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3.3.2. Mesures physiques

3.3.2.2.1. Résistance au flux d’air

Les mesures aérodynamiques sont très largement utilisées dans l’étude de l’effort phonatoire car elles permettent d’inférer la physiologie de la phonation. Elles concernent le débit du flux d’air trans-glottique (TGF) et la différence de pression d’air autour de la glotte (ΔGP). Ces deux paramètres présentent un lien direct entre eux et avec la constriction glottique (Finnegan et al., 2000). En effet, comme nous l’avons expliqué dans la physiologie de la phonation, la constriction glottique et l’expiration génèrent une pression sous-glottique (SGP) supérieure à la pression sus-glottique ou intra-orale (IOP). Selon la mécanique des fluides, le flux d’air s’écoule alors du niveau sous-glottique, où la pression la plus forte, vers le niveau sus-glottique, où la pression est la plus faible, avec un débit qui dépend de cet écart de pression. Puisque la ΔGP dépend de l’IOP, elle

64 varie donc aussi avec la constriction sus-glottique ou articulatoire (Miller & Daniloff, 1993). Quant au TGF, il varie, non seulement avec la ΔGP qui le produit, mais aussi avec les constrictions, glottique et sus-glottique, qui le restreignent (Ananthapadmanabha & Fant, 1982; Miller &

Daniloff, 1993). En conséquence, ces deux paramètres aérodynamiques varient en fonction de la taille et de la forme du conduit vocal. Du fait du dimorphisme sexuel, le TGF est alors inférieur chez les femmes qui présentent un conduit vocal plus petit et plus étroit (Stathopoulos & Weismer, 1985b; J. V. Wilson & Leeper, Jr, 1992). A titre d’information, dans des conditions normales, la valeur moyenne de TGF, chez les femmes, pendant la production d’une voyelle isolée, correspond à 0,150 litres par seconde (L/s) (Terasawa, Hibi, & Hirano, 1987). Contrairement à l’usage, il apparaît donc nécessaire d’envisager ces deux mesures aérodynamiques simultanément. Une combinaison de ces deux mesures correspond à la résistance glottique (GR), qui est calculée en divisant la ΔGP par le TGF. Si la ΔGP reste constante mais que le TGF diminue ou si, au contraire, la ΔGP augmente mais que le TGF reste constant, la GR augmente traduisant une augmentation de la constriction glottique, c’est-à-dire de la compression des plis vocaux sous l’action des muscles laryngés intrinsèques. Les relations entre ces paramètres étaient représentées sur la Figure 14, page 36. Dans des conditions normales, la valeur moyenne estimée de GR, chez les femmes, correspond environ à 40 hectopascals par litre et par seconde (hPa/L/s) (Leeper, Jr & Graves, 1984).

Nous pouvons donc en déduire que la valeur moyenne de ΔGP, chez les femmes, correspond à 6hPa. La GR, en combinant les deux mesures aérodynamiques de débit et de pression d’air, permet d’évaluer l’effort phonatoire.

Le débit du flux d’air trans-glottique (TGF) est un paramètre qui correspond au volume d’air traversant la glotte pendant une unité de temps. Il est exprimé en litres (L), ou en centimètres cube, par seconde (s). Sa mesure peut être réalisée à l’aide de différents instruments mais, le plus souvent, les expérimentateurs et les cliniciens utilisent un pneumotachographe, selon une technique simple et non invasive (Miller & Daniloff, 1993; Schutte, 1992). Le flux d’air est capté dans un masque, appliqué sur la bouche et le nez, ou uniquement sur la bouche en obstruant le nez. Une valeur de TGF moyenne est communément obtenue pendant la production d’une voyelle isolée. Cependant, la production d’un phonème isolé diffère de la parole car elle exclut la coarticulation et modifie les durées (Miller & Daniloff, 1993). D’ailleurs, le TGF est inférieur pendant la production des voyelles dans la parole que pendant la production des voyelles isolées (Yiu, Yuen, Whitehill, &

Winkworth, 2004). Cette technique entraine donc une surestimation des données (Schutte, 1992).

65 Les expérimentateurs utilisent le plus souvent la voyelle orale ouverte /a/ car elle implique une résistance articulatoire (AR) très faible et entraine donc peu de diminution du TGF (Beckett &

Hallett, 1971; Bickley & Stevens, 1986; Isshiki, 1965; Iwata, von Leden, & Williams, 1972). Cette mesure est couramment réalisée et analysée seule, ce qui donne lieu à des erreurs d’interprétation.

