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L’Eubée et Oropos

Dans le document La Béotie et la mer (Page 74-78)

III Régions et cités portuaires voisines

2) L’Eubée et Oropos

Il faut brièvement aborder le cas des cités eubéennes de Chalcis et d’Érétrie qui ont également fait partie de la Confédération béotienne pendant de courtes périodes. Il s’agit certainement des plus proches voisins des Béotiens, notamment Chalcis qui n’est séparée de la Béotie que par l’Euripe dont Éphore, cité par Strabon, explique que le détroit « fait de l’Eubée

359 On peut voir à ce sujet le cas de Korseia au cours de la troisième guerre sacrée (politique p. 70-71) ou des

patrouilles béotiennes autour de Larymna vers 227 (politique p. 92-94).

360 COLBURN HAAS J., Hellenistic Halai, p. 7. 361 COLBURN HAAS J., Hellenistic Halai, p. 95.

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autant dire une partie de la Béotie » 362. Par cette proximité, les cités eubéennes et béotiennes ont

souvent maintenu des contacts, qui ont souvent pu prendre la forme de rapprochements diplomatiques lorsque leurs intérêts communs les opposaient à une tierce puissance. Au cours de la période classique, Chalcis et Érétrie se trouvent souvent confrontées à l’impérialisme athénien et elles profitent des périodes de conflits entre la Béotie et l’Attique pour se soulever elles-mêmes. Les Eubéens se révoltent en 446 à la suite des Béotiens mais c’est un échec363. C’est en 411

qu’Érétrie et Chalcis parviennent à se libérer de la tutelle athénienne avec le soutien des Péloponnésiens et c’est d’un commun accord avec les Béotiens qu’un pont est construit au-dessus de l’Euripe, liant définitivement Chalcis au continent364. Au IVe siècle, les Eubéens sont de nouveau

alliés des Athéniens mais s’inquiétant du retour de leur impérialisme, ils profitent de l’hégémonie thébaine pour changer de camp et s’associer aux Béotiens365.

Avec les conflits des Diadoques, l’Eubée devint une zone stratégique nécessaire au contrôle de la Grèce centrale et du canal d’Eubée. Dans ce contexte, les cités eubéennes perdirent grandement de leur autonomie, souvent tenues par des garnisons étrangères et basculant d’une souveraineté à une autre au gré des changements politiques366. Cela conduisit Chalcis à être tenue

par une garnison béotienne entre 308 et 304367 puis rejoindre le Koinon dans les années 280368. Érétrie

rejoignit également le Koinon pendant moins d’une dizaine d’années à partir de 286/5369. Les raisons

qui les ont amenés à faire partie de la Confédération béotienne sont différentes et traduisent les rapports que pouvaient avoir les Béotiens avec leurs voisins eubéens :

- Chalcis apparaît tenue par une garnison béotienne370 ce qui laisse entendre qu’elle a été

prise de force par les Béotiens alors que la cité était libérée de toute présence étrangère (notamment macédonienne). La Béotie s’est elle-même retrouvée ballotée dans les conflits des Diadoques et directement menacée par les forces étrangères tenant l’Euripe. Il s’agit certainement ici d’une politique béotienne visant à se libérer de ce cette menace qui pesait sur eux en cherchant à contrôler l’Euripe tout en assouvissant des ambitions expansionnistes au détriment des Chalcidiens.

362 IX, 2, 2 : « Προστίθησι δὲ ὅτι καὶ τὴν Εὔβοιαν τρόπον τινὰ μέρος αὐτῆς πεποίηκεν ὁ Εὔριπος ». 363 LÉVY E., La Grèce au Ve siècle, p. 60.

364 Diodore, XIII, 47, 3-6. 365Infra, p. 242. 366Infra, p. 284-291. 367Infra, p. 288-291. 368Infra, p. 295-296. 369Infra, p. 297. 370 Diodore, XX, 100, 6

74 - Il est possible que des partis dans ces cités eubéennes aient souhaité rejoindre la

Confédération béotienne pour se préserver des ambitions royales faute d’accès à une réelle indépendance. L’intégration à un Koinon paraissant alors un moindre mal.

- Les deux cités représentaient des places commerciales importantes qu’aucune cité béotienne ne pouvait égaler. Les revenus qu’une cité pouvait notamment tirer du contrôle de l'Euripe motivaient certainement les ambitions béotiennes.

