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3.1.2. Glottique : Effort phonatoire

3.1.3.2. Effort articulatoire

L’effort articulatoire correspond à l’effort perçu par un individu au niveau des muscles sus-glottiques lorsqu’il essaie de modifier la configuration du conduit vocal. Cet effort est notamment en lien avec le réglage de la fermeture de la cavité orale, son degré et son point, pour la production des consonnes. En particulier, il est supposé plus important pour les consonnes non voisées que pour leurs correspondantes voisées (Slis, 1971). Il est aussi en lien avec le réglage du degré et du point d’ouverture de la cavité orale, pour la production des voyelles. Il englobe donc l’effort vocal.

Par ailleurs, l’effort articulatoire est en lien avec la fermeture ou l’ouverture des cavités nasales et avec l’étirement ou l’arrondissement des lèvres, pour la production de tous les phonèmes.

3.2. Elicitation

Afin d’étudier l’effort phonatoire, qui n’est pas usuellement perçu, il peut s’avérer nécessaire de l’intensifier afin de le rendre perceptible. Par ailleurs, la comparaison entre différents niveaux d’effort pendant la phonation chez un même individu peut permettre de dégager des indices de cet effort. L’élicitation de l’effort phonatoire peut être effectuée en augmentant la charge vocale, c’est-à-dire en modifiant la manière ou la mesure dans l’activité de phonation. En ce qui concerne la manière, trois options sont couramment envisagées qui, de manière générale, reviennent toutes à augmenter la compression des plis vocaux sous l’action des muscles laryngés intrinsèques et notamment des muscles thyro-aryténoïdiens (TA), considérés comme les muscles vocaux. Nous présentons ces options dans l’ordre chronologique de leur développement pour l’étude de l’effort phonatoire. La première consiste à augmenter l’amplitude de vibration des plis vocaux, en produisant une voix plus forte, donc en modifiant l’intensité vocale. La deuxième consiste à augmenter la fréquence de vibration des plis vocaux, en produisant une voix plus aigüe, donc en modifiant la hauteur vocale. Cette option entraine aussi une augmentation de la tension, de la rigidité et de la longueur des plis vocaux sous l’action des muscles crico-thyroïdiens (CT). La troisième option consiste à augmenter le contact des plis vocaux, en produisant une voix plus pressée, c’est-à-dire en modifiant la qualité vocale. Ces trois options sont parfois envisagées simultanément (Verdolini, Hess, Titze, Bierhals, & Gross, 1999). Physiologiquement, lors de la phonation, l’amplitude et la fréquence de vibration des plis vocaux ainsi que leur contact

51 augmentent conjointement. En ce qui concerne la modification de la mesure dans l’activité de phonation, l’option envisagée dans des études récentes consiste à augmenter la durée de la production. Nous présentons ici les techniques de variation de l’intensité, de la hauteur, de la qualité et de la durée de la production vocale qui permettent d’éliciter l’effort phonatoire.

3.2.1. Manière

La modification de la manière dans l’activité de phonation correspond à une simulation de malmenage vocal. Dans des conditions normales, les locuteurs produisent la parole sans effort, à un niveau dit confortable. Pour la hauteur par exemple, le seuil de pression phonatoire (PTP), qui est souvent considéré comme un indice de l’effort phonatoire, comme nous l’expliquons plus bas, est à son niveau minimal pour la production usuelle et augmente, non seulement pour la voix plus aigüe, mais aussi pour la voix plus grave (Solomon, Ramanathan, & Makashay, 2007). Cependant, les paramètres vocaux, notamment l’intensité et la hauteur de la voix, peuvent varier d’une session d’enregistrement acoustique à l’autre (Brown, Jr, Morris, & Murry, 1996; Brown, Jr, Murry, &

Hughes, 1976). Ceci suggère que les locuteurs adaptent leur comportement phonatoire en fonction des situations afin de produire un effort phonatoire suffisant. Toute modification de la vibration des plis vocaux par rapport à la phonation usuelle nécessite donc un effort phonatoire supérieur.

