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Combinatoire du préfixe pro- avec différentes classes de verbes de base

L'analyse du sens spatial du préfixe pro- doit tenir compte en premier lieu des

propriétés sémantiques des verbes auxquels il peut s'appliquer. Dans "Le Dictionnaire du

serbo-croate standard" (Rečnik srpsko-hrvatskoga književnog jezika - RMS) en six volumes,

on trouve plus de 600 verbes construits au moyen du préfixe pro-. Il va de soi que tous les

verbes en pro- n'y sont pas recensés parce que ce préfixe est toujours productif. Ce chiffre

montre avant tout que les possibilités de construction de pro- sont très importantes, ce qui est

une conséquence directe de son caractère extrêmement polysémique.

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“The open-class, or lexical, subsystem represents conceptual content, while the closed-class, or grammatical,

subsystem represents conceptual structure” (Talmy 2000 : t.2 : 32/33).

En effet, aussi bien selon le RMS que selon (Mitrinović 1990), le préfixe pro- s'utilise

au moins dans huit sens différents. Il peut exprimer l'espace, le temps, l'inchoativité, la

pénétration, la perte, etc. Sur l'ensemble des verbes en pro- recensés dans RMS, nous ne

retiendrons que ceux qui sont toujours en usage, ce qui représente environ 440 verbes. La

moitié de ces verbes en pro-, environ 220, rendent compte des phénomènes spatiaux

dynamiques, c'est-à-dire d'un changement de localisation dans l'espace. Ce sont ces 220

verbes qui nous serviront de base pour la description de sens spatial du préfixe pro-.

L’analyse de ce corpus de 220 verbes montre que le préfixe pro- prend une valeur

spatiale en combinaison avec cinq classes sémantiques de verbes. Dans un premier temps,

nous ne prendrons en considération que les verbes perfectifs en pro-, i.e. ceux qui sont

construits par simple adjonction du préfixe (ex : protrčati "passer en courant", le premier

temps de la formation, cf. supra § 2). Ce n’est que plus tard que nous élargirons la description

aux verbes imperfectifs obtenus en un second temps de la formation par suffixation (ex :

protrčavati – cf. § 3.5 ci-dessous).

1) Tout d'abord, le préfixe pro- se combine avec les verbes de mouvement au sens

large du terme. Rappelons que, selon (Aurnague 2000 – cf. aussi Ch. 3, § 3.2.1 ci-dessus), le

terme de verbe de mouvement couvre :

i) d'une part les verbes de mouvement proprement dits – c'est-à-dire ceux qui

désignent un changement de position et de posture d'une entité qui bouge bien que ne

changeant pas de localisation par rapport un cadre de référence plus large que celui de l'entité

elle-même (ex : gesticuler) –, et

ii) d'autre part les verbes de déplacement impliquant un changement de localisation

(ex : errer, sortir). Pour ce qui est du déplacement, la cible peut :

- soit changer de position au sein d'un cadre de référence donné (la plupart du

temps le site introduit) mais sans pour autant changer de relation par rapport

à ce repère (ex : courir, errer, escalader) et dans ce cas nous parlerons de

changement d'emplacement – possible pour sautiller et obligatoire pour

rôder,

- soit modifier sa position (son emplacement) et sa relation par rapport au

cadre de référence (ex : sortir, entrer, quitter), ce que nous identifierons par

changement par rapport à un cadre de référence.

Nous examinerons maintenant le comportement de pro- vis-à-vis de ces différents types de

verbes de mouvement.

a) Le préfixe pro- peut s'ajouter à certains verbes de mouvement proprement dits tels

que batrgati se "se débattre" ou rasti "pousser", comme le montre l'exemple [18] :

[18] Biljka je prorasla izmedju ploča.

plante est Pfx-poussée entre dalles-Gén

"Une plante a pénétré en poussant entre les dalles."

