• Aucun résultat trouvé

L'analyse des réseaux sociaux est une approche interdisciplinaire fondée sur l'étude mathé­ matique des réseaux de personnes. Son histoire a été souvent écrite mais rarement sans arrières pen­ sées. L'objectif implicite est de construire un récit fondateur capable de montrer l'unité théorique du nouveau « paradigme » [Leinhardt, 1977] alors même qu'il résulte de l'agrégation de plusieurs cou­ rants de recherches hétéroclites tels que la sociométrie de Jacob Moreno, la théorie mathématique des graphes d'André Sainte-Laguë [1926], la psychologie sociale de John Barnes et la sociologie mathématique de Harrison White. Pour arriver à ce récit presque légendaire, peuplé de pionniers et de fondateurs allant de ruptures épistémologiques en révolutions théoriques, certains faits ont été 34 Ces deux auteurs confondent systématiquement la fonction et la finalité du réseau [Curien, 2000, p. 17 ; Lemieux,

parfois forcés, ou bien tout simplement ignorés. Parmi ces petits arrangements avec l'histoire, un certain révisionnisme voudrait faire de Jacob Moreno l'inventeur du concept de réseau social et de John Barnes le premier théoricien de ce concept. Mais, comme nous l'avons vu, les réseaux de Mo­ reno n'ont absolument rien à voir avec les réseaux sociaux de l'analyse des réseaux sociaux ! Ils sont plus proches de flux d'éther, au sens platonicien du terme, que de systèmes de relations sociales. De même, les premiers travaux de Barnes s'appuient sur une théorie, des définitions et une méthode qui sont très spécifiques et sciemment refusées par l'analyse des réseaux actuelle. L'approche structuro- fonctionnaliste de Barnes, imprégnée par la pensée d'Alfred Radcliffe-Brown [1940] et de Talcott Parsons [1937, 1951], le conduit à définir ce qu'il appelle « réseau social » de façon particulière­ ment restrictive, avec le sens d'un système de relations uniquement affectives. Or, depuis les années 1970, les fondateurs de l'analyse des réseaux ont progressivement tourné le dos au structuro-fonc­ tionnalisme. C'est vrai pour Barnes, à partir de 1972 [Barnes, 1972] comme pour Harrison White, à partir de 1971 [Lorrain, White, 1971]. Depuis, l'analyse des réseaux sociaux a développé une « idéologie de sa propre pureté », pour reprendre l'expression de Randall Collins [1995], et purge son corpus théorique de toute trace de fonctionnalisme. Elle suscite ainsi la critique de ceux qui continuent à penser les réseaux comme des systèmes structurés, que ce soit en sociologie avec Vincent Lemieux et Michel Callon, ou que ce soit en économie, avec Nicolas Curien et Patrick Co­ hendet. À ces voix discordantes, s'ajoutent celles, plus acerbes encore, de ceux qui, comme Daniel Parrochia et Pierre Musso, rejettent en bloc les abstractions systémiques comme structuralistes.

Le fait que les promoteurs de l'analyse des réseaux sociaux renient la branche structuro- fonctionnelle de son arbre généalogique est regrettable. Car cela éloigne cette communauté de cher­ cheurs d'un grand nombre de confrères, pourtant eux-aussi favorables à l'interdisciplinarité, mais is­ sus d'autres disciplines, et en particulier des sciences de gestion et de l'économie industrielle.

Bibliographie

AZARIAN Reza, (2003), The General Sociology of Harrison White, Stockholm university.

BARNES John A., (1954), « Class and Committes in a norwegian Island Parish », Human Relations, 7, pp. 39 – 58.

BARNES John A., (1972), Social Networks, Addison-Wesley, Reading (Mass.).

BAVELAS Alex, (1950), « Communication processes in task-oriented groups », Journal of the Acoustical Society of America, 22, pp. 725-730.

BÉJEAN Sophie, GADREAU Maryse, (1997), « Concept de réseau et analyse des mutations récentes du système de santé », Revue d'économie industrielle, 1997, vol. 81, n°81, pp. 77-97. BERGE Claude, (1958), Théorie des graphes et ses applications, Paris, Dunod.

BLAU Peter M, (1982), « Structural sociology and network analysis : an overview », Social structure and network analysis, édité par Marsden et Lin, Sage, Beverly Hills.

BOORMAN Scott A., WHITE Harrison C., (1976), « Social Structure from Multiple Networks », II, Role Structures, The American Journal of Sociology, 81(6), p. 1384-1446.

BOUDON Raymond, (2003), « La conversion de Coleman à la théorie du choix rationnel : impressions et conjectures », Revue française de sociologie, 2-44, 2003, pp. 389-398.

BOTT Elizabeth, (1971), Reconsiderations. In Bott E., Family and Social Network. Roles, Norms and External Relationships in Ordinary Urban Families, 1971, 2e édition, Tavistock Publ., Londres.

BURT Ronald S., (1992), Structural Holes: The Social Structure of Competition, Harvard University Press, Cambridge.

CALLON Michel, (1991), « Réseaux technico-économiques et irréversibilités », Les figures de l'irréversibilité en économie, édité par R. Boyer, B. Chavane, O. Godard, Éditions de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, pp. 195-230.

CALLON Michel, (1999), « Le réseau comme forme émergente et comme modalité de coordination », Réseaux et coordination, édité par Callon M. et alii, Economica, Paris.

CALLON Michel, LAW John, (1997), « L'irruption des non-humains dans les sciences humaines : quelques leçons tirées de la sociologie des sciences et des techniques », Les limites de la rationalité, Tome 2 « Les figures du collectif », édité par Bénédicte Reynaud, La Découverte, Paris.

