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Répartition des proxènes des Thespiens à l'époque hellénistique

Dans le document La Béotie et la mer (Page 144-156)

On ne dispose jamais de la raison pour laquelle Thespies a accordé ces proxénies et, s’il est probable qu’une majorité de ces proxènes l’aient été pour des raisons économiques, il serait impropre de dire que ces personnages sont tous honorés pour cela par le simple fait qu’ils proviennent de cités maritimes. En effet, certains indices laissent penser le contraire comme le fait que les Égyptiens de Canope et d’Alexandrie sont honorés le même jour et sont au nombre de trois, ce qui laisse plus penser à une ambassade lagide741. Il est également possible de classer ces

décrets par la nature des privilèges que reçoivent les honorandi et leurs descendants, traduisant l’importance des services rendus à la cité742. Il apparaît que les Thespiens accordent nécessairement

la proxénie et le titre d’évergète à la personne honorée et à ses descendants mais pour ce qui est du droit de posséder la terre et des biens immobiliers (« γᾶς κὴ Ϝυκίας ἔππασις »), il est rare qu’il soit étendu aux descendants du proxène743. En effet, sur toutes ces inscriptions, il n’y a que cinq

proxènes qui peuvent transmettre ce droit à leurs descendants : celui d’Égine, un des deux de Sicyone744, les deux d’Épidamne et celui de Physkeis. Soit des cités qui n’ont rien en commun dans

leur situation géographique ou dans les liens qui les unissent.

740 FOSSEY J. M., Epigraphica Boeotica II, p. 12.

741 ROESCH P. Les Inscriptions de Thespies – fascicule 1, p. 27. 742Ibid., p. 4.

743Ibid.

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Pour ce qui est de l’identité des proxènes, la très grande majorité d’entre eux n’apparaît pas sur d’autres inscriptions et quelques noms nous sont parvenus dans des états trop lacunaires pour qu’une quelconque interprétation puisse en être tirée. La seule exception concerne Héraclée de l’Oitas où les deux proxènes se nomment Alexis et Antillos, tous deux fils Aristeas et donc certainement frères. A Delphes, une longue inscription du début du IIe siècle fait la liste des

proxènes de la cité pour chaque archontat et on retrouve ce même Alexis comme proxène nommé en 170/69745 (où il est d’ailleurs exclusivement accompagné de deux proxènes tanagréens). À

Physkeis, le proxène Léontios fils de Krinias est inconnu par ailleurs mais son fils, Krinias fils de Léontios, apparaît lui au milieu du IIe siècle en tant qu’agonothète dans sa cité de Physkeis746 et s’est

également vu honoré à Delphes à la même époque747. Ce devait donc être une famille influente à

un niveau local, voire régional. C’est plus ou moins la même situation à Amphissa où l’on trouve un potentiel descendant du proxène Eutuchos fils d’Herakleidas, un certain Herakleidas fils d’Eutuchos honoré à Delphes dans la deuxième moitié du Ier siècle. Néanmoins ce sont près de

deux cents ans qui séparent les deux inscriptions et les deux noms d’Herakleides et d’Eutuchos sont loin d’être rares ce qui empêche de tirer une quelconque hypothèse sur notre proxène. En revanche, on note au Ier siècle un homonyme au proxène d’Égine, un certain Eukrates fils de

Damon qui n’est ici plus citoyen d’Égine mais de Thespies, vainqueur à un concours inconnu dans une inscription de Coronée748. Le nom de Damon est extrêmement fréquent en Béotie749 tandis que

celui d’Eukrates est assez commun750 ce qui interdit toute conclusion définitive751. Néanmoins, cette

parfaite homonymie entre un proxène des Thespiens et un Thespien ayant vécu cent cinquante ans après rend tentante l’hypothèse selon laquelle le proxène aurait pu recevoir la politeia à une date ultérieure — celle-ci n’apparaissant pas sur le décret honorifique –alors qu’il s’était installé à Thespies.

