• Aucun résultat trouvé

4.1. Problèmes identifiés

4.1.1. Effort phonatoire et qualités vibratoires

4.1.1.1. Phonation anormale

En ce qui concerne la distinction avec les qualités vibratoires des plis vocaux, le but ultime est de différencier l’effort phonatoire de la dysphonie. La dysphonie correspond à un trouble de la phonation, c’est-à-dire de la vibration des plis vocaux. Elle est souvent la conséquence d’une pathologie laryngée et la cause d’un trouble de la voix. Cependant, un patient dysphonique peut produire plus ou moins d’effort dans l’activité de phonation pour compenser son trouble. L’effort phonatoire qui consiste à augmenter la compression des plis vocaux, voire leur élongation, leur tension et leur rigidité, permet effectivement d’augmenter leur contact et donc leur synchronisation pendant la vibration. Les mesures physiques réalisées chez ces patients dysphoniques, notamment acoustiques et aérodynamiques, confondent l’état de la glotte, qui peut présenter une fuite ou une asymétrie, et le comportement glottique compensatoire. En d’autres termes, un patient peut souffrir

76 d’une légère fuite glottique mais ne pas produire d’effort de compensation particulier, tandis qu’un autre peut souffrir d’une importante fuite glottique et produire un grand effort de compensation, non suffisant, et ces deux patients peuvent présenter alors la même résistance glottique (GR) ou la même amplitude relative des deux premiers harmoniques (H1-H2), par exemple, alors que l’effort phonatoire qu’ils réalisent est différent. Ceci peut également concerner un même patient avant ou après thérapie, qu’elle soit chirurgicale ou comportementale. Le principal problème dans l’étude de l’effort phonatoire chez les patients dysphoniques est donc l’absence de point de comparaison intra-individuel.

Une solution récemment envisagée repose sur une mesure relative entre différents cycles vibratoires lors d’une occurrence précise d’effort phonatoire : la fréquence fondamentale relative (RFF) au moment des transitions entre consonnes non voisées et voyelles. Cependant, à notre sens, cette mesure présente plusieurs limitations. D’abord, elle nécessite une fréquence de vibration périodique, car elle repose sur une évaluation cycle par cycle. Elle est donc difficilement applicable chez des locuteurs qui présentent une irrégularité de vibration des plis vocaux. Ensuite, elle prend en compte seulement 10 cycles et dépend donc de la fréquence fondamentale (F0), c’est-à-dire de la hauteur de la voix. De ce fait, elle ne permet pas les comparaisons interindividuelles, ni même les comparaisons intra-individuelles. En effet, l’effort phonatoire nous semble en lien avec la vitesse de vibration des plis vocaux, donc avec la F0. Pourtant, dans ses études, l’auteur de cette mesure compare des sujets sains et des patients dysphoniques et, chez les premiers, différents niveaux d’effort phonatoire élicités ou, chez les seconds, les états avant et après traitement (Stepp, Hillman, & Heaton, 2010; Stepp et al., 2012; Stepp, Merchant, Heaton, & Hillman, 2011). De plus, cette mesure n’a pas été validée par corrélation avec une mesure perceptive, malgré les tentatives de l’auteur (Lien, Michener, Eadie, & Stepp, 2015; Stepp & Eadie, 2011). Il nous semble que la bonne pratique consiste à tester des mesures de l’effort phonatoire, puis d’établir des normes, chez les sujets sains, avant de s’intéresser aux patients dysphoniques.

4.1.1.2. Phonation normale

Etablir une distinction entre l’effort phonatoire et les qualités vibratoires des plis vocaux nous paraît plus aisé chez sujets sains. En effet, en l’absence de pathologie laryngée, nous pouvons supposer un accolement et une symétrie des plis vocaux normaux, donc une vibration périodique.

77 Cependant, il existe tout de même des variations entre les individus, notamment en fonction de leur sexe, mais aussi de leur âge ou de leurs habitudes. Par ailleurs, chez les sujets sains, il apparaît nécessaire d’éliciter un effort phonatoire pour tester les mesures. Le choix des mesures physiques adaptées à l’étude de l’effort phonatoire nous semble être un problème théorique. En revanche, la validation de ces mesures nécessite le développement d’une mesure perceptive.