Seuls, ces verbes excluent ou, tout du moins, n'impliquent aucun changement d'emplacement,

alors qu'en combinaison avec pro- ils dénotent des procès impliquant un changement vis-à-vis

d'un cadre de référence. Il est évident que c'est bien le préfixe pro- qui conduit à une

interprétation dynamique du procès désigné par le verbe de base. S'il est vrai que les verbes

probatrgati se "passer en se débattant" et prorasti "pénétrer en poussant" sont presque sortis

de l'usage courant, ils ne posent, en revanche, aucun problème de compréhension.

b) Le plus grand nombre des verbes de déplacement en pro- sont construits à partir des

verbes de mouvement impliquant un changement possible d'emplacement (sans changement

de cadre de référence) tels que tapkati "piétiner" et skakutati "sautiller" (on peut piétiner ou

sautiller sur place). L'exemple [20] montre que la combinaison de ces verbes avec pro- permet

d'exprimer une relation spatiale dynamique :

[19] Marija je skakutala u dvorištu pola sata.

Marie est sautillée dans jardin-Loc demi heure

"Marie a sautillé dans la cour pendant une demi heure."

[20] Marija je proskakutala pored nas.

Marie est Pfx-sautillée à côté de nous-Gén

"Marie est passé à côté de nous en sautillant."

Si dans l'exemple [19] on ne sait pas exactement si Marie sautille sur place ou en changeant

de position (changement ou non d'emplacement), dans l'exemple [20] où le verbe skakutati

"sautiller" est préfixé par pro- on est sûr qu'il y a un déplacement introduisant un changement

par rapport à un cadre de référence (changement d'emplacement + changement de relation).

En effet, l'entité-site ("nous") fixe un cadre de référence par rapport auquel nous pouvons

considérer que la localisation de la cible a changé.

Le cas des verbes de type trčati "courir"

A la suite de (Aurnague 2000), nous classons dans la même catégorie (verbes de

mouvement impliquant un changement possible d'emplacement) des verbes comme trčati

"courir", galopirati "galoper", leteti "voler" [21], etc. qui mettent l'accent intrinsèquement sur

la manière de se mouvoir (on peut courir sur place) : 8

[21] Ptica je letela iznad kuće.

oiseau est volée au-dessus de maison-Gén

"Un oiseau volait au-dessus de la maison."

[22] Ptica je proletela iznad kuće.

oiseau est Pfx-volée au-dessus de maison-Gén

"Un oiseau est passé au-dessus (à la perpendiculaire) de la maison (en volant)."

[23] Dva konja su progalopirala pored mene (ulicomi).

deux chevaux sont Pfx-galoppés à côté de moi-Gén rue-Ins

"Deux chevaux sont passés (dans la rue) à côté de nous en galopant."

Tout en supposant que (prototypiquement) la cible effectue le passage d'une sous-partie à une

autre sous-partie d'un même site, les verbes de base comme leteti "voler", trčati "courir",

galopirati "galoper", etc. sont atéliques et insistent plutôt sur la manière de se déplacer. En

revanche, l'adjonction du préfixe pro- à ce type de verbe, comme en [22] et [23], fait

apparaître un changement vis-à-vis d'un cadre de référence. Précisons que nous utiliserons ici

plutôt le terme "changement par rapport ou vis-à-vis d'un cadre de référence" que le terme

"changement de cadre de référence" car il peut y avoir un changement vis-à-vis d'un cadre de

référence sans qu'aucun changement de cadre de référence se produise véritablement. C'est le

cas de l'exemple [23] où un changement s'opère effectivement vis-à-vis du locuteur ("moi"),

mais sans qu'il y ait un véritable changement de cadre de référence ("rue").

Par ailleurs, parce que aussi bien le préfixe pro- en serbo-croate que le verbe passer

dans la traduction en français, dénotent une certaine continuité, il peut paraître bizarre de dire

que, dans les situations décrites en [22] et [23], la cible change de cadre de référence au cours

de son déplacement. Cette continuité est, en fait, coupée parce que l'on se fixe un repère, i.e.

un cadre de référence qui découpe "artificiellement" l'espace en deux portions : une portion

avant et une portion après le repère fixé.

La cible change réellement de cadre de référence lorsque un dérivé en pro- est

accompagné d'un complément exprimant la localisation interne, i.e. le passage dans le site :

[24] Petar je protrčao kroz dnevnu sobu.

Pierre est Pfx-couru à travers de séjour chambre-Acc

"Pierre est passé par le séjour en courant."

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Si ces verbes permettent généralement de dénoter des procès impliquant un changement d'emplacement, nous

estimons que cela vient de la pragmatique ; prototypiquement, un oiseau vole, un cheval galope ou l'on court en

changeant d'emplacement.