CARTWRIGHT Dorwin, ZANDER Alvin (1953) : Group dynamics: Research and theory, New York, Harper et Row.

économique de la notion de réseau », Les limites de la rationalité, Tome 2 « Les figures du collectif », édité par Bénédicte Reynaud, La Découverte, Paris.

COLLINS Randall, (1995), « Les traditions sociologiques », Enquête, anthropologie, histoire, sociologie, 1995, n°2, Éditions Parenthèses, Marseille.

CURIEN Nicolas, (2000), Économie des réseaux, La Découverte, Paris, 2005. DEGENNE Alain, FORSE Michel, (1994), Les réseaux sociaux, Armand Colin, Paris.

FLAMENT Claude (1963a), « Modèles à caractéristiques non monotones dans l’étude d’un ques­ tionnaire », Revue Française de Sociologie 4(2), 1963, p. 172-194.

FLAMENT Claude, (1965), Théorie des graphes et structures sociales, Paris, La Haye, Gauthier- Villars, Mouton.

FORSE Michel, (2008), « Définir et analyser les réseaux sociaux : Les enjeux de l’analyse structu­ rale », Informations sociales, 3/2008 (n° 147), p. 10-19.

FREEMAN Linton C., (1979), « Centrality in social networks I: conceptual clarification », Social networks, 1, pp. 215-239.

FREEMAN Linton C., (2004), The Development of Social Network Analysis: A Study in the Sociology of Science, Empirical Press.

GRANOVETTER Mark, (1973), « The strength of weak ties », American Journal of Sociology, 78, pp. 1360-1380.

GRANOVETTER Mark, (1974), Getting a Job: a Study of Contacts and Careers, Cambridge, Harvard University Press.

GRANOVETTER Mark, (1985), « Economic Action and Social Structure : The Problem of Embeddedness », American Journal of Sociology, vol. 91, n°3 (Nov., 1985), pp. 481-510.

HARARY Frank, NORMAN Robert Z., (1953), Structural models: an introduction to the theory of directed graphs, John Wiley and Sons, New York.

KATZ Leo, (1947), « On the matric analysis of sociometric data », Sociometry, n°10, pp. 233-241. KNOKE David, KUKLINSKI James H., (1982), Network analysis, Sage, London.

LIN Nan, (1976), Foundations of Social Research, Mcgraw-Hill.

LAZEGA Emmanuel, (1998), Réseaux sociaux et structures relationnelles, PUF, Paris.

LEINHARDT Samuel (ed.), (1977), « Social networks. A developing paradigm », Academic Press, New York.

LEMIEUX Vincent, (1976), « L’articulation des réseaux sociaux », Recherches Sociographiques, 17, 2, mai-août 1976, pp. 247-260.

LEMIEUX Vincent, (1999), Les réseaux d’acteurs sociaux, PUF, Paris.

LE MOIGNE Jean-Louis, (1977), La théorie du système général, théorie de la modélisation, PUF. LORRAIN François, WHITE Harrison C., (1971), « Structural Equivalence of Individual in Social

MERCKLÉ Pierre, (2004), Sociologie des réseaux sociaux, La Découverte & Syros, Paris.

MITCHELL James C., (1969), Social Networks in Urban Situations, Manchester, Manchester uni­ versity press.

MORENO Jacob, (1934), Who Shall Survive?, traduction française : Fondements de la sociométrie, PUF, Paris, 1954.

MULLINS Nicolas, MULLINS Carolyn, (1973), Theories and Theory Groups in Contemporary American Sociology, Harper and Row Publishers, New York.

MUSSO Pierre, (1997), Télécommunication et philosophie des réseaux, la postérité paradoxale de Saint-Simon, PUF, Paris, pp. 217-218.

PARROCHIA Daniel, (1993), Philosophie des réseaux, Presses universitaires de France, Paris. PARROCHIA Daniel, (2005), « Quelques aspects historiques de la notion de réseau », Flux, n° 62,

2005/4.

PARSONS Talcott, (1937), The structure of Social action, Free Press, New-York. PARSONS Talcott, (1951), The Social System, The Free Press, New York.

PICOCHE Jacqueline, (1994), Le Robert : dictionnaire étymologique du français, col. « Les usuels du Robert » , Le Robert, Paris, p. 483, art. « Réseau ».

RADCLIFFE-BROWN Alfred R, (1940), « On Social Structure », Journal of the Royal Anthropolo­ gical Institute, vol 70, p 1-12.

RÈME Pétronille, (2005), Harrison C. White : une théorie générale des marchés ?, Thèse de doc­ torat en science économique, Université Paris I Panthéon-Sorbonne.

SAINTE-LAGUË André, (1926), Les réseaux (ou graphes), Gauthier Villars Et Cie, Paris.

SCOTT John, (1991), Social Network Analysis : A Handbook, London, Seconde édition, Sage pub­ lications, 2000.

SCHWEIZER Thomas, WHITE Douglas R. (éd.), (2008), Kinship, Networks, and Exchange, col. « Structural Analysis in the Social Sciences », Cambridge University Press.

WASSERMAN Stanley, FAUST Katherine, (1994), Social Network Analysis, Cambridge University Press, 2005.

WIESE Leopold, (1932), Systematic sociology, Chapman and Hall.

WHITE Harrison C., BOORMAN Scott A., BREIGER Ronald L., (1976), « Social Structure from Multiple Networks I, Blockmodels of roles and positions », The American Journal of Sociology, 81(4), p. 730-780.

Le structuralisme en économie