Les conclusions que l’on peut donc tirer de cette approche prosopographique sont très minces, si ce n’est que ces individus appartiennent vraisemblablement aux élites locales, ce qui était 745Syll.3, 585, l. 301.

746IG IX, I² 3, 680, l.1. 747SGDI II 1842, l. 10. 748IG VII 2871.

749 Selon le LGPN en ligne (http://www.lgpn.ox.ac.uk/publications/vol3b/topm_u.html et

http://www.lgpn.ox.ac.uk/database/lgpn.php), le nom Δημων et ses variantes Δαμουν et Δαμων apparaît comme le quatrième nom le plus fréquent en Grèce centrale et il y représente même plus de la moitié des occurrences sur l’ensemble du monde grec (277 sur 479).

750Ibid., on trouve 63 Eukrates en Grèce centrale sur 282 dans le monde grec.

751 GOSSAGE A. G., « The Comparative Chronology of Inscriptions Relating to Boiotian Festivals », p. 128,

propose ainsi que le Eukrates fils de Damon, de Thespies qui apparaît à Coronée soit le fils de Damon fils d’Ariston, de Thespies qui apparaît sur la même stèle, vainqueur à une autre épreuve. C’est possible mais là encore l’abondance du nom interdit toute certitude.

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de toute façon attendu. Il apparaît alors nécessaire d’envisager d’autres angles d’étude pour ces décrets de proxénie. Paul Roesch propose de dater les deux décrets honorant des citoyens de Sicyone au seul moment du IIIe siècle où les relations entre le Koinon des Béotiens et celui des

Achéens — auxquels font donc respectivement partie Thespies et Sicyone – furent cordiales ou au moins acceptables, c’est-à-dire entre le moment où les deux Koina rejoignent la symmachie d’Antigone Doson en 224/3 et celui où ils manquent de se faire la guerre en 206/5752, au sujet de

Mégare753. Paul Roesch subordonne donc les relations de proxénie entre les deux cités à celles de

leurs confédérations, mais nous serions davantage inclinés à nous écarter de cet avis. En effet, comme le montre Roesch lui-même754, le fait d’accorder un droit de propriété aux descendants du

proxène est une prise de risque pour la cité, car ceux-ci conservent ce que leur ancêtre a acquis mais peuvent également acheter des terres au risque pour la cité qu’une famille étrangère se constitue un important domaine au détriment des citoyens. Le danger est encore plus présent à la fin du IIIe

siècle, lorsque la Béotie était touchée par un phénomène de regroupement des terres qui excluait les fermiers les plus modestes755. Il serait certainement exagéré d’envisager les relations entre les

Béotiens et les Achéens comme amicales dans la mesure où, durant toute la période d’alliance entre les deux Koina, Mégare constituait un contentieux. Dans un tel contexte, il serait absurde de considérer que ce droit de propriété fut donné à un citoyen étranger en vertu des relations entre les deux cités qui n’ont jamais eu de liens politiques particuliers dans leur histoire si ce n’est cette alliance commune agencée par le souverain macédonien756. Le plus probable est alors que ces

privilèges furent donnés à un véritable évergète qui avait des liens personnels avec les Thespiens. Cette relation, si elle ne pouvait être, a priori, ni politique ni religieuse, serait plutôt économique, l’unique lien entre les deux cités étant leur position sur le golfe de Corinthe où elles se font face. On pourrait alors très bien envisager que cet évergète anonyme fut par exemple un riche Sicyonien vivant du commerce maritime et ayant vendu des céréales à un prix « normal » une année où Thespies connaissait de mauvaises récoltes, en vertu de bonnes relations nouées précédemment avec les habitants. Rien n’est ici prouvé si ce n’est que le facteur économique ne peut être écarté et

752 Roesch parle de 192, date qui était alors envisagée pour ce conflit. On le date aujourd’hui bien plus de 206/5

suivant AYMARD A., Les premiers rapports de Rome et de la confédération achaienne, p. 14-15, n.7

753 ROESCH P. Les Inscriptions de Thespies – fascicule 1, p. 15. Mégare faisait partie du Koinon achéen

jusqu’en 224/3 où par un concours de circonstances, Antigone Dôson la leur retira pour l’intégrer à la Confédération béotienne, selon les souhaits de cette dernière. En 206/5, les Mégariens retournent de leur propre chef aux Achéens. Les Béotiens tentent de la reconquérir par la force mais rappellent finalement leurs troupes de peur d’une guerre face aux Achéens.