4.1.1.2.1. Types de participants

Chez les sujets sains, il existe tout d’abord un dimorphisme sexuel responsable de variations quantitatives dans les phénomènes physiques liés à la phonation. La taille des organes de la parole, notamment du larynx, qui est un organe sexuel secondaire, est plus importante chez les hommes que chez les femmes. Au niveau acoustique, la vibration des plis vocaux est donc environ deux fois plus lente chez les hommes. De même, chez les individus jeunes, en particulier masculins, elle est plus lente après la puberté. Le dimorphisme sexuel existe aussi au niveau sous-glottique, avec une capacité pulmonaire plus grande chez les hommes, et au niveau sus-glottique, avec des cavités de résonnance plus large chez les hommes, ce qui engendre des différences au niveau aérodynamique (Vorperian et al., 2011). Cependant, comme les femmes sont majoritaires parmi les patients qui consultent pour des troubles de la voix, dans l’étude de l’effort phonatoire, beaucoup d’expériences ne sont réalisées que sur celles-ci (Grillo et al., 2009; Kostyk & Putnam Rochet, 1998; Laukkanen et al., 2004; Laukkanen, Titze, Hoffman, & Finnegan, 2008; Lauri et al., 1997; Södersten, Hertegård, & Hammarberg, 1995; Stepp et al., 2012). Par ailleurs, la plupart des expériences portent sur des individus jeunes. Pourtant, les qualités vibratoires des plis vocaux changent avec le vieillissement : il s’agit de la presbyphonie. Il existe, par exemple, en ce qui concerne l’amplitude relative des deux premiers harmoniques (H1-H2), donc le contact des plis vocaux pendant la vibration, une baisse avec l’âge (Decoster & Debruyne, 1997). En ce qui concerne la fréquence fondamentale (F0), donc la vitesse de vibration des plis vocaux, il existe une baisse chez les femmes et une élévation chez les hommes (Awan, 2006; Stathopoulos, Huber,

& Sussman, 2011). Enfin, en ce qui concerne la résistance glottique (GR), il existe une élévation chez les femmes et une baisse chez les hommes (Holmes, Leeper, Jr, & Nicholson, 1994; Melcon, Hoit, & Hixon, 1989). Ces observations, du moins chez les hommes, suggèrent une détérioration de la muqueuse des plis vocaux, donnant une forme ovalaire à la glotte. Ce vieillissement des tissus réduit le contact des plis vocaux pendant la vibration, et s’accompagne souvent d’un effort

78 phonatoire en compensation, avec une élongation, une tension et une rigidification des plis vocaux.

Cependant, chez les femmes, il existe aussi des changements hormonaux au moment de la ménopause, dont les effets sont contraires (D’haeseler, Depypere, & van Lierde, 2013). A noter que, chez les femmes, l’usage d’hormones contraceptives a également un effet sur les qualités vibratoires des plis vocaux (Gorham-Rowan & Fowler, 2008). Dans tous les cas, la restriction de la population étudiée aux femmes jeunes limite la généralisation des résultats. Nous rappelons d’ailleurs que les troubles de la voix d’origine fonctionnelle sont le plus couramment observés chez les femmes d’âge moyen 50 ans.

Chez ces sujets désignés comme sains parce qu’ils ne présentent pas de pathologie laryngée, la santé vocale peut cependant être discutée. En effet, certaines substances irritent les plis vocaux.

Parmi elles, nous comptons notamment la fumée du tabac, qui provoque de l’œdème au niveau de l’espace de Reinke et entraine donc, non seulement une diminution de la vitesse de vibration des plis vocaux, mais aussi une irrégularité (Awan & Alphonso, 2007; Guimarães & Abberton, 2005;

Vincent & Gilbert, 2012). Le reflux gastro-œsophagien (RGO), acide, peut également irriter la muqueuse des plis vocaux et causer une dégradation des capacités phonatoires (Messalam, Malki, Farahat, Bukhari, & Alharethy, 2014). A noter que le RGO peut être indolore, ce qui ne motive pas la prise d’un traitement médicamenteux chez les locuteurs (Lowden, McGlashan, Steel, Strugala, & Dettmar, 2009). Enfin, chez les individus souffrant d’asthme, les traitements au long cours, par stéroïdes ou corticoïdes, peuvent aussi irriter la muqueuse des plis vocaux et altérer la phonation (Bhalla, Watson, Taylor, Jones, & Roland, 2009; Lavy, Wood, Rubin, & Harries, 2000).

Nous avons vu que beaucoup d’expériences incluent des populations à risque, en particulier des femmes, mais aussi des enseignants ou autres professionnels de la voix, comme des chanteurs.