En effet, dans la pratique clinique, le TGF est souvent utilisé comme un indice de la fermeture glottique. Notamment, chez les patients dysphoniques, les cliniciens considèrent qu’un TGF élevé traduit un défaut d’accolement des plis vocaux pendant la vibration dû, par exemple, à une paralysie laryngée ou à des lésions muqueuses de taille imposante (Dejonckere, Greindl, & Sneppe, 1985; Kelman, Gordon, Simpson, & Morton, 1975). Or, le TGF peut augmenter avec la différence de pression entre les niveaux sous-glottique et sus-glottique (ΔGP), en l’absence de difficultés de constriction, lorsqu’un individu produit un effort expiratoire important. A l’inverse, les cliniciens considèrent qu’un TGF bas traduit un excès de compression des plis vocaux, comme dans le cas de la dysphonie spasmodique (Gillespie, Gartner-Schmidt, Rubinstein, & Verdolini Abbott, 2013;

Gordon, Morton, & Simpson, 1978). Or, là encore, le TGF peut diminuer avec la ΔGP, sans excès de constriction, lorsque l’individu réduit son effort expiratoire. Afin d’évaluer l’effort phonatoire, il est nécessaire de confronter la valeur du TGF à la valeur du ΔGP mesurée de façon simultanée.

La différence de pression autour de la glotte (ΔGP) nécessite deux mesures : la pression sous-glottique (SGP) et la pression sus-glottique, aussi appelée intra-orale (IOP). Elle est exprimée en hectopascals (hPa) ou en centimètres d’eau. Lors de la production d’une voyelle orale ouverte /a/, puisque la résistance articulatoire (AR) est très faible, la valeur de l’IOP est proche de la valeur de la pression atmosphérique. Dans ce cas, nous considérons que l’IOP est négligeable et que la SGP est égale à la ΔGP. Il existe, en plus de la technique de mesure directe, plusieurs techniques d’estimation de la SGP (Schutte, 1992). Les expérimentateurs n’utilisent que rarement la mesure directe de la SGP et, à notre connaissance, les cliniciens ne l’utilisent jamais, car celle-ci est invasive. En effet, elle nécessite l’introduction d’un capteur de pression, par un cathéter, en dessous du plan glottique, à travers une paroi cartilagineuse, c’est-à-dire entre les cartilages thyroïde et cricoïde ou entre deux anneaux trachéaux. La mesure est réalisée à l’aide d’un transducteur de pression. Cette technique présente l’avantage de permettre une mesure du ΔGP simultanée à la mesure du débit du flux d’air trans-glottique (TGF), donc de permettre le calcul de la résistance glottique (GR) réelle. Parmi les techniques d’estimation de la SGP, nous en comptons deux pouvant être réalisées simultanément à la mesure du TGF. La première consiste à mesurer la

66 circonférence thoracique pour en déduire le volume pulmonaire puis inférer la SGP (Kunze, 1964).

La seconde consiste à mesurer la pression d’air intra-œsophagienne, grâce à un ballon avalé par le sujet, pour inférer la SGP (Kunze, 1964; H. J. Rubin, LeCover, & Vennard, 1967; van den Berg, 1956). En raison de leur complexité, de leur imprécision et de leur inadéquation, nous n’utilisons plus aucune de ces deux techniques d’estimation. A ce jour, c’est une troisième technique d’estimation de la SGP qui fait l’unanimité, bien que son procédé nous paraisse discutable.

La technique courante d’estimation de la pression sous-glottique (SGP) passe par la mesure de la pression sus-glottique ou intraorale (IOP). Elle nécessite l’introduction d’une sonde, plutôt rigide, par la commissure des lèvres puis entre les arcades dentaires, jusqu’au milieu du palais, de façon perpendiculaire au flux d’air. Ce dispositif limite les mouvements articulatoires, notamment l’ouverture mandibulaire et l’élévation linguale. Cette technique repose sur l’idée que l’IOP égale la SGP pendant la production d’une consonne orale occlusive bilabiale non voisée /p/. Elle requiert une fermeture parfaite de la cavité orale, c’est-à-dire une occlusion labiale et une occlusion nasale complètes. Or, l’occlusion nasale n’est pas totale pendant la production de la consonne /p/ (Gauster, Yunusova, & Zajac, 2010). Il paraît donc nécessaire d’obstruer le nez. L’occlusion labiale, elle, varie avec la force articulatoire. D’ailleurs, une occlusion mécanique est parfois utilisée (Chapin, Hoffman, Rieves, & Jiang, 2011). Nous émettons plusieurs réserves vis-à-vis de l’égalisation entre la SGP et l’IOP. D’abord, cette technique a été développée en anglais, langue dans laquelle les consonnes occlusives non voisées, comme la consonne /p/, sont aspirées. Pour ces consonnes aspirées, le geste glottique d’ouverture-fermeture est à son amplitude maximale (Dixit, 1989).