754Ibid., p. 4. 755Ibid., p. 4. 756Infra, p. 307.

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représenterait même la cause privilégiée dans la distribution des proxénies à Sicyone mais également dans les autres cités.

En effet, il faut noter que les inscriptions où le droit de propriété est donné aux descendants du proxène constituent une exception par rapport au reste du corpus qui lui se contente de donner le titre d’évergète et de proxène, l’enktesis (que les Béotiens appellent ἔππασις) ainsi que l’ἀσουλία (l’inviolabilité) et l’ἀσφάλια (la sécurité) sur terre et sur mer. Ce sont des privilèges qui n’ont de valeur que pour un étranger qui voyage et que les Thespiens accordent à un citoyen de confiance pour garantir la sécurité de leurs propres concitoyens de passage dans une cité étrangère potentiellement hostile, ce qui prendrait particulièrement sens dans le cadre de relations commerciales.

Voyons maintenant le cas de Thisbé. Sur les dix proxènes des Thisbéens dont on a gardé trace, neuf ont leur ethnique, tous d’époque hellénistique. Ici, les cités représentées sont exclusivement autour du golfe de Corinthe ou à proximité : On peut ainsi voir un proxène à Pagai757, trois à Sicyone758, un à Amphissa759, un à Naupacte760 et enfin un à Chalcis761 et peut-être

aussi un à Panopée762. Comme le dit bien Fossey763, le réseau des proxènes Thisbéens touche les

mêmes régions que celui de Thespies mais à une échelle moindre ce qui correspond à la hiérarchie politique et démographique entre les deux cités. Aucun de ces proxènes n’est connu ailleurs, ni par eux-mêmes, ni par d’hypothétiques descendants.

Chorsiai, dernière cité de cette côte méridionale béotienne, présente cinq décrets de proxénies dont seuls trois comportent un ethnique. Deux concernent les cités de Delphes764 et de

Phénéos765, en Arcadie, tandis que la troisième concerne Thisbé766, sa voisine béotienne. Une fois

de plus les citoyens de Delphes et de Phénéos sont inconnus et rien ne peut nous indiquer quelle put être la raison de leurs honneurs. En revanche, le décret en l’honneur d’un Thisbéen fait figure

757SEG III 344, IIIe siècle.

758SEG III 346, IIIe siècle, IG VII 2223, IIIe/IIe siècle et SEG III 348, IIIe siècle. 759SEG III 349, IIIe siècle.

760IG VII 2224, IIIe/IIe siècle. 761SEG III 350, IIIe siècle

762SEG III 345, l’ethnique est en partie mutilé mais peut potentiellement être restitué en « [Παν]οπεῖα », choix

en partie soutenu par la présence de la cité dans les proxénies de Thespies.

763 « Boioitian decrees of proxenia », p. 44. 764IG VII 2385, IIIe siècle.

765IG VII 2387, IIIe/IIe siècle.

766IG VII 2383, après 171, l’ethnique est absent mais est reconstitué grâce à un rapprochement onomastique

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de belle exception au sein de ce corpus de proxénies béotiennes. Loin de suivre un bref formulaire standardisé, le décret détaille les services rendus par un certain Kapôn fils de Brochas, de Thisbé :