A la différence des situations décrites en [22] et [23] où l'espace emprunté/parcouru par la

cible est découpé "artificiellement" en deux cadres de référence distincts (avant et après), dans

la situation décrite en [24], le changement de cadre de référence s'opère par rapport à

l'entité-site effectivement parcourue par la cible. Pour mettre en valeur le changement vis-à-vis d'un

cadre de référence que fait apparaître le préfixe pro- en combinaison avec les verbes de type

courir, nous emploierons souvent dans la traduction en français les expressions à la hauteur

de ou à la perpendiculaire de.

Le cas du verbe pasti "tomber"

Mentionnons, enfin, le cas du verbe propasti "tomber à travers", dérivé à partir du

verbe pasti "tomber". En effet, bien qu'à première vue le verbe pasti "tomber" semble dénoter

un changement de cadre de référence, nous estimons que ce n'est pas toujours le cas et qu'il

s'agit plutôt d'un changement possible d'emplacement sur l'axe vertical avec changement de

relation (cf. Ch. 3, note 7)9. Nous pouvons nous rapporter à (Sarda 1999) qui montre que les

verbes exprimant un déplacement selon l'axe vertical tels que monter et descendre (mais aussi

tomber) dénotent des procès plutôt non-transitionnels dans la mesure où le haut et le bas –

pôles ou cadres de référence par rapport auxquels s'effectue le déplacement –, sont définis

universellement par rapport à l'axe vertical et non référentiellement par rapport à l'entité-site

considéré (cf. Ch. 6, § 2.4.2). Le haut et le bas constituent donc plutôt un continuum que deux

cadres de référence distincts (permettant un quelconque changement par rapport à eux). En

outre, il est important de souligner que, dans le cas des verbes comme tomber, descendre,

monter, etc., nous ne quittons pas notre base de localisation, parce qu'on se déplace

généralement à l'horizontale.

Ainsi, l'adjonction de pro- au verbe pasti "tomber" peut se justifier par la capacité de

ce préfixe à rendre compte d'un éventuel changement (susceptible de se produire au cours du

changement de relation) vis-à-vis d'un cadre de référence donné :

[25] Propao je kroz led koji se iznenada razbio.

Pfx-tombé est à travers glace-Acc qui s'est d'un coup brisé

"Il est tombé à travers la glace qui s'est brisée tout d'un coup."

c) L'association de pro- aux verbes de mouvement impliquant un changement

obligatoire d'emplacement (ex : defilovati "défiler") est possible mais rare si nous exceptons le

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En effet, (Aurnague 2000) montre qu'il est possible d'envisager l'existence d'une telle catégorie de verbes de

mouvement (ex : se relever, se heurter, etc.). L'auteur illustre un tel cas de mouvement en donnant l'exemple : le

judoka s'est relevé/redressé du tatami (Aurnague 2000 : 10).

groupe des verbes tels que lutati "errer", šetati "se promener", etc. qui, en combinaison avec

pro-, font preuve d'un comportement particulier (cf. § 3.6 ci-dessous).

[26] Komandant je prodefilovao sa svojom divizijom ispred opštine.

commandant est Pfx-défilé avec sa-Ins division-Ins devant mairie-Gén

"Le commandant a défilé avec sa division devant la mairie."

d) Le préfixe pro- entre très facilement en combinaison avec les verbes causatifs de

déplacement (ex : terati "pousser") qui se distinguent des autres verbes de déplacement par

leur structure argumentale qui contient, en plus de la cible et du site, un agent qui provoque le

déplacement de la cible. L'agent du déplacement est dénoté par le SN-sujet et la cible par le

SN-objet direct de la phrase.

[27] Proterali su stado ispred naše kuće.

Pfx-poussés sont troupeau-Acc devant notre-Gén maison-Gén

"Ils sont passés à la hauteur de notre maison en poussant le troupeau."

En dernière remarque on peut noter que nous n'avons recensé aucun cas où le préfixe

pro- se combine avec des verbes de déplacement impliquant un changement de cadre de

référence. C'est probablement dû au fait que le préfixe apporterait une information

(redondante) déjà présente dans la sémantique du verbe de base.