L’inclusion de ces professionnels pose un autre problème dans l’étude de l’effort phonatoire : celui de l’entrainement. Certaines expériences incluent même uniquement des locuteurs experts, c’est-à-dire des cliniciens, par exemple. D’autres ne portent que sur l’auteur lui-même. Il nous semble que l’expertise des participants risque de biaiser les résultats, notamment dans le développement de mesures perceptives qui reposent sur un jugement de soi-même. Il est aussi courant d’observer l’inclusion, par les expérimentateurs, de leurs propres étudiants, comme dans certaines études en perception de l’effort articulatoire, que nous avons décrites dans le détail plus haut. Outre les

79 préjugés que ces participants non naïfs peuvent avoir sur la notion d’effort dans la production de la parole, nous rappelons qu’il n’est pas éthique de réaliser des expériences sur ses subordonnés.

4.1.1.2.2. Types de tâches

Chez les locuteurs naïfs, le problème inverse se pose, qui est la méconnaissance de la notion d’effort phonatoire et sa confusion avec la qualité vocale, dont la perception nous semble être plus prégnante. En particulier, dans les expériences de perception, il est souvent demandé aux locuteurs de juger de leur effort après la réalisation d’une tâche de parole, dont la durée peut varier entre plusieurs secondes et plusieurs minutes (Ford Baldner et al., 2015; Rosenthal et al., 2014; Solomon et al., 2003). Parfois même, il est demandé à un auditeur de juger de l’effort du locuteur, après l’écoute des enregistrements acoustiques de ces tâches de parole longues (Heller Murray, Hands, Calabrese, & Stepp, 2016; Lien et al., 2015; Stepp & Eadie, 2011; Stepp et al., 2012). Dans ces conditions l’effort phonatoire n’est pas ciblé.

Par ailleurs, puisque nous ne disposons pas actuellement de normes pour les mesures de l’effort phonatoire et que la plupart de ces mesures dépendent des qualités vibratoires individuelles des plis vocaux, il n’apparaît pas opportun d’effectuer des comparaisons entre les niveaux d’effort de deux individus. En revanche, pour permettre des comparaisons intra-individuelles, il apparaît nécessaire d’éliciter différents niveaux d’effort dans la phonation pour un même individu. Comme nous l’avons présenté, différentes méthodes sont utilisées pour induire un effort phonatoire chez des locuteurs, comme l’augmentation de l’intensité ou de la hauteur dans la production de la parole vocale. Cependant, ces méthodes n’ont pas été éprouvées, c’est-à-dire qu’aucune association de mesure perceptive et physique de l’effort phonatoire n’a mis en évidence une différence entre la production de voix usuelle et de voix forcée, selon l’un de ces paramètres. Les productions sont même rarement contrôlées par les mesures acoustiques respectives du niveau de pression sonore (SPL) ou de la fréquence fondamentale (F0). Ces méthodes sont le plus couramment validées par autre mesure physique aérodynamique, la résistance glottique (GR), dont la technique d’estimation nous paraît discutable (Grillo et al., 2009, 2010; Rosenthal et al., 2014).

4.1.1.2.3. Types de mesures

En ce qui concerne les mesures physiques, nous observons que les expérimentateurs utilisent souvent des mesures aérodynamiques incomplètes, notamment la différence de pression autour de

80 la glotte (ΔGP). Le seuil de pression phonatoire (PTP) est d’ailleurs souvent considéré comme une mesure de l’effort phonatoire (Ford Baldner et al., 2015). Pourtant, il correspond en vérité à l’effort minimal requis pour initier et soutenir la vibration des plis vocaux. Si cette mesure est intéressante dans l’étude de l’effort phonatoire, elle procure surtout une information sur la qualité des plis vocaux et n’indique pas le niveau d’effort effectif pendant la parole vocale. Une mesure aérodynamique adaptée à l’évaluation de l’effort phonatoire est la résistance glottique (GR), bien qu’elle dépende tout de même des qualités vibratoires des plis vocaux, notamment de la possibilité de leur accolement. Cependant, cette mesure est toujours estimée par une méthode que nous avons décrite comme peu fiable, entre autres choses, parce qu’elle repose sur l’idée que la constriction glottique est nulle pendant la réalisation des consonnes non voisées. Les autres mesures physiques, comme les diverses mesures acoustiques que nous avons évoquées, dépendent également toutes des qualités intrinsèques des plis vocaux, et non seulement de l’effort phonatoire. Aucune de ces mesures ne peut être validée en l’absence de mesure perceptive quantitative de cet effort.