[Καλ]λιξένω ἄρχοντος. [— — — — —]κ[λ]εῖος ἔλεξε· ἐπιδεὶ Κάπων Βρόχαο [Θισβεὺς εὔν]οος ἐὼν [διατ]ελῆ τῆ πόλι Χορσιείων [ἐν παντὶ κ]ηρῦ, κὴ [σ]πανοσ̣ιτίας γενομένας περὶ [τὰν χώρ]α̣ν, κὴ τᾶν πολίων πασ[ά]ων ἀπεψαφισμέ- [νων τ]ὰν τῶ [σ]ίτω [ἀπο]στ̣[ο]λάν, προέχρεισε τῆ πό- [λι πο]υρῶν κοφίνως διακατίω[ς κ]ὴ κατέστασε [τὸν] σ̣ῖτον τῆ πόλι· [κὴ] οὕ[σ]τερ[ον] δίκας ἐώσας τῆ πό- [λι] ἁμέων [κ]ὰτ τὸ σού[μ]βο[λ]ον τὸ πὸτ α[ὐτ]ώς, βειλόμε- [ν]ος ἐκ παντὸς τρό[πω] ἀποδί[κ]νουσθη τὰν εὔνυ- αν κὴ ἥρεσιν ἃν ἔχ[ι π]οτὶ Χορσιείας, οὐκ ἐόντων χρειμάτων ἐν τ̣[ῦ] κ[υ]ν[ῦ], προέ̣[χρ]ε̣ισε [τ]ῆ πόλι χρεί- ματα οὐκ ὀλίγα, κὴ δανίω μεγάλω γενομένω, κὴ τῶν πολιτά[ω]ν πιθόντων αὐτόν, ἀφεῖκε τὰν πόλιν δραχμὰς πεντακατίας· ἔτι δὲ κὴ τῶν ἰ[δ]ι- ωτάων τῦς κ[α] χρείαν ἐχόντυς εὐχ[ρ]ειστέων διατελῆ ἐν παντὶ κηρῦ· ὅπως ὦν κὴ ἁ πόλις φή- νειτη εὐ[χ]άριστος ἐῶσα κὴ τιμεῶσα καθόλου [κ]ὰτ ἀξίαν [τ]ὼς ἀγαθόν τι ποιέ[ο]ντας αὑτάν, δ[ε]- [δό]χθη τῦ δάμυ πρόξενόν τε εἶμεν κὴ εὐεργέ- [τ]α τᾶς πόλιος Χο[ρσιεί]ω̣[ν αὐτὸν κὴ] ἐ̣κ̣γ̣[όν]ως, [κὴ εἶμεν αὐτῦς — — — — — — — — — — — — —] [— — — — — — — — — — — — — — — — — — —]

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Voici la traduction proposée par Léopold Migeotte767 :

« Sous l’archonte Kallixénos, (un tel fils de) -Kleis a fait la proposition : attendu que Kapon fils de Brochas, de Thisbé ( ?), ne cesse d’être dévoué à la cité de Chorsiai en toute occasion ; et comme il y avait une pénurie de blé en Béotie et que toutes les cités avaient interdit par décret l’envoi du blé, il a avancé à la cité deux cents kophinoi de blé et a livré le grain à la cité ; plus tard, comme un procès était ouvert à la cité, conformément à l’accord conclu à leur sujet ( ?)768,

voulant manifester de toutes les manières et le dévouement et les bonnes dispositions qu’il a pour les gens de Chorsiai, alors qu’il n’y avait plus d’argent dans la caisse commune, il a avancé à la cité des sommes importantes ; et comme la dette était devenue considérable, il a, sur les instances des citoyens, fait remise à la cité de cinq cents drachmes ; et de plus, aux particuliers dans le besoin il ne cesse de se montrer utile en toute occasion ; afin donc qu’il soit clair que la cité est reconnaissante et honore tout à fait selon leurs mérites ceux qui lui rendent service ; plaise au peuple : qu’il soit proxène et bienfaiteur de la cité de Chorsiai, lui et ses descendants… »

