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Les réseaux commerciaux dans le golfe

Dans le document La Béotie et la mer (Page 167-171)

Les routes béotiennes

2) Les réseaux commerciaux dans le golfe

L’intégration d’Anthédon à un commerce régional se retrouve plus précisément dans la numismatique. En effet, en 1935, un trésor est trouvé dans la cité béotienne853 et, bien qu’il ait été

aussitôt dispersé, il a pu être en grande partie reconstitué grâce à Margaret Thompson854. Le trésor

date de la première moitié du IIe siècle855 et se compose ainsi :

- De Chalcis, un octobole et au moins quatre tétradrachmes.

- D’Érétrie, au moins quatre octoboles et au moins six tétradrachmes. - D’Athènes, dix tétradrachmes stéphanophores.

La présence d’Érétrie et de Chalcis atteste vraisemblablement d’un commerce régulier sur l’ensemble du golfe Euboïque, échanges dans lesquels Anthédon était manifestement intégrée. Athènes se trouve également bien représentée dans ce tableau ce qui s’explique aisément par son importance économique et les contacts assidus qu’elle a toujours su nouer avec l’Eubée. La présence de ces tétradrachmes dits du « Nouveau Style » ne traduit donc pas nécessairement de contacts directs entre Anthédon et l’Attique mais plutôt l’intégration de la cité béotienne à cet espace économique eubéen. Le fait que Chalcis soit moins représentée qu’Érétrie ou Athènes n’est

852 KNOEPFLER D., « Contributions à l’épigraphie de Chalcis », 1990, p. 496-497. 853IGCH 223.

854 THOMPSON M., « The Beginning of the Athenian New Style Coinage », p. 25-28. 855 PICARD O., Chalcis et la Confédération eubéenne, p. 183.

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également pas forcément significatif d’une moindre importance de celle-ci mais cela peut tout aussi bien être le fruit du hasard de la constitution du trésor. En effet, de nombreux indices laissent entendre que, par leurs positions respectives de part et d’autre de l’Euripe, Chalcis et Anthédon entretenaient des liens étroits.

Nous avions déjà vu856, suivant l’avis de Denis Knoepfler857, que l’activité de passeur dont

parle Hérakleidès se fait entre Anthédon et Chalcis. Le fait que des prisonniers Chalcidiens se retrouvent vendus comme esclaves à Anthédon atteste également de liens entre les deux cités, quels qu’ils soient858. Dans ce même passage, Hérakleidès parle du vin que l’on retrouve sur l’agora

d’Anthédon. Le problème est que le terme εὔοινος peut signifier « beaucoup de vin » ou « bon vin » sans que l’on puisse fixer une acceptation définitive tandis que Plutarque dit spécifiquement qu’Anthédon n’abonde pas en vin859. Cela a conduit à des interprétations divergentes de la part des

modernes qui acceptent ou rejettent l’idée qu’Anthédon ait pu produire beaucoup de vin860. Une

autre possibilité est que ce vin, présent sur l’agora, ne soit pas Anthédonien mais importé. Chalcis pourrait être un partenaire privilégié dans ce commerce, car elle jouissait de la plaine Lélantine, des terres volcaniques très fertiles et particulièrement adaptées à la viticulture861.

On dispose ainsi de traces concrètes d’un commerce actif dans le canal d’Eubée où est intégrée Anthédon. Malheureusement, les décrets de proxénie anthédoniens ne sont d’aucune utilité pour percevoir l’étendue des réseaux dans lesquels était intégrée la cité, on ne dispose que d’un seul décret anthédonien et l’ethnique n’a pas été préservé par le temps. Dans l’autre sens, on dispose de trois décrets de proxénie de Thermos honorant des Anthédoniens862 et s’inscrivant tous

dans une même période dans la deuxième moitié du IIIe siècle, peut-être autour des années 245-

236863. Denis Knoepfler replace ces décrets dans le cadre du développement de la piraterie

Étolienne en Égée et donc dans le golfe de Corinthe864. Anthédon, particulièrement exposée, dut

se rapprocher de cette nouvelle puissance maritime pour protéger ses activités euboïques. Il faut

856Supra, p. 65-66.

857 « Inscriptions de la Béotie Orientale », p. 599.

858 Il est par exemple possible de supposer que cet évergète Anthédonien avait des raisons propres de racheter

les prisonniers, soit qu’il les connaissait personnellement, soit qu’il entretenait des relations particulières avec la cité de Chalcis.

859 Plutarque, Étiologies grecques,19 : Ἡ γὰρ ἐν Βοιωτοῖς οὐκ ἔστι πολύοινος. 860Supra, p. 66.

861 CORVISIER J. N., Les Grecs et la mer, p. 296 et MORENO A., Feeding the Democracy, p. 82 ; et c’est encore

vrai aujourd’hui.

862IG IX I² I 17, IG IX I² I 21 et IG IX I² I 27.

863 KNOEPFLER D., « Inscriptions de la Béotie Orientale », p. 615-616. Peut-être qu’IG IX I² I 27 est plus

tardive que les deux autres.