Nous avons analysé jusqu'à ce point la classe des verbes de mouvement au sens large

du terme à l’intérieur de laquelle ont été distinguées quatre sous-classes de verbes

susceptibles de construire un sens spatial en interaction avec le préfixe pro-. Nous avons pu

constater que, suite à la préfixation par pro-, le verbe dérivé acquiert un sens tout à fait

distinct du sens du verbe de base. Rappelons également que, conformément aux principes de

la morphologie aspectuelle, les verbes construits avec pro- sont perfectifs (ex : proleteti

"passer en volant") contrairement aux verbes de base (verbes de déplacement sans

changement de cadre de référence) qui sont intrinsèquement imperfectifs (ex : leteti "voler")

(cf. tableau 4 ci-dessous).

2) Une autre classe de verbes susceptibles d'entrer en combinaison avec pro- regroupe

les prédicats se référant à des phénomènes sonores qui peuvent accompagner certains

déplacements.

[28] Granata je propištala iznad šume.

obus est Pfx-sifflée au-dessus de forêt-Gén

"Un obus est passé au-dessus de la forêt en sifflant."

[29] Nešto prošušta nedaleko od nas.

qq'ch Pfx-fit un bruit non loin de nous-Gén

"Quelque chose passa en bruissant non loin de nous."

Contrairement aux verbes de base pištati "siffler" et šuštati "bruire", le verbe dérivé par

pro-est capable de référer à l'espace dynamique grâce à l'idée de progression impliquée dans la

sémantique du préfixe.

En observant plusieurs langues slaves (le serbo-croate, le bulgare, le slovène et le

polonais), M. Ivić (1982) trace l'évolution de la capacité des préfixes directifs do- ("venir") et

ablatif od- ("s'en aller") à s'appliquer à différentes catégories de verbe de base. Selon l'auteur,

ces deux préfixes s'appliquaient à l'origine exclusivement aux verbes de "déplacement" (ex :

courir). Leur potentiel sémantique se serait ensuite élargi par la prise en charge de

l'expression du déplacement lui-même. Ainsi, ils auraient commencé à s'appliquer également

aux verbes de mouvement (ex : lepršati "battre des ailes") en les transformant en verbes de

déplacement (odlepršati "s'en aller en battant des ailes"). Dans la phase suivante, les préfixes

directif do- et ablatif od- se seraient appliqués à des verbes dénotant des effets acoustiques

caractéristiques du déplacement de certains objets; l'exemple donné par l'auteur est celui d'une

charrette produisant un bruit spécifique de fracas (tandrkati "cahoter/gronder") seulement

lorsqu'elle se déplace, jamais lorsqu'elle ne bouge pas. Le fait même de désigner la production

d'un tel effet sonore par le verbe suggère qu'il y a inévitablement un déplacement. Selon

l'auteur, cela explique pourquoi, de tous les verbes qui n'impliquent pas le déplacement par

leur sémantique, les verbes se référant à des phénomènes sonores ont suivi le modèle des

verbes de déplacement en acceptant de se construire avec les préfixes directif do- et ablatif

od-. Puisque le préfixe (prolatif) pro- semble se comporter de la même façon vis-à-vis de ces

classes de verbe, il a dû subir une évolution analogue à celle des préfixes do- et od-. Il est

intéressant de mentionner que le slovène est allé le plus loin en appliquant les préfixes do- et

od- à des verbes comme rire, tousser, pleurer qui désignent des actions complètement

indépendantes de tout déplacement (cf. Ivić 1982).

3) Ensuite, le préfixe pro- peut prendre un sens spatial en combinaison avec plusieurs

verbes de perception visuelle, comme viriti "épier" [30] et gledati "regarder" [31] :

[30] Neko je provirio kroz prozor.

qq'un est Pfx-épié à travers fenêtre-Acc

[31] Naprežu oči ne bi li progledali

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kroz maglu.

forcent yeux-Acc pour Pfx-regardés à travers brouillard-Acc

"Ils s'efforcent pour percer à travers le brouillard."

Le rôle sémantique du préfixe pro- consiste à souligner que l'acte de perception se fait à

travers une entité matérielle ou à travers une ouverture qui peut y figurer.

4) Outre les verbes de mouvement et les verbes faisant appel au domaine de la

perception (auditive et visuelle), il existe une soixantaine de verbes en pro- renvoyant à des

phénomènes spatiaux dynamiques et qui sont dérivés à partir de verbes dont l'action altère

l'intégrité matérielle d'un objet. Il s'agit de verbes comme bušiti "percer", kopati "creuser",

seći "couper", grebati "gratter", kositi "faucher", etc.