Oropos est quant à elle la cité ayant certainement connu le destin le plus mouvementé parmi les voisines de la Béotie, celle-ci étant constamment disputée par les Béotiens et les Athéniens, tout en étant sous l’influence de sa voisine et fondatrice, Érétrie. Oropos se trouve en effet à un carrefour :

- Située sur le rivage continental de la partie sud du canal d’Eubée, la cité fait face à Érétrie, sur la côte opposée.

- Elle est également toute proche de la Béotie où le port de Délion n’est qu’à 10 kilomètres. Aucune barrière naturelle ne protège Oropos de sa puissante voisine si ce n’est l’embouchure du fleuve Asopos.

- Oropos constitue également un site stratégique pour les Athéniens et leur

approvisionnement en grain371. Celui-ci était débarqué à Oropos et prenait de là une

route terrestre passant par Décélie, qui bien que montagneuse, restait très praticable et plus avantageuse que la route maritime.

En conséquence, Oropos connut un destin particulièrement mouvementé, ballotée au gré des luttes entre ces puissances. Fondation érétrienne, elle resta sous l’influence de sa cité mère jusqu’aux années suivant les guerres Médiques où elle tomba sous le contrôle d’Athènes372. C’est

au cours de la guerre du Péloponnèse qu’elle parvient à se libérer de la domination athénienne avec le concours érétrien et béotien373, uniquement pour être intégrée au Koinon béotien en 402374. Au

cours du IVe siècle, Oropos redevint athénienne, goûta à l’indépendance avec la Paix du Roi,

redevint une fois encore une possession athénienne, puis érétrienne, béotienne, brièvement indépendante entre 338 et 335, date où elle est donnée par Alexandre à Athènes375. La situation

devient encore plus confuse au cours des conflits de Diadoques et il faut attendre les alentours de

371 MORENO A., Feeding the Democracy, p. 117.

372 KNOEPFLER D., « Oropos, colonie d’Érétrie », p. 50-51. 373 Thuc., VIII, 60, 1.

374 Diod., XIV, 17, 1-3.

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285 pour qu’Oropos rejoigne la Confédération béotienne, où elle y resta prospère pendant plus d’un siècle, jusqu’à la dissolution de celle-ci en 172376.

Si Oropos constitue une telle paume de discorde entre ces trois puissances, c’est pour plusieurs raisons :

- Les Athéniens dépendent partiellement de la route commerciale les reliant à l’Euripe. - Les Béotiens et les Érétriens peuvent se sentir menacés par une présence étrangère

toute proche.

- Les trois puissances peuvent tirer profit du dynamisme de son port et des importantes retombées économiques qui en découlent.

En effet, Oropos dispose d’une assise stratégique sur le canal d’Eubée où son port est tout proche d’Érétrie et de l’Euripe. Hérakleidès y critique notamment les douaniers omniprésents377,

signe de l’importance du commerce que connaît la cité au IIIe siècle. À cela, il faut ajouter

l’Amphiaraion, un célèbre sanctuaire oraculaire et médical situé juste à l’est d’Oropos378. Fondé

dans la deuxième moitié du Ve siècle, le sanctuaire disposait de son propre port pour accueillir des

visiteurs venant de toute la Grèce379. L’importance de l’Amphiaraion constitue assurément un

facteur important dans les luttes pour Oropos, et c’est notamment dans le sanctuaire qu’étaient exposés un certain nombre de décrets fédéraux béotiens au IIIe siècle380.

On en arrive à cette identité particulière d’Oropos qui au cours de ce paisible IIIe siècle voit

la cité parfaitement intégrée à la Béotie et où l’Oropie apparaît comme son extension naturelle. Ses habitants refusent cependant de se qualifier de Béotiens, et se voient plutôt comme des Athéniens en Béotie381 alors même qu’un siècle plus tôt, les inscriptions civiques étaient gravées en Ionien

d’Érétrie382.

376 KNOEPFLER D., Ibid., p. 54-55. 377 Hérakleidès le Critique, I, 7.

378 Sur le sanctuaire, voir ROESCH P. « L’Amphiaraion d’Oropos », p. 173-184. 379 FOSSEY J. M., « Boiotians Decrees of Proxenia », p. 44-47.

380 ROESCH P. « L’Amphiaraion d’Oropos », p. 178. 381 Hérakleidès le Critique, I, 7.

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