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relever — comme le fait également Denis Knoepfler865 — que sur deux de ces décrets866, un citoyen

d’Oponte se porte garant des proxènes vis-à-vis des Étoliens. Cela atteste des bonnes relations entre Anthédon et Oponte, qui se sont certainement faites par leur position mutuelle sur la portion septentrionale du canal d’Eubée. De façon générale, il semble que la première moitié du IIIe ait été

une période propice au développement des cités du golfe et de leur commerce grâce au contrôle qu’avaient les Macédoniens sur Chalcis, Démétrias et Histiée et donc sur la route maritime qui liait ces cités867. Cela est peut-être plus visible dans le cas de la petite cité de Halai qui faisait alors partie

du Koinon des Béotiens et qui connaît son apogée à ce moment-là868. Halai était vraisemblablement

une cité dont l’activité reposait sur la pêche à l’image d’Anthédon869. Détail intéressant, dans le récit

de Plutarque, alors que Sylla se trouve à Aidepsos en Eubée, des pêcheurs d’Halai de passage lui offrent de beaux poissons870 ce qui atteste non seulement de leur activité mais également de leur

intégration dans ce commerce au sein du canal d’Eubée871.

Grâce à Xénophon, on voit un autre aspect de cette économie locale remontant au IVe

siècle. En effet, en 377, Thèbes est touchée par une pénurie de blé et envoie des citoyens à Pagasai, au nord du golfe, afin d’approvisionner leur cité872. Il est probable que ce soit d’Anthédon qu’ils

embarquèrent s’agissant du port béotien le plus proche tant de Thèbes que de Pagasai. Si l’on en revient à Hérakleidès qui disait qu’Anthédon manquait de grain faute de terres fertiles, on peut facilement supposer qu’une partie de sa consommation provenait d’importations maritimes, notamment de régions fertiles comme l’Eubée, voire de navires venant de Grèce du nord ou des abords de la mer Noire, la route du grain menant à Athènes passant justement par le canal d’Eubée873.

À l’image d’Anthédon, qui constitue une ouverture maritime privilégiée pour les Thébains, il est possible que les cités locridiennes de Larymna, Halai voire Oponte aient servi de port pour les cités béotiennes occidentales aux moments où elles faisaient partie du Koinon874. C’est

précisément le cas d’Orchomène qui ne disposait d’aucun accès à la mer sur son territoire mais qui

865Ibid., p. 617.

866IG IX I² I 17 l. 120-121, et 21 l. 5-6 à défaut de la 27 qui est néanmoins trop mutilée pour être exclue. 867 BRESSON A., L’économie de la Grèce des cités II, p. 165.

868 O’NEIL K. et al. « Halai, The 1992-1994 Field Seasons », p. 310. 869 BRESSON A., L’économie de la Grèce des cités II, p. 165. 870 Plutarque, Sylla, 26.

871 Cela ne signifie néanmoins pas qu’Halai avait des relations privilégiées avec Édepse, la présence des soldats

Romains dans la cité devait en faire un débouché particulièrement intéressé pour qui cherchait à écouler sa marchandise.

872 Xén., Hell., V, 4, 56-57.

873 BRESSON A., L’économie de la Grèce des cités II, p. 165.

874 Halai et Larymna ont rejoint le Koinon au cours du IVe siècle tandis qu’Oponte l’a rejoint vers 272. Leur

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était à proximité de ces cités, notamment en été lorsque le dessèchement du Copaïs permet une traversée directe jusqu’en Locride875, cependant rien ne permet de confirmer cette hypothèse.

Ainsi, il ressort de cette étude que la façade maritime béotienne au nord de l’Euripe semble dominée par la présence d’Anthédon. Bien que la petite cité ne disposait que d’un port d’importance secondaire au regard d’autres ports béotiens (comme ceux de Thespies ou Tanagra) ou de ceux du golfe euboïque nord (Chalcis, Histiée, Démétrias, Oponte…), toute son activité semble tourner autour des échanges entre l’intérieur de la Béotie et les sites du canal d’Eubée. C’est probablement cette activité marchande qui ressort du qualificatif de cupide qu’Hérakleidès attribue aux Anthédoniens876. Malgré sa position annexe dans le golfe, le marché d’Anthédon voyait passer

des poissons, de la pourpre, du blé, du vin et des esclaves ce qui atteste de son dynamisme qui devait être partagé par les autres cités du canal. Le golfe d’Eubée présente une forte densité de ports sur l’ensemble de son pourtour, leur apparition étant une cause autant qu’une conséquence de l’importance des échanges qui y ont cours. Si Anthédon y apparaît dans sa portion septentrionale comme la plus importante des cités béotiennes par ses échanges, Larymna, Halai et surtout Oponte étaient également actives dans ce commerce régional.

875 ETIENNE R., KNOEPFLER D., Hyettos de Béotie, p. 196. 876 I, 25 : « τὴν πλεονεξίαν ἐν Ἀνθηδόνι ».

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C- Le commerce dans le Golfe euboïque sud

Dans cette dernière sous-partie sur l’économie béotienne, il sera question du littoral béotien au sud de l’Euripe, c’est-à-dire la côte entre Aulis et Délion, les deux étant sur le territoire de Tanagra, mais également d’Oropos, cette dernière ayant pu être intégrée au Koinon suivant les périodes.

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