[32] Moj tata je prokosio detelinu.

mon père est Pfx-fauché luzerne-Acc

"Mon père a fait un passage dans la luzerne en fauchant."

[33] Čim probušim dasku, dodaj mi jedan ekser.

dès que Pfx-perce planche passe me-Dat un clou-Acc

"Dès que je transperce la planche, passe-moi un clou."

Les verbes de base dénotent, en général, des actions correspondant au prélèvement ou

à l'écartement de la matière dans une entité matérielle. La particularité de leurs dérivés en

pro-réside dans le fait qu'ils impliquent la création d'une portion d'espace – c'est-à-dire d'une entité

immatérielle, à l'intérieur d'une entité matérielle. Si la zone dépourvue de matière par l'action

désignée au moyen du verbe de base n'a pas de forme précise, la portion d'espace résultant de

l'action exprimée par le dérivé en pro- apparaît principalement sous forme soit d'un trou, soit

d'un espace plus long que large comme le sentier, la route, le chemin, le passage, le tunnel,

etc. En plus d'une forme spécifique, ces espaces possèdent une fonction bien précise qui est,

en général, de permettre et de faciliter le passage à travers l'entité matérielle dont on altère

l'intégrité. L'idée d'aménagement d'un passage résulte donc de la combinaison des propriétés

sémantiques du verbe de base (retrait/écartement de la matière) et de la notion de progression

exprimée par le préfixe pro-. Par conséquent, nous ne sommes pas d'accord avec I. Grickat

(1966-67 : 205) qui soutient que la sémantique de ce préfixe se définit par la notion de

pénétration (à travers un objet). En fait, la pénétration qui apparaît dans l'interprétation de

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Précisons que l'usage de progledati dans le sens de "voir à travers" est rare, voire archaïque. Le sens courant

du verbe progledati est "ouvrir les yeux" – le préfixe a un sens inchoatif comme dans progovoriti "commencer à

parler" ou "acquérir l'usage de la parole". On dirait, par exemple, pour un chaton : Mače je progledalo pre dva

dana. "Le chaton a ouvert les yeux il y a deux jours"

certains dérivés en pro- n'est qu'une conséquence indirecte de l'interaction entre la notion de

progression suggérée par la sémantique du préfixe et l'idée de retrait de la matière véhiculée

par le sémantisme des verbes comme creuser, percer, etc. La notion de pénétration devient

inopérante dés qu'on associe le préfixe pro- à d'autres verbes comme courir, voler, etc. dont

l'action n'altère pas l'intégrité matérielle d'une entité.

5) De plus, il existe un petit groupe de verbes de changement d'état comme kvasiti

"mouiller" et mrznuti "geler" qui, préfixés par pro-, expriment une sorte d'imprégnation du

site :

[34] Kiša nas je prokvasila do kostiju.

pluie nous-Acc est Pfx-mouillée jusqu'à os-Gén

"On a été transpercé jusqu'aux os par la pluie."

Comme dans le cas précédent, une entité matérielle subit une certaine modification, mais cette

fois l'idée de retrait de la matière est absente du sémantisme des verbes de base. L'association

de pro- à ce type de verbe met en évidence un rapport dynamique qui s'établit entre le site et

une matière qui s'y infiltre et le traverse d'un bout à l'autre. Ces dérivés en pro- sont dans la

plupart des cas accompagnés de l'adverbe skroz qui veut dire "entièrement", "d'un bout à

l'autre" (cf. transpercer en français).

En résumé, les 220 verbes préfixés par pro- que nous avons traités dans cette section

sont construits sur cinq classes de verbe dont nous donnons un récapitulatif dans le tableau 3

ci-dessous. Ce qui ressort en premier lieu de l'observation de la combinatoire du préfixe

pro-avec ces différentes classes sémantiques de verbes de base, c'est le caractère extrêmement

dynamique de pro- qui se reflète par sa capacité à convertir en verbes de déplacement des

verbes qui, en eux-mêmes, ne peuvent pas référer à des phénomènes spatiaux. C'est le cas des

verbes šuštati "bruire" vs prošuštati "passer en bruissant" et kositi "faucher" vs prokositi

"faire un passage en fauchant" dans les exemples [35] et [36] (déjà donnés en [29] et [32]).