Nous pouvons donc considérer alors que la résistance glottique (GR) est quasiment nulle et que les valeurs d’IOP et de SGP sont presque égales (Hertegård, Gauffin, & Lindestad, 1995; Netsell, 1969; Shipp, 1973). Au contraire, en français, la consonne /p/ n’est pas aspirée (Fougeron & Smith, 1993). Le geste glottique d’ouverture-fermeture est donc moins ample qu’en anglais et la GR pourrait alors engendrer une différence significative entre la SGP et l’IOP. En outre, nous ne connaissons rien de l’impact de l’effort phonatoire sur l’amplitude du geste glottique pendant la production des consonnes non voisées : l’augmentation de l’effort phonatoire, pourrait limiter cette amplitude. D’ailleurs, une étude récente a mis en évidence des écarts importants entre les mesures simultanées de la SGP réelle et de l’IOP, entrainant des sous-estimations ou des surestimations de la SGP avec cette technique, chez les patients dysphoniques, mais aussi chez les sujets sains (Plant

67 et al., 2004). Nous jugeons donc cette technique d’estimation de la SGP peu fiable, notamment en français et dans l’étude de l’effort phonatoire.

La technique d’estimation de la pression sous-glottique (SGP) a initialement été développée pour le calcul de la résistance glottique (GR) (Rothenberg, 1982; Smitheran & Hixon, 1981). Il s’agit d’interpoler la valeur de pression sus-glottique ou intraorale (IOP), mesurée pendant la production de la consonne (C), avec le débit du flux d’air trans-glottique (TGF), mesuré pendant la production de la voyelle (V), lors de la production d’un train de syllabes simples directes CV.

Les deux paramètres aérodynamiques utilisés pour calculer la GR ne sont alors pas mesurés de manière simultanée. De plus, nous estimons que ni la mesure de l’IOP, ni la mesure du TGF, n’est fiable pour le calcul de la GR. En ce qui concerne le TGF, la présence de la sonde intra-buccale limite l’ouverture mandibulaire pendant la production de la voyelle /a/ censée être ouverte, voire incite les expérimentateurs à utiliser la voyelle orale fermée /i/ (Finnegan, Luschei, Barkmeier, &

Hoffman, 1996; Grillo et al., 2009, 2010; Leeper, Jr & Graves, 1984; Zajac, 1998). La constriction sus-glottique ainsi formée pendant la production de la voyelle risque de créer une résistance articulatoire (AR) positive et d’entrainer alors une augmentation de l’IOP, donc une diminution de la différence de pression autour de la glotte (ΔGP) et du TGF. Enfin, comme nous l’avons expliqué dans le paragraphe précédent, l’égalité entre la SGP et l’IOP pendant la production de la consonne /p/ peut être mise en doute. D’ailleurs, cette technique a été adaptée d’une technique développée, en premier lieu, pour l’étude de l’articulation et non de la phonation : elle visait à déterminer la constance de la SGP chez des patients dysarthriques, plutôt que sa grandeur (Netsell & Hixon, 1978). Même si la GR nous paraît être un bon indice de l’effort phonatoire, les mesures permettant son calcul, lorsqu’elles ne sont pas invasives, ne semblent pas fiables.

Sur le même principe de calcul que la résistance glottique (GR), nous pourrions calculer la résistance articulatoire (AR). En effet, pendant la production de n’importe quel phonème, le débit des flux d’air, nasal et oral, correspond au débit du flux d’air trans-articulatoire (TAF) et peut être assez aisément mesuré. Par ailleurs, la différence de pression autour du point d’articulation (ΔAP), c’est-à-dire la différence entre la pression intraorale (IOP) et la pression extraorale qui correspond à la pression atmosphérique, peut aussi être assez aisément mesurée avec une sonde placée dans la cavité orale, du moins pour les phonèmes oraux antérieurs, pour lesquels il n’y a pas d’occlusion

68 complète du conduit. L’AR nous paraît pouvoir être un bon indice de l’effort articulatoire et les mesures permettant son calcul sont peu invasives, assez aisées et plutôt fiables.