Ce sont effectivement des actes d’évergétisme qui ont valu à Kapôn ses honneurs mais l’origine de la relation entre le Thisbéen et Chorsiai est avant tout d’origine commerciale : Kapon a avancé 200 kophinoi de blé, il s’agit d’une vente à crédit sans intérêts769. Cette proxénie — la seule

exposant le contexte d’émission parmi les cités qui nous intéressent — est donc liée à des relations économiques ce qui permet à minima de confirmer que les Béotiens pouvaient valoriser ce type de liens par la proxénie. Il serait néanmoins malvenu d’en faire une généralité car, par le raisonnement inverse, on peut relever que la formulation de ce décret étant exceptionnelle, il est possible que les circonstances ayant conduit à son inscription soient tout aussi rares. Pourtant les faits décrits ne sont pas incroyablement généreux. L’honorandus vend d’abord du blé à la cité par une avance, puis lui prête de l’argent et finit par renoncer à une partie du remboursement. Ce sont des actions

767L’emprunt public dans les cités grecques, p. 42.

768 Il y a des discussions pour savoir à quoi se réfère ce α[ὐτ]ώς (l.9), qui pourrait potentiellement renvoyer

aux Béotiens, aux kophinoi ou au blé (voir MIGEOTTE L., L’emprunt public dans les cités grecques, p. 44).

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commerciales où à chaque fois Kapôn pouvait y trouver son compte (à part dans le cas du remboursement) et c’est certainement leur répétition en temps de disette qui lui vaut ces honneurs. Qu’est-ce qui justifie alors que ses actions aient mérité d’être gravées sur pierre alors que tant d’autres proxènes ont simplement reçu le titre d’évergète sans plus de détails ? La réponse se trouve peut-être dans le contexte de ce décret. On a longtemps admis que le décret datait du début du IIe

siècle à partir de sa graphie propre au IIe siècle mais aussi à l’usage du dialecte béotien qui suggère

une date antérieure à 171, moment où le dialecte est abandonné pour la koinè. À partir de ces deux critères, il était alors possible de relier cette inscription à une autre où il est aussi mention d’une crise frumentaire qui vit déjà Chorsiai s’endetter auprès de Thisbé770 au tournant du IIe siècle. En

plaçant ce décret de proxénie dans les années 200-180, on voyait comme une bizarrerie supplémentaire le fait qu’une cité béotienne nomme un proxène dans une autre cité du Koinon or c’est précisément ce fait-là qui impose de repousser la date de ce décret à une date postérieure à la dissolution du Koinon, et probablement peu après 171 tel qu’il est aujourd’hui communément admis771.

Dans la mesure où il est mention d’une série d’événements distincts qui touchent la cité (la crise frumentaire, le procès, l’emprunt, le remboursement), il est probable que les faits rapportés prennent place sur quelques années. Or comme le dit bien Denis Knoepfler772, l’embargo sur les

céréales qu’appliquent les citées béotiennes correspond bien mieux à un contexte postérieur à la dissolution du Koinon qu’à une période où il était encore en place et pouvait pallier à l’approvisionnement des cités les plus en peine. Par ce raisonnement, on en déduit qu’il est probable qu’à une date de peu postérieure à la fin de la Confédération, la Béotie a été touchée par une crise de subsistance. Si l’on décide de garder le contexte de 171 pour ce décret, on comprend aisément le caractère exceptionnel de la crise qui touche la Béotie. En effet, à une mauvaise saison de récolte, il faut alors ajouter la guerre qui oppose toujours Persée de Macédoine aux Romains et qui est probablement l’une des causes directes de cette période difficile. En effet, les armées romaines sont passées par une Béotie qui était globalement peu fidèle à sa cause et qui a lourdement souffert de cette attitude. Les troupes romaines étant elles-mêmes installées à Chalcis773, il est possible que leur

seule présence ait détourné une partie des ressources locales comme des exportations de grain à

770SEG III 342.

771 Comme le soutiennent ETIENNE R., KNOEPFLER D., Hyettos de Béotie, p. 243-244 et MÜLLER Ch., « La

procédure d’adoption des décrets en Béotie », p. 101-105.

