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Le modèle général des jeux en réseau

L'ouvrage Connections, an introduction to the economics of networks [2007], bien que récent, marque une étape importante dans la théorie économique. D'une part, il rassemble sous l'étiquette d'« économie des réseaux » un grand nombre de travaux dont on pressentait les affinités mais que l'on abordait séparément tels que les jeux coopératifs, les modèles d'apprentissages social, certains modèles du marché du travail, les modèles de diffusion des technologies inspirés de la

physique, certains modèles décrivant les stratégies de coopération entre firmes, etc.49 Deuxièmement, Goyal propose dans son ouvrage un modèle général dit de jeux en réseaux dont l'ambition est de fournir un cadre formel global pour l'ensemble des travaux que nous venons d'énumérer [§ 2.2., pp. 27-34]. En soi, cela suffirait à rendre son travail incontournable. Mais l'ouvrage de Goyal réalise aussi, implicitement, une synthèse augmentée de toute la théorie des jeux puisqu'il permet de modéliser des jeux de 2 à n joueurs, et cela, que les interactions entre joueurs soient coopératives ou non coopératives, déterminées ou stochastiques. De la même façon, il permet d'ajouter à l'analyse des réseaux sociaux l'analyse dynamique qui lui manquait encore. Ce tour de force repose sur l'articulation du concept de réseau social avec celui de stratégie, au sens que lui donne la théorie des jeux.

Malheureusement pour nous, plusieurs détails techniques voilent quelque peu cette articulation. D’une part, les présentations que Goyal fait de ces deux concepts fondamentaux (réseau social et stratégie) sont placées dans des sous-chapitres distincts de son livre. D’autre part, Goyal oppose souvent l’expression « réseau économique » à celle de « réseau social », sans pour autant les définir clairement. Ensuite, le modèle général de Goyal ne reprend pas exactement les notations de l'analyse des réseaux. Et enfin, il présente le sérieux désavantages de ne pas être totalement achevé. Les indications sont dispersées dans plusieurs chapitres du livres, d'autres se trouvent dans divers textes de Goyal, tandis que certaines manquent tout à fait. Nous allons donc reprendre ce modèle général en le complétant et en y introduisant le formalisme habituel des réseaux sociaux.

D'après Sanjeev Goyal [2007, pp. 27-28], un jeu en réseau consiste en : a. un ensemble d'agents (les joueurs),

b. l'ensemble des actions que chaque joueur peut choisir (stratégies), c. la description du réseau des relations entre joueurs (réseau social)

d. la spécification de la façon dont les actions et le réseau définissent ensemble l'accroissement des gains de chaque joueur (règle de décision en fonction du voisinage).

Parmi ces quatre éléments, les points c (le réseau) et d (nature du voisinage) ne semblent pas relever de la théorie des jeux ordinaire. Goyal ne donne pas la notation complète de ces quatre éléments dans le chapitre 3.2. qui leur est consacré. Pour réparer cette omission, il faut intégrer les informations dispersées dans les chapitres 2.3. et 8.2 du même livre, voire avec les ouvrages qui ont suivi, notamment le chapitre 9 de Social and Economic Networks de Jackson, dont le contenu 49 Par comparaison, l'ouvrage de Fernando Vega-Redondo, Complex social networks, pourtant publié la même année,

reprend un article de Bala et Goyal [2000]. Voici donc le modèle général tel que nous avons pu le reconstituer :

a. Soit N l'ensemble des agents i tel que N = {1, 2, 3, …, n} où le cardinal n est un nombre fini. b. Soit S l'ensemble des actions possibles. L'ensemble S est un sous-ensemble compact de [0, 1].

L'action de chaque joueur i est notée si,donc S = (s1, s2, s3, …, sn).

c. Les joueurs sont pris deux à deux (i, j). La relation entre chaque paire de joueurs est notée gij

telle que gij {0, 1}. La variable g prend la valeur 1 lorsque la relation est avérée et la valeur

0 dans les autres cas. Le réseau social (N, g) formé de l'ensemble des joueurs N et des relations g est noté G.

d. Les gains obtenus, Πi : Sn × G → R sont donnés par la fonction Φ telle que Πi (s | g) = Φ. La

forme de la fonction Φ varie avec la nature des interactions, c'est-à-dire avec le type de voisinage supposé. Trois cas ont été identifiés.

Dans le cas des interactions locales, seules les actions des voisins immédiats d'un individu i ont un effet sur l'action de cet individu. L'ensemble des k voisins immédiats de i est noté

Ni(g) tel que Ni(g) = {j N | gij = 1}. Les actions des voisins de i sont notées sNi(g) = (sj)jNi(g). Les

gains de i sont égaux à Πi (s | g) = ΦNi(g)(si , sNi(g)).

Dans le cas des interactions globales, les actions de l'ensemble des N – i joueurs ont un effet sur l'action du joueur i. Les gains de i se calculent alors ainsi : Πi (s | g) = ΦN-i(g)(si , s-i) avec

S-i = (s1, s2,…, si-1, si+1, sn). Dans une note de bas de page, Goyal prend soin de préciser que, dans ce

cas, on suppose généralement S continu et convexe. Ces hypothèses, bien que souvent implicites, sont loin d'être anecdotiques. Car, dans le contexte du choix rationnel, les hypothèses de continuité et de convexité sont indispensables aux calculs ultérieurs d'optimisation sous contrainte. De plus, si l'on suppose que les joueurs j sont associés chacun à un bien xj qui procure à i une satisfaction ui(x),

alors la fonction Φ = Πi (s | g) devient l'argument unique L de la fonction d'utilité U(L) de Von

Neumann et Morgenstern [1944]50. On retrouve ainsi à la fois le formalisme des jeux de forme normale de John von Neumann [Jackson, 2008, p. 308] et sa fonction d'utilité.

Enfin, dans le cas des interactions combinées, on divise l'effectif des joueurs en trois catégories : le joueur i, ses k voisins et ses n k – 1 non voisins. L'influence des voisins de i sur i est donnée par la fonction fk et l'influence des non voisins par la fonction hk. Les gains de i se calculent

alors ainsi : Πi (s | g) = Φ(si , f(sNi(g)) , h(skNi(g)∪{i})).

50 L est une variable aléatoire telle que L = {(p,Q),(1 − p,Q')} où p représente les prix et Q les quantités des biens