3.2.1.1. Intensité

L’idée d’augmenter l’intensité vocale, c’est-à-dire de produire une voix plus forte, pour augmenter l’effort phonatoire paraît intuitive. En effet, l’intensité correspond à une énergie.

Cependant, la perception de l’intensité vocale et la perception de l’effort de production de la parole chez un locuteur, par un auditeur, sont différentes (Brandt, Ruder, & Shipp, 1969). Cette option présente l’avantage de pouvoir être utilisée en parole chuchotée car il est possible de faire varier l’intensité sonore de la friction glottique (Sundberg et al., 2010). Les variations d’intensité vocale ou sonore peuvent être induites sur simple consigne de l’expérimentateur (Huang, Minifie, Kasuya,

& Lin, 1996; Lieberman, Knudson, & Mead, 1969). En effet, même un locuteur naïf peut concevoir ce à quoi correspond une voix ou un chuchotement faible et une voix forte ou un chuchotement fort. Cependant, il apparaît difficile de maintenir une voix très forte au cours du temps, du fait de la fatigue vocale. Certains auteurs ont donc recours à une technique qui consiste à augmenter le

52 bruit ambiant afin d’inciter le locuteur à augmenter l’intensité de sa voix (Huber, Chandrasekaran,

& Wolstencroft, 2005; Leeper, Jr & Noll, 1972). Cet effet du bruit ambiant, connu sous le nom d’effet Lombard, reste limité car il nécessite tout de même une volonté de poursuivre l’activité de production de la parole, donc la communication, de la part du locuteur. Or, dans des expériences de laboratoire, lorsqu’un locuteur se trouve seul dans un pièce insonorisé et a pour instruction de lire un texte par exemple, sa motivation pour parler plus fort que le bruit ambiant est limitée.

D’autres auteurs ont recours à une technique qui consiste, non seulement à introduire un auditeur, mais en plus à augmenter la distance physique entre le locuteur et cet auditeur (Traunmüller &

Eriksson, 2000). Cependant, dans la pratique, l’expérimentateur demande souvent au locuteur d’imaginer l’auditeur. Quoi qu’il en soit, cet effet de la distance reste lui aussi limité par l’aspect non écologique de la communication pendant l’expérimentation. Par ailleurs, dans la production de la parole vocale, lorsqu’un individu augmente l’intensité de sa voix, c’est-à-dire l’amplitude de vibration des plis vocaux, il augmente également l’amplitude de ses mouvements articulatoires (Schulman, 1989). Le fait d’augmenter l’intensité la parole vocale induit donc non seulement un effort phonatoire mais aussi un effort articulatoire.

3.2.1.2. Hauteur

L’idée d’augmenter la hauteur vocale, c’est-à-dire de produire une voix plus aigüe, pour augmenter l’effort phonatoire est moins intuitive. Pourtant, plusieurs auteurs considèrent que l’augmentation de la hauteur est plus efficace que l’augmentation de l’intensité pour induire un effort phonatoire (Brandt, 1972; Perkins & Koike, 1969). En clinique, nous observons souvent une augmentation de la hauteur de la voix, et non une augmentation de l’intensité, chez les patients présentant des lésions muqueuses des plis vocaux ou une paralysie unilatérale. Ce comportement est vu comme un effort compensatoire de l’asymétrie de vibration ou du défaut d’accolement des plis vocaux. L’augmentation de la hauteur dans la parole peut correspondre à l’accentuation d’une syllabe, à la communication d’un message important ou à l’expression d’une émotion primaire parmi la joie, la peur, la colère et le dégoût (Evans, 2015). Comme pour l’intensité de la voix, les variations de la hauteur peuvent être induites sur simple consigne car même les locuteurs naïfs conçoivent ce à quoi correspond une voix grave ou une voix aigüe. De plus, selon les capacités des individus, les variations de hauteur peuvent aussi être réalisées sur imitation d’un son pur.

