (ex : la

table, l'armoire) ou celles susceptibles de se mouvoir (ex : la voiture). Certaines entités de la

classe des objets peuvent cependant être fixes (ex : le mur, l'arbre) mais faute d'une véritable

capacité à définir des portions d'espace, elles fonctionnent dans la/les langue(s) comme des

objets. En outre, M. Aurnague (1998) montre que les objets sont souvent des entités bien

structurées, ce qui veut dire que leurs parties constituent des régions clairement délimitées qui

remplissent des fonctions précises dans l'entité-tout (ex : rasoir/lame).

Les entités comme les bâtiments et les maisons constituent une catégorie ontologique

intermédiaire appelée entités mixtes. En effet, selon la nature des unités linguistiques qui les

désignent, ces entités peuvent être considérées comme lieux ou bien comme objets. D'une part

– et tout comme les lieux –, les bâtiments et les constructions sont des entités fixes qui

déterminent des portions d'espace dans lesquelles d'autres entités peuvent être localisées.

D'autre part, les entités mixtes possèdent certaines propriétés des objets. Il est en particulier

possible d'identifier dans leur structure interne des parties fonctionnellement et spatialement

bien délimitées (ce qui n'est, en général, pas le cas pour les lieux géographiques). Les SN

désignant des entités mixtes se retrouvent d'ailleurs dans des constructions de phrase dans

lesquelles apparaissent généralement des noms d'objets : (ex : Il construit/peint une

maison/chaise.)

Citons, enfin, la catégorie des substances dans laquelle sont classées des entités

matérielles massiques comme l'eau, le sable, la foule, le feuillage, etc. De nombreux travaux

en sémantique lexicale et formelle ont mis en évidence plusieurs types de substance. Ainsi,

(Aurnague & al. 1997 : 87) distinguent les substances génériques (ex : l'eau, le sable, l'alcool

du vin, etc.) et les "quantités de substance, ou morceaux de matières" (ex : cette eau, ce sable,

l'alcool de ce vin, etc.). Toutes ces entités ont cependant en commun d'être conceptualisées

comme homogènes et non-comptables.

Il est important de souligner que cette catégorisation n'est pas basée sur des

distinctions objectives, observables dans la réalité entre les entités spatiales, mais reflète

plutôt la façon dont les entités sont classées par et dans la/les langue(s). Elle est, plus

précisément, le résultat d'une interaction complexe entre la langue et la reconnaissance

non-linguistique des ressemblances et différences entre les entités spatiales.

La capacité des humains à adopter différents points de vue dans les descriptions

spatiales est un autre facteur très important que reflète la catégorisation des entités dans la

langue. Celle-ci nous permet, en effet, de décrire une même scène selon plusieurs perspectives

(cf. Tversky, Taylor & Mainwaring 1997 ; Tversky 1996 ; Vieu 1997). Ainsi, une même

entité, telle qu'une forêt, peut être classée comme un objet ou comme un lieu selon qu'elle est

envisagée en tant que collection d'arbres ou en tant qu'endroit où poussent des arbres. Le

changement de catégorie pour une entité spatiale peut également être dû aux phénomènes

discursifs, comme le montre L. Sarda (1999) à travers la notion de "lieu fonctionnel" :

"Une entité-objet (classification ontologique) peut très bien, dans le contexte d'un

énoncé (et via la spécification), acquérir les propriétés d'un lieu spécifié. Plus la

position d'une entité est spécifiée ou connue, plus elle est apte à remplir la fonction de

localisation. En jouant sur ces deux tableaux, les propriétés ontologiques intrinsèques

des référents spatiaux, et la possibilité de construire dans le discours un cadre de

référence pour une entité qui n'en possède pas a priori, on pourra mieux cerner ce que

nous appelons la notion de "lieu fonctionnel", c'est-à-dire, non pas une entité qui est

forcément un lieu en elle-même, mais une entité cognitive que le discours introduit

explicitement ou implicitement comme ayant les propriétés référentielles d'un lieu

spécifié" (Sarda 1999 : 111).

Il suit de ce qui précède que notre représentation des entités n'est pas établie une fois

pour toutes mais dépend de nombreux facteurs impliqués dans la description des phénomènes

spatiaux. Leur caractérisation repose à la fois sur leurs propriétés ontologiques et sur les

informations fournies par la langue. Nous continuerons en observant comment la préposition

par interagit avec les noms désignant les différentes catégories d'entités spatiales.