772 ETIENNE R., KNOEPFLER D., Hyettos de Béotie, p. 243.

773 À partir de 171, ce sont plus de 15 000 hommes qui stationnent à Chalcis dans la mesure où l’on y voit 1 000

romains qui la tiennent en garnison (Tite-Live, XLII, 44, 7-8) rejoints par 2 000 Pergaméniens (Tite-Live, XLII, 55, 7-8), 10 000 marins Romains (Tite-Live, XLII, 56, 3-5) et l’équipage de deux quinquérèmes, dix trières et cinq tétrères alliées soit probablement dans les 3 600 marins (Tite-Live, XLII, 56, 6).

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destination de la Béotie. Même quand le gros des forces romaines se trouvait en Thessalie dans les affrontements contre les Macédoniens, il semble qu’il y ait eu une importante logistique d’approvisionnement passant par le canal d’Eubée774 et les ressources béotiennes peuvent avoir

continué à être mobilisées. Si on ajoute à cela la suppression du Koinon et de ses capacités de soutien aux petites cités, cela ne dut qu’accroître l’ampleur de la crise béotienne, poussant les cités dans ce qui pourrait ressembler à un repli identitaire.

Il faut d’ailleurs relever que Thisbé est l’une des cités les plus lourdement touchées par la guerre au cours de laquelle elle a été assiégée et soumise aux exactions romaines pour avoir maintenu tardivement son soutien à Persée. De façon indirecte, on a une idée assez précise de ses peines grâce au sénatus-consulte qu’adressèrent les Thisbéens en 170 dans lequel ils demandent au Sénat un assouplissement de l’attitude de ses généraux à leur encontre775. Au milieu des

revendications, il est question des possessions de la cité (l. 17-20) :

ὡσαύτως περὶ ὧν οἱ αὐτοὶ λόγους ἐποιήσαντο περὶ χώρας [κ]αὶ περὶ λιμένων καὶ προσόδων καὶ περὶ ὀρέων· ἃ αὐτῶν ἐγε- γ̣όνεισαν, ταῦτα ἡμ[ῶ]ν μὲν ἕνεκεν ἔχειν ἐξεῖναι ἔδο-

ξεν.

Et sa traduction776 :

« De même, considérant ce qu'ont dit les mêmes députés au sujet du territoire, des ports et de leurs revenus, et des montagnes, il a été décidé qu'il leur serait permis de posséder, de notre chef, ce qui leur avait appartenu. »

774 PICARD O., Chalcis et la Confédération eubéenne, p. 291 : « les quinquérèmes et cargos chargés de blé qui

se laissèrent surprendre dans le canal d’Oréos par la flotté macédonienne (Plutarque, Paul-Émile, 8) venaient certainement de Chalcis. Lorsqu’en 169, “ le roi Ptolémée l’ainé” fit don de blé aux Romains, l’officier chargé de convoyer ce blé, le Chypriote Aristôn fils d’Hérakleidès, passa par Chalcis où il fut honoré de la proxénie (IG XII 9, 900 B l. 2-5) ».

775IG VII 2225.

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On voit que les Romains avaient mainmise sur ce qui semble être l’intégralité du territoire thisbéen avec ses terres cultivées, ses pâturages en montagne et ses ports. Il est probable que Kapôn ait lui aussi était concerné par ces exactions car, quelles que soient ses affinités vis-à-vis des Romains, l’ambassade dans le sénatus-consulte est envoyée par « ceux des Thisbéens qui sont restés fidèles à notre amitié »777 et il serait étonnant que Kapôn n’ait pas subi comme tout le monde une

période d’expropriation pendant au moins une année. Selon toute logique, Il faut nécessairement considérer que les affaires entre Kapôn et Chorsiai sont postérieures aux déboires de Thisbé, c’est- à-dire après le sénatus-consulte daté d’octobre 170 et donc plus probablement après 169, car il serait étrange que des citoyens de Thisbé soient en mesure d’aider une autre cité alors que la leur est dans une situation encore plus critique.

Enfin, il est nécessaire de déterminer si le cas de Kapôn a quelque chose à voir avec le commerce maritime. Selon toute vraisemblance, Kapôn fils de Brochas faisait partie de l’aristocratie thisbéenne. Étant capable de faire des avances à une cité étrangère, il ne devait lui-même pas être

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