Cette technique présente l’avantage d’un contrôle précis de la hauteur et donc de l’effort phonatoire,

53 mais elle ne peut être appliquée que pour la production de voyelles isolées puisque, dans la parole, la prosodie entraine aussi des variations de hauteur au cours du temps. Par ailleurs, il est à noter que le bruit ambiant et la distance entre les interlocuteurs ont également pour effet d’entrainer une augmentation de la hauteur de la voix, en plus d’une augmentation de l’intensité (Evans, 2015;

Summers, Pisoni, Bernacki, Pedlow, & Stokes, 1988). Il est à noter aussi que la hauteur vocale n’est pas la même chez les femmes et chez les hommes. Chez les femmes, par exemple, des mesures réalisées auprès d’une trentaine d’individus de langue première anglaise révèlent une fréquence usuelle entre 201 et 207 Hertz (Hz), c’est-à-dire plus de 200 cycles vibratoires par seconde (Linke, 1973; Zraick, Gentry, Smith-Olinde, & Gregg, 2006). De même, la hauteur vocale n’est pas la même chez les individus jeunes et chez les individus plus âgés. Chez les femmes, elle a tendance à diminuer avec l’âge (Awan & Mueller, 1992). Par ailleurs, puisque la hauteur de la voix dépend de la fréquence de vibration des plis vocaux, ses variations ne sont pas linéaires. En effet, doubler la fréquence permet d’augmenter la hauteur de 12 demi-tons (dT). Il y a donc 12 notes de différence entre une voix produite à 110 Hz et une voix produite à 220 Hz mais seulement 7 notes de différence entre cette dernière et une voix produite à 330 Hz. Par ailleurs, à un certain point, l’augmentation de la hauteur de la voix nécessite le relâchement partiel des muscles thyro-aryténoïdiens (TA), situé dans les plis vocaux, et une contraction extrême des muscles crico-thyroïdiens (CT). Dans cette configuration, la vibration des plis vocaux reste périodique mais son mécanisme change (mécanisme 2) et ne correspond plus à la phonation modale (mécanisme 1), usuellement produite dans la parole vocale. Le fait d’augmenter la hauteur de la parole vocale induit donc non seulement un effort phonatoire mais aussi potentiellement un changement de mécanisme de vibration.

3.2.1.3. Qualité

L’idée de modifier la qualité vocale, notamment en produisant une voix plus pressée, pour augmenter l’effort phonatoire n’apparaît pas intuitive. En effet, la notion de qualité vocale évoque plutôt les notions de timbre ou de résonance de la voix, c’est-à-dire des paramètres davantage en lien avec la vocalisation qu’avec la phonation. Pourtant, la qualité de la voix a bien un corrélat vibratoire : la durée de contact des plis vocaux. Les variations de qualité ne peuvent souvent pas être induites sur simple consigne, surtout chez des locuteurs naïfs, car ceux-ci ne se représentent pas aisément ce à quoi correspond une voix soufflée, excepté chez certaines chanteuses connues

54 qui ont recourt à ce type de voix, et encore moins ce à quoi correspond une voix pressée. D’ailleurs, la voix pressée est également appelée indifféremment « dure », « serrée » ou « forcée », ce qui témoigne de notre difficulté à la définir. Les expérimentateurs optent donc parfois pour une technique d’imitation de la qualité vocale (Grillo et al., 2009). Dans d’autres cas, ils optent plutôt pour le recrutement de locuteurs experts de la voix (Grillo, Verdolini Abbott, & Lee, 2010). Enfin, dans une étude récente, un retour chiffré de la pression d’air sus-glottique, c’est-à-dire intra-orale (IOP), est proposé pour aider les locuteurs à faire varier leur qualité vocale (Lien, Michener, &

Stepp, 2014). Des indices tels que le quotient de contact (CQ), la pression mécanique de contact (MCP) entre les plis vocaux, la résistance glottique (GR) ou l’amplitude relative des deux premiers harmoniques (H1-H2) nous semblent plus adaptés que l’IOP pour le contrôle de ce paramètre vocal.

Cependant, ces indices paraissent difficilement utilisables en cas de défaut d’accolement des plis vocaux, notamment les deux premiers qui reposent sur des mesures physiologiques du contact lui-même. En cas d’absence de contact des plis vocaux, les deux autres indices, qui reposent, pour l’un, sur des mesures aérodynamiques et, pour l’autre, sur des mesures acoustiques, ne peuvent être utilisés que pour des comparaisons intra-individuelles. Par exemple, lorsque la valeur de H1-H2 est positive, cela signifie que la voix est soufflée. Si un locuteur présente une valeur usuelle de 10 décibels (dB) puis une valeur de 5dB en modifiant sa qualité vocale, même si la voix reste soufflée, on peut considérer qu’elle est davantage pressée. Le fait de modifier la qualité vocale, en produisant une voix pressée, induit donc un effort phonatoire mais l’élicitation et l’évaluation de cette production sont ardues.

3.2.2. Durée

La modification de la mesure dans l’activité de phonation correspond à une simulation de surmenage vocal. Plus la durée de la phonation augmente et plus la fatigue vocale augmente. Cette fatigue entraine une diminution des capacités phonatoires (Ford Baldner et al., 2015; Vintturi et al., 2003). Lorsque l’activité de phonation est poursuivie malgré la diminution de ces capacités, l’effort phonatoire augmente en compensation (Aronsson et al., 2007). Récemment, les études des paramètres temporels de la phonation sont apparues : elles visent notamment à quantifier le temps de phonation usuel (Szabo Portela, Hammarberg, & Södersten, 2013). L’idée d’augmenter la durée de l’activité de phonation pour augmenter l’effort phonatoire paraît logique. En effet, chacun peut

55 comprendre qu’une activité musculaire prolongée entraine un effort. Cependant, la sensation de fatigue vocale motive normalement un arrêt de l’activité de phonation (Nanjundeswaran et al., 2015). L’allongement du temps de phonation est typiquement obtenu grâce à des tâches de lecture de textes longs. En général, ces tâches durent au moins 45 minutes (Laukkanen et al., 2004; Lauri, Alku, Vilkman, Sala, & Sihvo, 1997; Solomon, Garlitz, & Milbrath, 2000; Vintturi et al., 2003).

Pour comparaison, dans d’autres expérimentations, les tâches réalisées par les locuteurs peuvent durer entre une seconde pour une production de voyelle isolée et une minute pour une production de parole connectée (Zraick, Birdwell, & Smith-Olinde, 2005; Zraick, Skaggs, & Montague, 2000).

Le fait d’augmenter la durée de la production vocale induit donc un effort phonatoire mais requiert un temps d’expérimentation très important.

3.3. Evaluation

Afin d’étudier l’effort phonatoire, qui correspond à la perception d’une activité physique, il est nécessaire de mettre en lien au moins un paramètre perceptif et un paramètre physique. Une évaluation qualitative de ces paramètres ne permet pas de comparaisons interindividuelles, ni même intra-individuelles. L’évaluation de l’effort phonatoire doit donc être quantitative. En ce qui concerne les paramètres physiques, s’ils peuvent souvent être mesurés, la sélection des mesures adaptées à l’effort phonatoire n’est pas évidente. En ce qui concerne les paramètres perceptifs, c’est la mesure qui n’est pas évidente, en particulier quand il s’agit, comme dans le cas de l’effort phonatoire, d’une perception interne au locuteur. Cependant, des auteurs ont tenté de développer des mesures perceptives adaptées. Nous présentons ici ces mesures perceptives, ainsi que des mesures physiques : physiologiques, aérodynamiques et acoustiques.